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Ils continuèrent à marcher dans la plaine déserte où les arbres _têteaux_, c'est-à-dire étêtés et mutilés par l'ébranchage, prenaient sur l'horizon, blanchi à l'approche de la lune, les formes les plus monstrueuses et les plus bizarres. La petite voix claire et douce suivait nos voyageurs, et, à chaque mouvement de surprise que faisait notre ami, répétait _ah! ah!_ d'une manière si moqueuse et si gaie, qu'il ne put s'empêcher de rire en lui répondant:--_Hé bien, quoi donc?_ --Taisez-vous, pour l'amour de Dieu, lui dit son guide en lui serrant le bras et en se signant avec dévotion; ne lui parlez pas, n'ayez pas l'air de l'entendre. Si vous lui répondez encore une fois, nous sommes perdus! Notre ami, qui connaît bien les idées du paysan, ne s'obstina pas, et quand ils eurent lassés par leur silence l'invisible persiffleur:--Ah ça, dit-il à son guide, c'est un oiseau de nuit, une espèce de chouette?--Ah bien, oui! répondit l'autre, un bel oiseau! c'est le lupeux! Ça commence par plaisanter avec vous, ça rit, ça vous tire de votre chemin, ça vous emmène et puis ça ce fâche, et _ça vous périt_ dans quelque fondière. Telle est, en effet, la spécialité du lupeux, démon aussi spirituel que méchant, que l'on a vu quelquefois perché sur un arbre tortu, vu qu'il est lui-même de _travers_, c'est-à-dire _traversieux_, c'est-à-dire enfin pervers et amoureux _de naissance_. Les gens qui ont eu l'imprudence de le suivre et de l'écouter s'en sont mal trouvés. Il n'est sorte de plaisants contes, de méchants propos, de commérages sanglants ou comiques dont il ne vous régale dès que vous avez été assez curieux pour lui dire jusqu'à trois fois: _Quoi donc?_ ou _qu'est-ce qu'il y a?_ Il commence alors à babiller comme une _ageasse_ (une pie), il vous régale d'aventures étranges et scandaleuses, il promet de vous faire surprendre des rendez-vous galants qui intéressent votre malice naturelle ou votre jalousie conjugale. Une fois dans ses griffes, on ne se lasse pas de l'écouter et de le questionner. Il vous conduit au bord d'une eau trompeuse et vous dit: _Regarde!_ Vous vous penchez vers ce fantastique miroir où vous apparaissent en effet les images qui troublent votre imagination; mais le perfide vous pousse, et quand la mort vous enlace de ses bras glacés, vous entendez le lupeux, perché sur une branche au-dessus de l'eau, dire, de sa jolie scélérate de voix:--_Ah! ah! Hé bien, voilà ce que c'est!_ Dans le canton de La Châtre, ce ne sont pas seulement les animaux qui _reviennent_, ce sont encore les meubles. Du temps que le château de Briantes était encore habité, il s'y passait des scènes de l'autre monde. Un certain paysan régisseur qui voulut approfondir ces mystères et qui s'y porta en esprit fort, dut y renoncer. Il y avait, dans la plus haute chambre, une oubliette d'où sortaient, la nuit, des clameurs effroyables, des cris d'animaux, des plaintes humaines et de grandes bouffées de vent qui éteignaient les lumières. C'étaient les âmes des gens et des bêtes qui avaient été massacrés en ce domaine par les huguenots pillards et les reîtres sans merci. Mais il y a plus, les meubles ayant été brisés, jetés par les fenêtres et toutes choses _mises à sac_, en ce temps de calamités, on entendait aussi des craquements et des _fracassements_ d'objets invisibles qui semblaient rouler sur vous le long des escaliers et menacer de vous écraser. Le susdit régisseur ayant bravé quelque temps ces prodiges sans en recevoir aucun dommage, s'en croyait quitte; mais un soir qu'il revenait de la foire et entrait en la cuisine du castel pour se reposer et se chauffer, la chaise sur laquelle il voulut s'asseoir se tourna contre lui, les pieds en l'air, et tandis qu'il en cherchait une de meilleure volonté, toutes les chaises et tous les bancs de ladite cuisine, se ruèrent sur lui et lui donnèrent tant de coups qu'il lui fallut céder et fuir; d'autant plus que les broches et couperets se mettaient de la partie et lui donnèrent la chasse jusqu'au milieu de la cour. D'où l'on dut logiquement conclure que les choses inanimées avaient le droit de se plaindre et de crier à leur manière, comme des âmes en peine, et qu'il ne fallait pas plus se moquer d'elles que des autres revenants. Le moine des Étangs-Brisses Passants qui, aux derniers rayons du soleil, longez les marécages, prenez garde au moine gigantesque qui se lève tout-à-coup du milieu des roseaux. Fuyez et n'écoutez pas ses discours maudits! Maurice SAND. Jeanne et Pierre s'étaient attardés, un dimanche, le long des Étangs-Brisses. C'est un endroit qui n'est pas gai, surtout le soir. Quand on a passé les bois, on arrive sur un grand plateau tout nu, où il n'y a que joncs et sable et de grandes flaques d'eau qui se rejoignent à la saison des pluies et font comme un lac dont le fond paraît tout noir. Au temps passé, un méchant moine, pris de vin, y fut noyé avec son âne, pour avoir voulu suivre une petite chaussée bien étroite que l'eau couvrait. L'âne n'avait point fait de mal, jamais on ne l'entendit braire; mais le moine libertin fut condamné à sentir les affres de la mort et les angoisses de sa dernière heure tant qu'il y aurait une goutte d'eau dans les Étangs-Brisses. Or, bien que la culture empiète chaque année sur les bords de ces petits lacs, ils ne font point mine de tarir; donc le supplice du moine dure encore et durera Dieu sait combien! Jeanne connaissait bien la mauvaise renommée des étangs; mais Pierre n'y voulait pas croire et s'en moquait. Il l'empêchait d'ailleurs d'y songer, lui disant toutes sortes de choses que Jeanne trouvait belles et agréables à entendre. Ils étaient fiancés et revenaient de la ville, où ils avaient choisi leurs _livrées_ de noce, c'est-à-dire habits neufs, rubans et dentelles pour le grand jour. Ils marchaient ensemble, se tenant par le petit doigt, comme c'est la coutume des accordés, lorsqu'ils se trouvèrent sur la chaussée, les pieds pris dans la vase. La veille, un gros orage avait enflé l'étang qui débordait un peu. --Tu me mènes mal, dit Jeanne à son amoureux; m'est avis que ce n'est point là le bon passage. --Attends que je m'y reconnaisse, lui répondit Pierre. De vrai, le soleil est couché, et les roseaux sont tout noirs, tous pareils les uns aux autres. Reste un peu là, je m'en irai voir si on peut en sortir. Jeanne était lasse; elle s'assit dans les roseaux et regarda le ciel rouge tout _pigelé_, c'est-à-dire tout marbré de jaune et de brun, et son esprit se tourna à la tristesse, sans qu'elle eût pu dire pourquoi. «Si c'était tout-à-fait de nuit, pensa-t-elle, je ne voudrais point me trouver seule en ce mauvais endroit, où, _dans le temps_, le moine _s'est péri_. Pourvu que Pierre ne marche pas à faux dans ces herbes folles!» Elle le suivit des yeux tant qu'elle put le voir, et puis elle ne le vit plus du tout et commença de trembler de tout son pauvre corps. Tout d'un coup, elle vit voler une grande bande de canards sauvages qui venait de son côté en menant du bruit; et, se levant sur la pointe de ses pieds, elle vit Pierre qui revenait, s'amusant à jeter des cailloux dans l'eau pour faire lever d'autres bandes d'oiseaux dont l'étang se remplissait, à mesure que la nuit descendait du haut du ciel. Quand Pierre fut à côté d'elle, il lui dit:--Nous sommes dans le vrai chemin, et sauf un peu de bourbe, nous passerons bien. Laisse-moi souffler une minute, car j'ai marché vite et, d'ailleurs, l'endroit n'est pas trop vilain pour se reposer. --Si tu le trouves joli, c'est une drôle d'idée, mon Pierre; moi je m'y déplais et le temps m'y a duré. Repose-toi vite, car j'en veux sortir avant la grand'nuit. Quand Pierre se fut assis dans les roseaux à côté de Jeanne, il lui dit:--Mon Dieu! Jeanne le temps m'a bien duré aussi en marchant, car il me semble que je ne t'ai point embrassée depuis deux ans. --_Diseu' de riens!_ reprit-elle, tu m'as embrassée il n'y a pas deux quarts d'heure. --Eh bien! ma mie, où est le mal? --Je ne dis point qu'il y en ait, puisque nous nous marions! --Or donc, laisse-moi t'embrasser encore une petite fois, ou sept. Jeanne se laissa embrasser une fois, disant que c'était assez. Elle n'y entendait point malice, mais elle savait que s'il est permis aux accordés de campagne de s'embrasser en marchant, devant les passants, il n'est point convenable ni honnête de se dire ses amitiés en cachette du monde, et de s'arrêter dans les endroits où personne ne passe. Pierre, qui était un garçon _bien comme il faut_, c'est-à-dire sachant se comporter en tout de la vraie manière, était content de voir Jeanne le tenir à distance, et il ne faisait le jeu d'outrepasser un peu son droit que pour avoir le plaisir de recevoir d'elle une bonne tape de temps en temps, ce qui est, comme chacun sait, une grande marque de confiance et d'amitié. Et quand ils se furent ainsi honnêtement chamaillés un petit moment, ils se mirent à causer de l'avenir, ce qui est encore une grande réjouissance entre gens qui doivent passer leur vie ensemble. Et les voilà comptant et recomptant leurs petits apports, se bâtissant une maison neuve et se plantant un joli petit jardin, comme qui dirait dans la tête, car les pauvres enfants ne possédaient pas gros, et il leur fallait travailler seulement pour entretenir ce qu'ils avaient. Mais voilà qu'une voix que Pierre n'entendait pas, se mit à parler à Jeanne comme si c'était celle de Pierre, tandis qu'une voix se mettait à parler avec Pierre comme si c'était celle de Jeanne, et pourtant ce ne l'était point et Jeanne ne l'entendait mie. Et ainsi ils crurent se dire des choses qu'ils ne se disaient point et se trouvèrent en mauvais accord sans savoir d'où cela leur venait. Jeanne reprochait à Pierre d'être un paresseux et d'aimer le cabaret; Pierre reprochait à Jeanne d'être coquette et d'aimer trop la braverie. Si bien que tous deux se mirent à pleurer et à bouder, ne se voulant plus rien dire. Mais une chose étonnante, c'est qu'en ne se disant plus rien, et en ne se voyant point remuer les lèvres, ils entendirent, tous deux à la fois, une voix très sourde qui parlait en manière de grenouille ou de canne sauvage, et qui disait les plus méchantes paroles du monde. --Que faites-vous là, enfants, à vous bouder, au lieu de mettre à profit la nuit et la solitude? 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