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Mais revenant bientôt à lui: «Mon enfant, lui dit-elle, n'allez point à Riesenburg, vous n'y trouveriez pas la Porporina. Elle n'est point mariée avec le comte de Rudolstadt, et rien n'est moins assuré que ce mariage-là. Il en a été question, il est vrai, et je crois que les fiancés étaient dignes l'un de l'autre; mais la Porporina, quoiqu'elle eût pour le comte Albert une amitié solide, une estime profonde et un respect sans bornes, n'a pas crû devoir se décider légèrement à une chose aussi sérieuse. Elle a pesé, d'une part, le tort qu'elle ferait à cette illustre famille, en lui faisant perdre les bonnes grâces et peut-être la protection de l'impératrice, en même temps que l'estime des autres seigneurs et la considération de tout le pays; de l'autre, le mal qu'elle se ferait à elle-même, en renonçant à exercer l'art divin qu'elle avait étudié avec passion et embrassé avec courage. Elle s'est dit que le sacrifice était grand de part et d'autre, et qu'avant de s'y jeter tête baissée, elle devait consulter le Porpora, et donner au jeune comte le temps de savoir si sa passion résisterait à l'absence; de sorte qu'elle est partie pour Vienne à l'improviste, à pied, sans guide et presque sans argent, mais avec l'espérance de rendre le repos et la raison à celui qui l'aime, et n'emportant, de toutes les richesses qui lui étaient offertes, que le témoignage de sa conscience et la fierté de sa condition d'artiste. --Oh! c'est une véritable artiste, en effet! c'est une forte tête et une âme noble, si elle a agi ainsi! s'écria Joseph en fixant ses yeux brillants sur Consuelo; et si je ne me trompe pas, c'est à elle que je parle, c'est devant elle que je me prosterne. --C'est elle qui vous tend la main et qui vous offre son amitié, ses conseils et son appui auprès du Porpora; car nous allons faire route ensemble, à ce que je vois; et si Dieu nous protège, comme il nous a protégés jusqu'ici l'un et l'autre, comme il protège tous ceux qui ne se reposent qu'en lui, nous serons bientôt à Vienne, et nous prendrons les leçons du même maître. --Dieu soit loué! s'écria Haydn en pleurant de joie, et en levant les bras au ciel avec enthousiasme; je devinais bien, en vous regardant dormir, qu'il y avait en vous quelque chose de surnaturel, et que ma vie, mon avenir, étaient entre vos mains.» LXVI. Quand les deux jeunes gens eurent fait une plus ample connaissance, en revenant de part et d'autre sur les détails de leur situation dans un entretien amical, ils songèrent aux précautions et aux arrangements à prendre pour retourner à Vienne. La première chose qu'ils firent fut de tirer leurs bourses et de compter leur argent. Consuelo était encore la plus riche des deux; mais leurs fonds réunis pouvaient fournir de quoi faire agréablement la route à pied, sans souffrir de la faim et sans coucher à la belle étoile. Il ne fallait pas songer à autre chose, et Consuelo en avait déjà pris son parti. Cependant, malgré la gaieté philosophique qu'elle montrait à cet égard, Joseph était soucieux et pensif. «Qu'avez-vous? lui dit-elle; vous craignez peut-être l'embarras de ma compagnie. Je gage pourtant que je marche mieux que vous. --Vous devez tout faire mieux que moi, répondit-il; ce n'est pas là ce qui m'inquiète. Mais je m'attriste et je m'épouvante quand je songe que vous êtes jeune et belle, et que tous les regards vont s'attacher sur vous avec convoitise, tandis que je suis si petit et si chétif que, bien résolu à me faire tuer pour vous, je n'aurai peut-être pas la force de vous préserver. --A quoi allez-vous songer, mon pauvre enfant? Si j'étais assez belle pour fixer les regards des passants, je pense qu'une femme qui se respecte sait imposer toujours par sa contenance.... --Que vous soyez laide ou belle, jeune ou sur le retour, effrontée ou modeste, vous n'êtes pas en sûreté sur ces routes couvertes de soldats et de vauriens de toute espèce. Depuis que la paix est faite, le pays est inondé de militaires qui retournent dans leurs garnisons, et surtout de ces volontaires aventuriers qui, se voyant licenciés, et ne sachant plus où trouver fortune, se mettent à piller les passants, à rançonner les campagnes, et à traiter les provinces en pays conquis. Notre pauvreté nous met à l'abri de leur talent de ce côté-là; mais il suffit que vous soyez femme pour éveiller leur brutalité. Je pense sérieusement à changer de route; et, au lieu de nous en aller par Piseck et Budweiss, qui sont des places de guerre offrant un continuel prétexte au passage des troupes licenciées et autres qui ne valent guère mieux, nous ferons bien de descendre le cours de la Moldaw, en suivant les gorges de montagnes à peu près désertes, où la cupidité et les brigandages de ces messieurs ne trouvent rien qui puisse les amorcer. Nous côtoierons la rivière jusque vers Reichenau, et nous entrerons tout de suite en Autriche par Freistadt. Une fois sur les terres de l'Empire, nous serons protégés par une police Moins impuissante que celle de la Bohême. --Vous connaissez donc cette route-là? --Je ne sais pas même s'il y en a une; mais j'ai une petite carte dans ma poche, et j'avais projeté, en quittant Pilsen, d'essayer de m'en revenir par les montagnes, afin de changer et de voir du pays. --Eh bien soit! votre idée me paraît bonne, dit Consuelo en regardant la carte que Joseph venait d'ouvrir. Il y a partout des sentiers pour les piétons et des chaumières pour recueillir les gens sobres et courts d'argent. Je vois là, en effet, une chaîne de montagnes qui nous conduit jusqu'à la source de la Moldaw, et qui continue le long du fleuve. --C'est le plus grand Boehmer-Wald, dont les cimes les plus élevées se trouvent là et servent de frontière entre la Bavière et la Bohême. Nous le rejoindrons facilement en nous tenant toujours sur ces hauteurs; elles nous indiquent qu'à droite et à gauche sont les vallées qui descendent vers les deux provinces. Puisque, Dieu merci, je n'ai plus affaire à cet introuvable château des Géants, je suis sûr de vous bien diriger, et de ne pas vous faire faire plus de chemin qu'il ne faut. --En route donc! dit Consuelo; je me sens tout à fait reposée. Le sommeil et votre bon pain m'ont rendu mes forces, et je peux encore faire au moins deux milles aujourd'hui. D'ailleurs j'ai hâte de m'éloigner de ces environs, où je crains toujours de rencontrer quelque visage de connaissance. --Attendez, dit Joseph; j'ai une idée singulière qui me trotte par la cervelle. --Voyons-la. --Si vous n'aviez pas de répugnance à vous habiller en homme, votre incognito serait assuré, et vous échapperiez à toutes les mauvaises suppositions qu'on pourra faire dans nos gîtes sur le compte d'une jeune fille voyageant seule avec un jeune garçon. --L'idée n'est pas mauvaise, mais vous oubliez que nous ne sommes pas assez riches pour faire des emplettes. Où trouverais-je d'ailleurs des habits à ma taille? --Écoutez, je n'aurais pas eu cette idée si je ne m'étais senti pourvu de ce qu'il fallait pour la mettre à exécution. Nous sommes absolument de la même taille, ce qui fait plus d'honneur à vous qu'à moi; et j'ai dans mon sac un habillement complet, absolument neuf, qui vous déguisera parfaitement. Voici l'histoire de cet habillement: c'est un envoi de ma brave femme de mère, qui, croyant me faire un cadeau très-utile, et voulant me savoir équipé convenablement pour me présenter à l'ambassade, et donner des leçons aux demoiselles, s'est avisée de me faire faire dans son village un costume des plus élégants, à la mode de chez nous. Certes, le costume est pittoresque, et les étoffes bien choisies; vous allez voir! Mais imaginez-vous l'effet que j'aurais produit à l'ambassade, et le fou rire qui se serait emparé de la nièce de M. de Métastasio, si je m'étais montré avec cette rustique casaque et ce large pantalon bouffant! J'ai remercié ma pauvre mère de ses bonnes intentions, et je me suis promis de vendre le costume à quelque paysan au dépourvu, ou à quelque comédien en voyage. Voilà pourquoi je l'ai emporté avec moi; mais par bonheur je n'ai pu trouver l'occasion de m'en défaire. Les gens de ce pays-ci prétendent que la mode de cet habit est antique, et ils demandent si cela est polonais ou turc. --Eh bien, l'occasion est trouvée, s'écria Consuelo en riant; votre idée était excellente, et la comédienne en voyage s'accommode de votre habit à la turque, qui ressemble assez à un jupon. Je vous achète ceci à crédit toutefois, ou pour mieux dire à condition que vous allez être le caissier de notre _chatouille_, comme dit le roi de Prusse de son trésor, et que vous m'avancerez la dépense de mon voyage jusqu'à Vienne. --Nous verrons cela, dit Joseph en mettant la bourse dans sa poche, et en se promettant bien de ne pas se laisser payer. Maintenant reste à savoir si l'habit vous est commode. Je vais m'enfoncer dans ce bois, tandis que vous entrerez dans ces rochers. Ils vous offriront plus d'un cabinet de toilette sûr et spacieux. --Allez, et paraissez sur la scène, répondit Consuelo en lui montrant la forêt: moi, je rentre dans la coulisse. Et, se retirant dans les rochers, tandis que son respectueux compagnon s'éloignait consciencieusement, elle procéda sur-le-champ à sa transformation. La fontaine lui servit de miroir lorsqu'elle sortit de sa retraite, et ce ne fut pas sans un certain plaisir qu'elle y vit apparaître le plus joli petit paysan que la race slave eût jamais produit. Sa taille fine et souple comme un jonc jouait dans une large ceinture de laine rouge; et sa jambe, déliée comme celle d'une biche, sortait modestement un peu au-dessus de la cheville des larges plis du pantalon. Ses cheveux noirs, qu'elle avait persévéré à ne pas poudrer, avaient été coupés dans sa maladie, et bouclaient naturellement autour de son visage. Elle y passa ses doigts pour leur donner tout à fait la négligence rustique qui convient à un jeune pâtre; et, portant son costume avec l'aisance du théâtre, sachant même, grâce à son talent mimique, donner tout à coup une expression de simplicité sauvage à sa physionomie, elle se trouva si bien déguisée que le courage et la sécurité lui vinrent en un instant. Pages: | Prev | | 1 | | 2 | | 3 | | 4 | | 5 | | 6 | | 7 | | 8 | | 9 | | 10 | | 11 | | 12 | | 13 | | 14 | | 15 | | 16 | | 17 | | 18 | | 19 | | 20 | | 21 | | 22 | | 23 | | 24 | | 25 | | 26 | | 27 | | 28 | | 29 | | 30 | | 31 | | 32 | | 33 | | 34 | | 35 | | 36 | | 37 | | 38 | | 39 | | 40 | | 41 | | 42 | | 43 | | 44 | | 45 | | 46 | | 47 | | 48 | | 49 | | 50 | | 51 | | 52 | | 53 | | 54 | | 55 | | 56 | | 57 | | 58 | | 59 | | 60 | | 61 | | 62 | | 63 | | 64 | | 65 | | 66 | | Next | |
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