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Peut-on poser ainsi une plume sur une barrette! Ces gens-là s'imaginent toujours coiffer des étudiants de Pavie! _(Il arrache la plume et la jette par terre. Faustina la ramasse.)_ FAUSTINA, _à part_. Une plume magnifique! et le costumier la lui fera payer. Mais où prend-il assez d'argent pour louer de si riches habits? _(Regardant autour d'elle.)_ Eh mais! je n'y avais pas fait attention! Comme cet appartement est changé! Quel luxe! C'est un palais aujourd'hui. Des glaces! des tableaux! _(Regardant le sofa où elle est assise.)_ Un meuble de velours tout neuf, avec des crépines d'or fin! Aurait-il fait un héritage? Ah! mon Dieu, et moi qui depuis huit jours.... Faut-il que je sois aveugle! Un si beau garçon!... _(Elle tire de sa poche un petit miroir et arrange sa coiffure.)_ ASTOLPHE, _à part_. Oh! c'est bien inutile! Je suis dans le chemin de la vertu. FAUSTINA, _se levant et allant à lui_. A votre aise, infidèle! Quand donc le beau Narcisse daignera-t-il détourner la tête de son miroir? ASTOLPHE, _sans se retourner_. Ah! c'est toi, petite? FAUSTINA. Quittez ce ton protecteur, et regardez-moi. ASTOLPHE, _sans se retourner_. Que me veux-tu? Je suis pressé. FAUSTINA, _le tirant par le bras_. Mais, vraiment, vous ne reconnaissez pas ma voix, Astolphe? Votre miroir vous absorbe! ASTOLPHE, _se retourne lentement et la regarde d'un air indifférent_. Eh bien! qu'y a-t-il? Je vous regarde. Vous n'êtes pas mal mise. Où passez-vous la nuit? FAUSTINA, _à part_. Du dépit? La jalousie le rendra moins fier. Payons d'assurance. _(Haut.)_ Je soupe chez Ludovic. ASTOLPHE. J'en suis bien aise; c'est là aussi que je vais tout à l'heure. FAUSTINA. Je ne m'étonne plus de ce riche déguisement. Ce sera une fête magnifique. Les plus belles filles de la ville y sont conviées; chaque cavalier amène sa maîtresse. Et tu vois que mon costume n'est pas de mauvais goût. ASTOLPHE. Un peu mesquin! C'est du goût d'Antonio? Ah! je ne reconnais pas là sa libéralité accoutumée. Il parait, ma pauvre Faustina, qu'il commence à se dégoûter de toi? FAUSTINA. C'est moi plutôt qui commence à me dégoûter de lui. ASTOLPHE, _essayant des gants_. Pauvre garçon! FAUSTINA. Vous le plaignez? ASTOLPHE. Beaucoup, il est en veine de malheur. Son oncle est mort la semaine passée, et ce matin à la chasse le sanglier a éventré le meilleur de ses chiens. FAUSTINA. C'est juste comme moi: ma camériste a cassé ce matin mon magot de porcelaine du Japon, mon perroquet s'est empoisonné avant-hier, et je ne t'ai pas vu de la semaine. ASTOLPHE, _feignant d'avoir mal entendu_. Qu'est-ce que tu dis de Célimène? J'ai dîné chez elle hier. Et toi, où dînes-tu demain? FAUSTINA. Avec toi. ASTOLPHE. Tu crois? FAUSTINA. C'est une fantaisie que j'ai. ASTOLPHE. Moi, j'en ai une autre. FAUSTINA. Laquelle? ASTOLPHE. C'est de m'en aller à la campagne avec une créature charmante dont j'ai fait la conquête ces jours-ci. FAUSTINA. Ah! ah! Eufémia, sans doute? ASTOLPHE. Fi donc! FAUSTINA. Célimène? ASTOLPHE. Ah bah! FAUSTINA. Francesca? ASTOLPHE. Grand merci! FAUSTINA. Mais qui donc? Je ne la connais pas. ASTOLPHE. Personne ne la connaît encore ici. C'est une ingénue qui arrive de son village. Belle comme les amours, timide comme une biche, sage et fidèle comme... FAUSTINA. Comme toi? ASTOLPHE. Oui, comme moi; et c'est beaucoup dire, car je suis à elle pour la vie. FAUSTINA. Je t'en félicite... Et nous la verrons ce soir, j'espère? ASTOLPHE. Je ne crois pas... Peut-être cependant. (_A part_) Oh! la bonne idée! (_Haut._) Oui, j'ai envie de la mener chez Ludovic. Ce brave artiste me saura gré de lui montrer ce chef-d'oeuvre de la nature, et il voudra faire tout de suite sa statue... Mais je n'y consentirai pas; je suis jaloux de mon trésor. FAUSTINA. Prends garde que celui-là ne s'en aille comme ton argent s'en est allé. En ce cas, adieu; je venais te proposer d'être mon cavalier pour ce soir. C'est un mauvais tour que je voulais jouer à Antonio. Mais puisque tu as une dame, je vais trouver Menrique, qui fait des folies pour moi. ASTOLPHE, _un peu ému_. Menrique? (_Se remettant aussitôt._) Tu ne saurais mieux faire. A revoir, donc! FAUSTINA, _à part, en sortant_. Bah! il est plus ruiné que jamais. Il aura engagé le dernier morceau de son patrimoine pour sa nouvelle passion. Dans huit jours, le seigneur sera en prison et la fille dans la rue. (_Elle sort._) SCÈNE II. ASTOLPHE, _seul_. Avec Menrique! à qui j'ai eu la sottise d'avouer que j'avais pris cette fille presque au sérieux... Je n'aurais qu'un mot à dire pour la retenir... (_Il va vers la porte, et revient._) Oh! non, pas de lâcheté. Gabriel me mépriserait, et il aurait raison. Bon Gabriel! le charmant caractère! l'aimable compagnon! comme il cède à tous mes caprices, lui qui n'en a aucun, lui si sage, si pur! Il me voit sans humeur et sans pédanterie continuer cette folle vie. Il ne me fait jamais de reproche, et je n'ai qu'à manifester une fantaisie pour qu'aussitôt il aille au-devant de mes désirs en me procurant argent, équipage, maîtresse, luxe de toute espèce. Je voudrais du moins qu'il prit sa part de mes plaisirs; mais je crains bien que tout cela ne l'amuse pas, et que l'enjouement qu'il me montre parfois ne soit l'héroïsme de l'amitié. Oh! si j'en étais sûr, je me corrigerais sur l'heure; j'achèterais des livres, je me plongerais dans les auteurs classiques; j'irais à confesse; je ne sais pas ce que ne ferais pas pour lui!... Mais il est bien longtemps à sa toilette. (_Il va frapper à la porte de l'appartement de Gabriel._) En bien! ami, es-tu prêt? Pas encore. Laisse-moi entrer, je suis seul. Non? Allons! comme tu voudras. (_Il revient._) Il s'enferme vraiment comme une demoiselle. Il veut que je le voie dans tout l'éclat de son costume. Je suis sûr qu'il sera charmant en fille; la Faustina ne l'a pas vu, elle y sera prise, et toutes en crèveront de jalousie. Il a eu pourtant bien de la peine à se décider à cette folie. Cher Gabriel! c'est moi qui suis un enfant, et lui un homme, un sage, plein d'indulgence et de dévouement! (_Il se frotte les mains._) Ah! je vais me divertir aux dépens de la Faustina! Mais quelle impudente créature! Antonio la semaine dernière, Menrique aujourd'hui! Comme les pas de la femme sont rapides dans la carrière du vice! Nous autres, nous savons, nous pouvons toujours nous arrêter; mais elles, rien ne les retient sur cette pente fatale, et quand nous croyons la leur faire remonter, nous ne faisons que hâter leur chute au fond de l'abîme. Mes compagnons ont raison; moi qui passe pour le plus mauvais sujet de la ville, je suis le moins roué de tous. J'ai des instincts de sentimentalité, je rêve des amours romanesques, et, quand je presse dans mes bras une vile créature, je voudrais m'imaginer que je l'aime. Antonio a dû bien se moquer de moi avec cette misérable folle! J'aurais dû la retenir ce soir, et m'en aller avec Gabriel déguisé et avec elle, en chantant le couplet: _Deux femmes valent mieux qu'une_. J'aurais donné du dépit à Antonio par Faustina, à Faustina par Gabriel... Allons! il est peut-être temps encore... Elle a menti, elle n'aurait pas osé aller trouver ainsi Menrique... Elle n'est pas si effrontée! En attendant que Gabriel ait fini de se déguiser, je puis courir chez elle; c'est tout près d'ici. (_Il s'enveloppe de son manteau._) Une femme peut-elle descendre assez bas pour n'être plus pour nous qu'un objet dont notre vanité fait parade comme d'un meuble ou d'un habit! (_Il sort._) SCÈNE III. GABRIEL, _en habit de femme très-élégant, sort lentement de sa chambre; PÉRINNE le suit d'un air curieux et avide_. GABRIEL. C'est assez, dame Périnne, je n'ai plus besoin de vous. Voici pour la peine que vous avez prise. (_Il lui donne de l'argent._) PÉRINNE. Monseigneur, c'est trop de bonté. Votre Seigneurie plaira à toutes les femmes, jeunes et vieilles, riches et pauvres; car, outre que le ciel a tout fait pour elle, elle est d'une magnificence... GABRIEL. C'est bien, c'est bien, dame Périnne. Bonsoir! PÉRINNE, _mettant l'argent dans sa poche_. C'est vraiment trop! Votre Altesse ne m'a pas permis de l'aider... je n'ai fait qu'attacher la ceinture et les bracelets. Si j'osais donner un dernier conseil à Votre Excellence, je lui dirais que son collier de dentelle monte trop haut; elle a le cou blanc et rond comme celui d'une femme, les épaules feraient bon effet sous ce voile transparent. (_Elle veut arranger le fichu, Gabriel la repousse._) GABRIEL. Assez, vous dis-je; il ne faut pas qu'un divertissement devienne une occupation si sérieuse. Je me trouve bien ainsi. PÉRINNE. Je le crois bien! Je connais plus d'une grande dame qui voudrait avoir la fine ceinture et la peau d'albâtre de Votre Altesse! (_Gabriel fait un mouvement d'impatience. Périnne fait de grandes révérences ridicules. A part, en se retirant._) Je n'y comprends rien. Il est fait au tour; mais quelle pudeur farouche! Ce doit être un huguenot! [Illustration: Je voudrais avoir une maîtresse qui lui ressemblât. (Page 12)] SCÈNE IV. GABRIEL, _seul, s'approchant de la glace._ Que je souffre sous ce vêtement! Tout me gêne et m'étouffe. Ce corset est un supplice, et je me sens d'une gaucherie!... je n'ai pas encore osé me regarder. L'oeil curieux de cette vieille me glaçait de crainte!... Pourtant, sans elle, je n'aurais jamais su m'habiller. (_Il se place devant le miroir et jette un cri de surprise_.) Mon Dieu! est-ce moi? Elle disait que je ferais une belle fille... Est-ce vrai? (_Il se regarde longtemps en silence._) Ces femmes-là donnent des louanges pour qu'on les paie... Astolphe ne me trouvera-t-il pas gauche et ridicule? Ce costume est indécent... Ces manches sont trop courtes!... Ah! j'ai des gants!... (_Il met ses gants et les tire au-dessus des coudes_.) Quelle étrange fantaisie que la sienne! elle lui paraît toute simple, à lui!... Pages: | Prev | | 1 | | 2 | | 3 | | 4 | | 5 | | 6 | | 7 | | 8 | | 9 | | 10 | | 11 | | 12 | | 13 | | 14 | | 15 | | 16 | | 17 | | 18 | | 19 | | 20 | | 21 | | 22 | | 23 | | 24 | | Next | |
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