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Tout-à-coup la montagne se précipita, emportant le pont qui l'avait retenue et balayant tout sur son passage, maisons, troupeaux, cultures et passants. Pourtant le souvenir de ce désastre n'a pas suffi à peupler d'âmes en peine les bords et les îlots de la terrible rivière. Il s'y joint la tradition vague d'un combat de faux-saulniers contre les gens de la gabelle, au temps où les seigneurs et les bourgeois conduisaient, dans les sentiers escarpés, leurs mulets chargés de sel de contrebande. L'histoire du Berry ne dit rien de cette bataille. Les vieux paysans l'ont entendue raconter à leurs pères, qui la tenaient de leurs grands-pères. Beaucoup de gens, disent-ils, y périrent, et furent précipités des rochers dans la Creuse. C'est pourquoi l'on entend, dans les _mauvaises nuits_, des voix que personne ne connaît et qui crient sans relâche: _Au sel! au sel!_ A ce cri, tous les mulets des pâturages voisins s'enfuient, les oreilles couchées et la queue entre les jambes, comme si le diable était après eux. Dans cette même région, la croyance au _grand serpent_ se réveille de temps à autre. On se soucie peu des milliers de vipères qui vivent dans les rochers et qui, dit-on, n'ont jamais fait de mal à personne; mais le serpent de quarante pieds de longueur et qui a la tête faite comme un homme, est celui dont on se préoccupe. C'est probablement le même qui, _dans les temps anciens, mangea_ trois prisonniers dans le cachot de la grosse tour de Châteaubrun. Depuis, il s'est montré plusieurs fois, et l'année dernière, 1857, tout le pays était en émoi, parce qu'une bergère l'avait vu dans un buisson. Plus de cinquante chasseurs étaient sur pied pour le chercher; mais, comme de coutume, on ne le trouva point. Le follet d'Ep-nell Sous la pierre d'Ep-nell, un follet de mauvaise race se tient blotti. C'est un follet à queue: ce sont les pires. Au lieu de soigner et de promener les chevaux, ils les effraient, les maltraitent et les rendent poussifs. Maurice SAND. _Georgeon_ était le diable de la partie du Berry que l'on appelle la vallée Noire. Je dis _était_, parce qu'il est fort oublié aujourd'hui et qu'il faut remonter au souvenir des vieillards morts depuis une trentaine d'années, pour repêcher dans le fleuve d'oubli qui passe si vite aujourd'hui, le nom mystérieux qui ne devait jamais être écrit, «ni sur papier, ni sur bois, ni sur ardoise, ni sur pierre quelconque, ni sur étoffe, ni sur terre, ni sur poussière ou sable, ni même sur neige tombée du ciel.» Ce nom terrible, qui présidait aux formules les plus efficaces et les plus secrètes, ne devait être confié aux adeptes de la sorcellerie que dans le _pertuis de l'oreille_, et il n'était pas permis de le leur dire plus de trois fois. S'ils l'oubliaient, c'était tant pis pour eux. Il fallait financer de nouveau pour obtenir de l'entendre encore. Ce nom devait, en aucune circonstance, être révélé aux profanes et jamais prononcé tout haut, sinon dans la nuit noire et l'entière solitude. Celui qui me les confia l'avait surpris et _n'y croyait point_. Pourtant il se repentit de me l'avoir dit et revint me prier de ne pas le répéter. «J'ai mal rêvé cette nuit, disait-il; par trois fois ma fenêtre s'est ouverte toute grande, sans que personne autre que moi fût entré dans ma chambre.» Quel était le rang et le titre de _Georgeon_ dans la hiérarchie des esprits de malice? C'est ce que je n'ai pu savoir. C'est lui qu'il fallait appeler aux _carrois_ ou carrefours des chemins, ou sous certains vieux arbres mal famés, pour faire apparaître l'esprit mystérieux. Avait-il pouvoir par lui-même sur certaines choses de la nature, ou n'était-il qu'un messager intermédiaire entre l'enfer et l'adepte? Je le croirais: un homme du nom de Georgeon avait été jadis emporté à Montgivray par le diable. C'est peut-être cette mauvaise âme qui faisait dès lors le métier de conduire les autres âmes à la perdition. Georgeon était à moitié invisible, en ce sens qu'il n'apparaissait que dans les nuits sans lune ou à travers d'épais brouillards. On voyait alors une forme humaine plus grande que nature; mais l'habit, les traits, les détails de cette forme restaient toujours insaisissables, ou tellement vagues qu'il était impossible d'en conserver la mémoire aussi bien que de le reconnaître, même à la voix, quand on avait plusieurs entrevues avec lui. Il fallait chaque fois l'appeler par son nom, et lui dire: «Est-ce toi avec qui j'ai parlé telle nuit et en tel lieu?» S'il ne répondait pas _c'est moi_, il fallait se défier et ne rien lui raconter de ce qui s'était passé dans les précédents entretiens avec le diable, soit que Georgeon cachât son identité pour éprouver la discrétion et la prudence de son adepte, soit que le paysan pousse la prudence jusqu'à se méfier du diable, même après s'être donné à lui. Il est certain, tout au moins, que le paysan a la prétention d'être aussi rusé que Satan et qu'en tout pays ses légendes merveilleuses sont pleines de malices attribuées à de bons gars qui ont su berner le démon et le prendre dans ses propres pièges. Parmi les plus jolies, il faut citer celle du fé _amoureux_ que rapporte l'auteur de la _Normandie merveilleuse_ et qui a toute la grâce du langage rustique. Le _fé_ s'était épris d'une belle femme de campagne; chaque soir, pendant qu'elle filait auprès de son feu, il venait s'asseoir sur un escabeau, à l'autre coin de la cheminée. La femme s'étant aperçue de sa présence et de ses regards de convoitise, avertit son mari, qui prit ses vêtements, sa place et sa quenouille, et faisant mine de filer, attendit le lutin. Celui-ci arrive, regarde de travers l'étrange filandière et lui dit: «Où donc est la belle, belle, d'hier au soir, qui file, file, et _atourole_ toujours, car toi, tu tournes, tournes, et tu n'_atourole_ pas?» Le mari ne répond rien et attend que le _fé_ se soit assis sur l'escabeau d'où il avait coutume de dévorer des yeux la femme du logis, et où l'on avait traîteusement placé la galetière[10] rougie au feu. Le _fé_ s'assied, en effet, brûle outrageusement sa queue et fait un grand cri, en disant: «Qui m'a fait cette mauvaise mauvaiseté? Est-ce la belle, belle, qui atourole toujours?--Non, répond le mari; c'est _moi, moi-même_, qui n'atourole jamais!» Le _fé_ exaspéré s'envole par la cheminée pour appeler ses compagnons qui prenaient leurs ébats sur le toit. «Qu'as-tu donc à crier, crier? lui disent-ils.--Je me brûle, brûle!--Et qui t'a ainsi brûlé, brûlé?--C'est _moi, moi-même_, qui n'atourole jamais[11].» Cette réponse parut si stupide aux autres fés, qui sont des esprits très railleurs, que le mari de la belle fileuse les entendit rire comme des fous, huer, berner et chasser le pauvre amoureux, de quoi il fut fort aise, car il avait eu bien peur d'attirer contre lui toute la bande des lutins, et jamais plus l'amoureux de sa femme n'osa se présenter derechef en sa maison. Cette légende normande a une sorte de pendant en Berry, ou plutôt c'est la même légende, avec des variantes qui caractérisent l'esprit local. Ici le follet, ou fadet, l'histoire ne dit pas précisément à quel type d'esprits malins il appartenait, n'avait nullement l'amour en tête. Positif comme un diable berrichon, il ne songeait qu'à faire enrager la filandière, laquelle n'_atourolait_ pas le lin sur son fuseau, mais filait en faisant _virer_ de la laine sur un rouet, et, au lieu de la contempler avec des yeux tendres, il embrouillait et cassait méchamment son brin, afin de pouvoir, pendant qu'elle le raccommodait, se glisser dans l'_arche_ (la huche au pain) et d'y voler les galettes que la ménagère avait mises en réserve pour ses enfants. S'étant aperçue de ce manège la bonne femme ne fit semblant de rien et feignant de se baisser, elle ramassa subtilement le fin bout de la longue queue du personnage, l'attacha avec son brin de laine et se mit à la _vironner_, _vironner_ sur son rouet, comme si ce fût un écheveau. Le fadet ne s'en aperçut pas tout de suite, occupé qu'il était à se vautrer dans la galette au fromage. Mais quand le rouet eut roulé cinq ou six brassés de queue, il le sentit fort bien et se prit à crier: _Ma queue, ma queue_. La dévideuse n'en tint pas compte, et, toujours _vironnant_, se mit à chanter: _Pelotte, pelotte, ma roulotte_! d'une si bonne voix et menant si grand bruit avec sa roue, que les autres diables, embusqués sur le toit, n'entendirent pas les gémissements et les imprécations de leur camarade, lequel fut bien forcé de se rendre, et de jurer par le nom du grand diable d'enfer qu'il ne remettrait jamais les pieds dans la maison. D'après certaines versions, le lutin qui s'amuse à _jouiller_ (embrouiller et mêler) les fils des dévideuses est un esprit femelle, une mauvaise _fade_. J'ai entendu, dans mon enfance, une vieille qui avait coutume de dire en pareille occasion, la _jouillarde s'y est mise_! et elle faisait une croix dans la main pour conjurer et chasser la diablesse. Ce qu'ailleurs on appelle le _gobelin_, le _fé_, le _lutin_, le _farfadet_, le _kobbold_, l'_orco_, l'_elfe_, le _troll_, etc., etc., en Berry, on l'appelle le plus souvent le follet. Il en est de bons et de mauvais. Ceux qui pansent les chevaux à l'écurie et dont tous les valets de ferme entendent le fouet et l'appel de langue, de même que ceux qui, la nuit, font galoper la chevaline au pâturage, et qui leur _jouillent_ le crin pour s'en faire des étriers (vu qu'ils sont trop petits pour se tenir sur la croupe de l'animal et qu'ils chevauchent toujours sur l'encolure), sont d'assez bons enfants et fuient à l'approche de l'homme. Toute leur malice consiste à faire mourir ou avorter les juments dont on se permet de couper la crinière quand il leur a plu de la tresser et de la nouer pour leur usage. On appelle les montures favorites du follet _chevaux bouclés_, et autrefois on les estimait comme les meilleurs et les plus ardents. 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