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Je n'ai pas dissipé le mince héritage de mon père. Je sais qu'il ne suffira pas; mais toi, ma providence, tu feras pour lui ce que tu as fait pour moi. Tu vois, j'ai bien fait de refuser le superflu que tu voulais me procurer; il sera le nécessaire pour mon enfant.--J'espérais faire une petite fortune avant cette époque et te rendre, au lieu de te prendre encore; mais la vie a ses accidents qu'il faut toujours être prêt à recevoir. Je n'ai du reste aucun mauvais pressentiment, la vie est pour moi un devoir bien plutôt qu'un plaisir. Je vais avec confiance où je dois aller. Tu ne recevras cette lettre qu'en cas de malheur, sinon je te la remettrai moi-même pour te montrer qu'à l'heure du danger ma plus chère pensée a été pour toi.» Il écrivit à Marguerite une lettre encore plus touchante pour lui pardonner sa faiblesse et la remercier du bonheur intime qu'elle lui avait donné. «Un jour d'entraînement, lui disait-il, ne doit pas me faire oublier tant de jours de courage et de dévouement que tu as mis dans notre vie commune. Parle de moi à mon Pierre, conserve-toi pour lui. Ne t'accuse pas de ma mort, tu n'avais pas prévu les conséquences de ta faiblesse; c'est pour les détourner que je vais me battre, c'est pour préserver à jamais mon fils et toi de l'outrage de certains bienfaits. Le père s'expose pour que la mère soit vengée et respectée. Je vous bénis tous deux.» Il pensa aussi à la Féron et lui légua ce qu'il put. Il s'habilla, mit sur lui ces deux lettres et sortit avec le jour sans éveiller personne. Il alla prendre pour témoins son ami, le fils du libraire, et un autre jeune homme d'un esprit sérieux. À sept heures du matin, il faisait réveiller M. de Rivonnière et l'attendait dans son fumoir. Il n'avait pas laissé soupçonner à ses deux compagnons qu'il s'agissait d'un duel immédiat. Il avait une explication à demander, il voulait qu'elle fût entendue et répétée au besoin par des personnes sûres. Il s'était nommé en demandant audience. Le marquis se hâta de s'habiller et se présenta, presque joyeux de tenir enfin sa vengeance et de pouvoir dire à Césarine qu'il avait été provoqué. Il alla même au-devant de l'explication en disant à Paul: --Vous venez ici avec vos témoins, monsieur, ce n'est pas l'usage; mais vous ne connaissez pas les règles, et cela m'est tout à fait indifférent. Je sais pourquoi vous venez; il n'est pas nécessaire d'initier à nos affaires les personnes que je vois ici. Vous croyez avoir à vous plaindre de moi. Je ne compte pas me justifier. Mon jour et mon heure seront les vôtres. --Pardonnez-moi, monsieur, répondit Paul; je ne compte pas procéder selon les règles, et il faut que vous acceptiez ma manière. Je veux que mes amis sachent pourquoi j'expose ma vie ou la vôtre. Je ne suis pas dans une position à m'entourer de mystère. Les personnes qui veulent bien m'estimer savent que j'ai pris pour femme, pour maîtresse, je ne parlerai point à mots couverts, une jeune fille séduite à quinze ans par un homme qui n'avait nullement l'intention de l'épouser. Je m'abstiens de qualifier la conduite de cet homme. Je ne le connaissais pas, elle l'avait oublié. Je n'étais pas jaloux du passé, j'étais heureux, car j'étais père, et, quel que fût le lien qui devait nous unir pour toujours, fidélité jurée ou volontairement gardée, je considérais notre union comme mon bien, comme mon devoir, comme mon droit. Je suis pauvre, je vis de mon travail; elle acceptait ma peine et ma pauvreté. Hier, cet homme a écrit à ma compagne la lettre que voici: Et Paul lut tout haut la lettre du marquis à Marguerite; puis il montra la bague et la posa, ainsi que l'acte de donation, sur la table, avec le plus grand calme, après quoi, et sans permettre au marquis de l'interrompre, il reprit: --Cet homme qui m'a fait l'outrage de supposer, et d'écrire à ma maîtresse que ses présents me décideraient sans doute au mariage, c'est vous, monsieur le marquis de Rivonnière, j'imagine que vous reconnaissez votre signature? --Parfaitement, monsieur. --Pour cette insulte gratuite, vous reconnaissez aussi que vous me devez une réparation? --Oui, monsieur, je le reconnais et suis prêt à vous la donner. --Prêt? --Je ne vous demande qu'une heure pour avertir mes témoins. --Faites, monsieur. Le marquis sonna, demanda ses chevaux, acheva sa toilette, et revint dire à Paul qu'il le priait de fumer ses cigares avec ses amis en l'attendant. Il y avait tant de courtoisie et de dignité dans ses manières qu'aussitôt son départ le jeune Latour essaya de parler en sa faveur. Il trouvait très-justes le ressentiment et la démarche de Paul; mais il pensait que les choses eussent pu se passer autrement. Si Paul eût engagé le marquis à expliquer le passage de sa lettre, peut-être celui-ci se fût-il défendu d'avoir eu une intention blessante contre lui. L'autre ami, plus réfléchi et plus sévère, jugea que la tentative de générosité envers Marguerite et l'appel à ses sentiments maternels étaient tout aussi blessants pour Paul que l'allusion maladroite et peut-être irréfléchie sur laquelle il motivait sa provocation. --J'ai saisi cette allusion, répondit Paul, pour abréger et pour fixer les conditions du duel d'une manière précise. Je crois avoir fait comprendre à M. de Rivonnière que son action m'offensait autant que ses paroles. Le jeune Latour se rendit, mais avec l'espérance que les témoins du marquis l'aideraient à provoquer un arrangement. Ceux-ci ne se firent pas attendre. Il est à croire que le marquis les avait prévenus la veille qu'il comptait sur une affaire d'honneur au premier jour. L'heure n'était pas écoulée que ces six personnes se trouvèrent en présence. M. de Rivonnière avait tout expliqué à ses deux amis. Ils connaissaient ses intentions. Il se retira dans son appartement, et Paul passa dans une autre pièce. Les quatre témoins s'entendirent en dix minutes. Ceux de Paul maintenaient son droit, qui ne fut pas discuté. Le vicomte de Valbonne, qui aimait le marquis autant que le point d'honneur, eut un instant l'air d'acquiescer au désir du jaune Latour en parlant d'engager l'auteur de la lettre à préciser la valeur d'une certaine phrase; mais l'autre témoin, M. Campbel, lui fit observer avec une sorte de sécheresse que le marquis s'était prononcé devant eux très-énergiquement sur la volonté de ne rien expliquer et de ne pas retirer la valeur d'un seul mot écrit et signé de sa main. Une heure après, les deux adversaires étaient en face l'un de l'autre. Une heure encore et Césarine recevait le billet suivant, de l'homme de confiance du marquis. «M. le marquis est frappé à mort; mademoiselle Dietrich et mademoiselle de Nermont refuseront-elles de recevoir son dernier soupir? Il a encore la force de me donner l'ordre de leur exprimer ce dernier voeu. »P.S. M. Paul Gilbert est près de lui, sain et sauf. «DUBOIS.» Frappées comme de la foudre et ne comprenant rien, nous nous regardions sans pouvoir parler. Césarine courut à la sonnette, demanda sa voiture, et nous partîmes sans échanger une parole. Le marquis était, quand nous arrivâmes, entre les mains du chirurgien, qui, assisté de Paul et du vicomte de Valbonne, opérait l'extraction de la balle. Dubois, qui nous attendait à la porte de l'hôtel, nous fit entrer dans un salon, où le jeune Latour me raconta tout ce qui avait amené et précédé le duel. --J'étais fort inquiet, me dit-il, bien que Paul se fût exercé depuis longtemps à se servir du pistolet et de l'épée. Il m'avait dit souvent: »--J'aurai probablement un homme à tuer dans ma vie, s'il n'est pas déjà mort. » Je savais qu'il faisait allusion au premier amant de sa maîtresse, car j'avais été son confident dès le début de leur liaison. Je lui avais mainte fois conseillé de l'épouser quand même, à cause de l'enfant, qu'il aime avec passion. C'est du reste la seule passion que je lui aie jamais connue. Aussi c'est pour son fils, bien plus que pour la mère et pour lui-même, qu'il s'est battu. Il avait été réglé qu'il tirerait le premier. Il a visé vite et bien. Il ne prend jamais de demi-mesure quand il a résolu d'agir: mais, quand il a vu son adversaire étendu par terre et lui tendant la main, il est redevenu homme et s'est élancé vers lui les bras ouverts. --» Vous m'avez tué, lui a dit le blessé, vous avez fait votre devoir. Vous êtes un galant homme, je suis le coupable, j'expie! » Depuis ce moment, Paul ne l'a pas quitté. Il m'a défendu d'avertir Marguerite, qui ne sa doute de rien et ne peut rien apprendre; mais il m'avait remis conditionnellement une lettre d'adieux pour vous, écrite la nuit dernière. Comme il n'a même pas eu à essuyer le feu de son adversaire, cette lettre ne peut plus vous alarmer. Pendant que vous la lirez, je vais chercher des nouvelles du pauvre marquis. On n'espérait pas tout à l'heure, peut-être tout est-il fini! --Je veux le voir, s'écria Césarine. Dubois qui était debout, allant avec égarement d'une porte à l'autre, l'arrêta. M. Nélaton ne veut pas, lui dit-il; c'est impossible à présent! restez-la, ne vous en allez pas, mademoiselle Dietrich! Il m'a dit tout bas: --La voir et mourir! --Pauvre homme! pauvre ami! dit Césarine, revenant étouffée par les sanglots. Il meurt de ma main, on peut dire! Certes il n'a pas eu l'intention de provoquer ton neveu, il ne m'aurait pas manqué de parole. Il a été sincère en voulant réparer le tort qu'il avait fait à Marguerite.... Il s'y est mal pris, voilà tout. C'est mon blâme qui l'aura poussé à cette réparation qu'il paye de sa vie.... --Dis-moi, Césarine, est-ce par l'effet du hasard qu'il a rencontré hier Marguerite chez toi? --Qu'est-ce que cela te fait? Vas-tu me gronder? ne suis-je pas assez malheureuse, assez punie? --Je veux tout savoir, repris-je avec fermeté. Mon neveu pourrait être le blessé, le mourant, à l'heure qu'il est, et j'ai le droit de t'interroger. Ta conscience te crie que tu as provoqué le désastre. Tu savais la vérité, avoue-le; tu as voulu en tirer parti pour rompre le lien entre Paul et Marguerite. --Pour empêcher ton neveu de l'épouser, oui, j'en conviens, pour le préserver d'une folie, pour te la faire juger inadmissible; mais qui pouvait prévoir les conséquences de la rencontre d'hier? Pages: | Prev | | 1 | | 2 | | 3 | | 4 | | 5 | | 6 | | 7 | | 8 | | 9 | | 10 | | 11 | | 12 | | 13 | | 14 | | 15 | | 16 | | 17 | | 18 | | 19 | | 20 | | 21 | | 22 | | 23 | | 24 | | 25 | | 26 | | 27 | | 28 | | 29 | | 30 | | 31 | | 32 | | 33 | | 34 | | 35 | | 36 | | 37 | | 38 | | 39 | | 40 | | 41 | | 42 | | 43 | | 44 | | 45 | | 46 | | Next | |
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