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Et quand on lui demanda, les jours d'après, pourquoi il paraissait en peine et malade, il répondait: L'air de la nuit sonne mieux que moi; ce n'était pas la peine d'apprendre! On ne sut point ce qu'il voulait dire, mais on l'entendit étudier une musique nouvelle qui ne ressemblait en rien à celle des autres ni à celle qu'il avait jouée jusque-là; et, la nuit, il s'en allait tout seul, _emmy_ la brande, et revenait au petit jour, bien fatigué, mais jouant de mieux en mieux un air qui paraissait très étrange et que personne ne pouvait comprendre. Ceci fut rapporté au curé, qui le fit venir et lui dit: Julien, je sais que le diable est enragé de poursuivre et de tenter les gens de ton état; on me dit que tu vas seul, la nuit, dans des endroits _où tu n'as pas besoin_, et que tu parais tourmenté. Fais attention à toi, Julien; si tu commences mal, tu finiras mal! C'était un samedi. Le lendemain était grande fête, il y avait grand'messe carillonnée, et Julien promit de jouer comme il avait coutume. Cependant, le matin, le sacristain vint dire au curé qu'il avait rencontré Julien dans la brande, jouant d'une manière qui n'était pas chrétienne, et menant derrière lui plus de trois cents loups qui s'étaient sauvés à son approche. Le curé fit encore venir Julien et le questionna. Julien leva les épaules en disant que le sacristain avait bu. Et comme, de vrai, le sacristain était _porté sur la boisson_, son dire ne donna pas grand'crainte à M. le Curé, qui commença de dire et chanter la messe. Quand ce fut à l'élévation, Julien commença aussi de jouer sa chanson d'église; mais, encore qu'il eût peut-être bonne intention de la dire comme il faut, il ne put jamais _tomber dans l'air_, et ce qu'il joua ne fut autre que la propre chanson du diable que le vent lui avait apprise. La chose dérangea M. le Curé, qui, par trois fois, avant de consacrer l'hostie, s'agita et frappa du pied pour faire taire cette mauvaise complainte; mais enfin, songeant que Dieu se ferait bien respecter lui-même, il éleva l'hostie et dit les paroles de la consécration. Au même moment, la musette à Julien se creva dans ses mains, avec un bruit comme si l'âme du diable en fût sortie, et il en reçut un si bon coup dans l'estomac qu'il tomba tout _apiâni_ (tout pâmé) sur le pavé de l'église. On l'emporta à son logis, où il fit une grosse maladie. Mais il s'en retira par la grâce de Dieu et la parole de M. le Curé, qui le fit renoncer à ses mauvaises pratiques, et à qui il confessa avoir joué pour les loups de la brande. Depuis lors, il joua chrétiennement et laissa les loups se promener tout seuls ou en la compagnie des autres sonneurs damnés. On dit que ceux-ci lui _firent des peines_ pour avoir _vendu le secret_, et qu'ils le battirent souvent pour se revenger. Mais il supporta leurs mauvais traitements par esprit de pénitence et fit une bonne fin, enseignant la musique de cornemuse à ses enfants, et les détournant d'en chercher plus long _qu'on n'en doit savoir_. Le lupeux Charli l'entendait souvent quand il revenait de casser les pierres sur la route.--Oui-dà, disait-il à sa femme en rentrant, il me suivait encore, à ce soir, tout le long du buisson, _lupant_ à la lune; mais moi, je lui disais en moi-même: _Lupe_ donc tant que tu voudras, tu ne me feras pas seulement tourner la tête pour te voir. Maurice SAND. L'auteur de la _Normandie merveilleuse_, que nous aimons à citer, parle des _bêtes revenantes_ (c'est ainsi qu'on les appelle en Berry) à propos du _chien de Monthulé_, qui apparaissait aux habitants de la commune de Sainte-Croix-sur-Aizier, ne faisant aucun mal aux hommes, mais ne se laissant jamais approcher ni toucher, et bornant sa malice à tourmenter si fort les jeunes chiens qu'on n'en pouvait élever aucun dans la localité. La légende normande dit que ce chien avait appartenu à un voyageur mystérieux, et qu'il avait été tué par le propriétaire de la ferme de Monthulé. Son maître le cherchant partout, vint à la ferme, où on lui jura que l'animal était venu mourir de sa belle mort.--_Si vous ne dites vrai_, répondit le voyageur, _on le saura bien_! Et il disparut. A partir de ce moment, le chien devint fantôme pour tourmenter ses meurtriers. L'auteur ajoute: «Observez que dans ce conte, une croyance nouvelle se manifeste; une âme est attribuée à l'animal, puisqu'il partage avec l'homme la faculté d'apparaître après sa mort.» Nous avons constaté la même croyance dans notre province. Une vieille femme de notre village perdit une _ouaille_, une brebis noire, qu'elle soupçonna un méchant voisin d'avoir fait périr par poison ou maléfice. La pauvre bête écorchée et mise en terre, la bonne femme dormait, lorsqu'elle entendit sa chèvre bêler et se démener dans l'étable, comme si elle était aux prises avec quelque chose d'extraordinaire. Elle se leva et, ouvrant sa porte, elle vit son ouaille noire qui essayait d'entrer dans l'étable où elle avait coutume d'être avec la chèvre. La bonne femme effrayée, rentre chez elle et se barricade; mais la chèvre continue à se tourmenter. La femme prend courage et retourne voir. Cela eut lieu par trois fois. Par trois fois elle vit son ouaille essayant d'entrer, et la chèvre venant jusqu'à la barrière de l'étable pour l'appeler et la caresser. Mais ce n'était qu'une ombre; la vieille femme ne put la saisir, et quand la porte de l'étable fut ouverte, la chèvre sortit, chercha, bêla et rentra, comme si, elle aussi, eût constaté l'illusion qu'elle venait de subir. J'ai ouï raconter l'histoire d'une pie qui avait appartenu à la Grand'Gothe, une des plus fines sorcières de l'endroit. Cette pie avait appris à parler, et toutes les médisances qu'elle entendait débiter à sa maîtresse, elle les répétait aux passants en manière d'insulte. Si bien que des jeunes gens, lassés d'entendre divulguer leurs petits secrets par cette mauvaise bête, lui tordirent le cou. La Grand'Gothe prédit qu'on s'en repentirait un jour ou l'autre, et mourut elle-même peu de temps après. Personne ne la regretta, non plus que son vieux frère, le père Grand-Jean, qui n'était pas un mauvais homme, mais qui était si souvent alité qu'on le voyait et ne le connaissait _quasiment_ plus. Les deux vieillards et la pie partirent dans la même quinzaine. Or, le père Grand-Jean avait rempli jusqu'à sa fin, tant bien que mal, les fonctions de sacristain, qui se bornaient, dans la paroisse supprimée depuis la Révolution, à tenir chez lui les clefs de l'église et à sonner l'_Angelus_ trois fois par jour. Cette pratique n'était nullement obligatoire; mais les habitants ayant l'habitude d'entendre le son de leur cloche, qui était pour eux une sorte d'horloge, eussent trouvé mauvais que le sacristain s'en dispensât. Et, comme il était trop cassé et trop souvent malade pour n'y pas manquer, sa sœur, la Grand'Gothe, qui se conserva ingambe et verte jusqu'à son dernier jour, sonnait l'_Angelus_ à sa place quand il ne pouvait sortir du lit. On prétend qu'elle était si impie que tout en secouant la vieille cloche, elle débitait et faisait même mille ordures dans l'église, où personne n'osait la suivre. Tant il y a que, dans l'intervalle de quelques semaines qui s'écoula entre la mort du vieux sacristain et la nomination de son successeur, la cloche sonna d'elle-même non plus trois fois par jour, mais tous les soirs après le coucher du soleil, sans qu'on vît personne entrer dans l'église. Seulement, on vit la vieille pie voler dans le clocher, et comme on doutait que ce fût la même qui avait été tuée et jetée sur le fumier par les gars du village, on entendit sa petite voix rauque qui recommençait à raconter tout les secrets d'un chacun et à insulter hommes et femmes, jeunes et vieux, sans respect ni ménagement. Et l'on sut par elle bien des choses qui divertissaient les uns et fâchaient les autres. Le pire, c'est que l'on ne savait comment se débarrasser de cette mauvaise âme de pie, car de faire dire des messes pour elle, il n'y fallait point songer. La chose dura jusqu'à ce que le nouveau sacristain prît possession de l'église, et comme c'était un bon chrétien, _priant ferme et sonnant dur_, le méchant esprit disparut et la cloche n'obéit plus qu'à celui qui avait le droit de la faire chanter. Naturellement, le souvenir de cette pie fantastique et médisante réveille en nous celui du _lupeux_, qu'il ne faudra confondre ni avec le _lupin_, ni avec le _lubin_, ni avec les autres variétés du loup-garou. Le lupeux est un démon dont la nature n'a jamais été bien définie et dont _l'apparaissance_ varie suivant les localités. C'est encore au pays de Brenne qu'il fait sa résidence, dans ces interminables plaines semées d'étangs immenses qui ont tous leur légende et où vivent les grands serpents donneurs de fièvres, cousins-germains des _cocadrilles_ que l'on aperçoit quand les eaux sont basses, mais que l'on ne peut détruire qu'en desséchant les marécages où ils résident depuis que le monde est monde. Un de nos amis, qui parcourait le pays avec un guide, entendit, un soir, dans le crépuscule, une voix presque humaine et très douce qui, d'un ton enjoué ou plutôt goguenard, répétait de place en place, autour de lui: _Ah! ah!_ Il regarda de tous côtés, ne vit rien et dit à son compagnon de route:--Voilà quelqu'un de bien étonné; est-ce à cause de nous? Le guide ne répondit rien. Ils continuèrent à marcher dans la plaine déserte où les arbres _têteaux_, c'est-à-dire étêtés et mutilés par l'ébranchage, prenaient sur l'horizon, blanchi à l'approche de la lune, les formes les plus monstrueuses et les plus bizarres. La petite voix claire et douce suivait nos voyageurs, et, à chaque mouvement de surprise que faisait notre ami, répétait _ah! ah!_ d'une manière si moqueuse et si gaie, qu'il ne put s'empêcher de rire en lui répondant:--_Hé bien, quoi donc?_ --Taisez-vous, pour l'amour de Dieu, lui dit son guide en lui serrant le bras et en se signant avec dévotion; ne lui parlez pas, n'ayez pas l'air de l'entendre. Pages: | Prev | | 1 | | 2 | | 3 | | 4 | | 5 | | 6 | | 7 | | 8 | | 9 | | 10 | | 11 | | 12 | | 13 | | 14 | | Next | |
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