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Frère Archangias, resté
seul avec le prêtre, demanda d'une voix maussade:

- C'est pour le Mois de Marie?

- Oui, répondit l'abbé Mouret. Ces jours derniers, les filles du
pays, qui avaient de gros travaux, n'ont pu venir, selon l'usage,
orner la chapelle de la Vierge. La cérémonie a été remise à ce soir.

- Un joli usage, marmotta le Frère. Quand je les vois déposer
chacune leurs rameaux, j'ai envie de les jeter par terre, pour
qu'elles confessent au moins leurs vilenies, avant de toucher à
l'autel... C'est une honte de souffrir que des femmes promènent
leurs robes si près des saintes reliques.

L'abbé s'excusa du geste. Il n'était aux Artaud que depuis peu, il
devait obéir aux coutumes.

- Quand vous voudrez, monsieur le curé? cria la Teuse.

Mais Frère Archangias le retint un instant encore.

- Je m'en vais, reprit-il. La religion n'est pas une fille, pour
qu'on la mette dans les fleurs et dans les dentelles.

Il marchait lentement vers la porte. Il s'arrêta de nouveau, levant
un de ses doigts velus, ajoutant:

- Méfiez-vous de votre dévotion à la Vierge.





XIII.

Dans l'église, l'abbé Mouret trouva une dizaine de grandes filles,
tenant des branches d'olivier, de laurier, de romarin. Les fleurs de
jardin ne poussant guère sur les roches des Artaud, l'usage était de
parer l'autel de la Vierge d'une verdure résistante qui durait tout
le mois de mai. La Teuse ajoutait des giroflées de muraille, dont
les queues trempaient dans de vieilles carafes.

- Voulez-vous me laisser faire, monsieur le curé? demanda-t-elle.
Vous n'avez pas l'habitude... Tenez, mettez-vous là, devant l'autel.
Vous me direz si la décoration vous plaît.

Il consentit, et ce fut elle qui dirigea réellement la cérémonie.
Elle était montée sur un escabeau; elle rudoyait les grandes filles
qui s'approchaient tour à tour, avec leurs feuillages.

- Pas si vite, donc! Vous me laisserez bien le temps d'attacher les
branches. Il ne faut pas que tous ces fagots tombent sur la tête de
monsieur le curé... Eh bien! Babet, c'est ton tour. Quand tu me
regarderas, avec tes gros yeux! Il est joli, ton romarin! il est
jaune comme un chardon. Toutes les bourriques du pays ont donc pissé
dessus!... A toi, la Rousse. Ah! voilà un beau laurier, au moins! Tu
as pris ça dans ton champ de la Croix-Verte.

Les grandes filles posaient leurs rameaux sur l'autel, qu'elles
baisaient. Elles restaient un instant contre la nappe, passant les
branches à la Teuse, oubliant l'air sournoisement recueilli qu'elles
avaient pris pour monter le degré; elles finissaient par rire, elles
butaient des genoux, ployaient les hanches au bord de la table,
enfonçaient la gorge en plein dans le tabernacle. Et, au-dessus
d'elles, la grande Vierge de plâtre doré inclinait sa face peinte,
souriait de ses lèvres roses au petit Jésus tout nu qu'elle portait
sur son bras gauche.

- C'est ça, Lisa! cria la Teuse, assieds-toi sur l'autel, pendant
que tu y es! Veux-tu bien baisser tes jupes! Est-ce qu'on montre ses
jambes comme ça!... Qu'une de vous s'avise de se vautrer! je lui
envoie ses branches à travers la figure... Vous ne pouvez donc pas
me passer cela tranquillement!

Et se tournant:

- Est-ce à votre goût, monsieur le curé? Trouvez-vous que ça aille?

Elle établissait, derrière la Vierge, une niche de verdure, avec des
bouts de feuillage qui dépassaient, formant berceau, retombant en
façon de palmes. Le prêtre approuvait d'un mot, hasardait une
observation.

- Je crois, murmura-t-il, qu'il faudrait un bouquet de feuilles plus
tendres, en haut.

- Sans doute, gronda la Teuse. Elles ne m'apportent que du laurier
et du romarin... Quelle est celle qui a de l'olivier? Pas une,
allez! Elles ont peur de perdre quatre olives, ces païennes-là.

Mais Catherine monta le degré, avec une énorme branche d'olivier,
sous laquelle elle disparaissait.

- Ah! tu en as, toi, gamine, reprit la vieille servante.

- Pardi, dit une voix, elle l'a volé. J'ai vu Vincent qui cassait la
branche, pendant qu'elle faisait le guet.

Catherine, furieuse, jura que ce n'était pas vrai. Elle s'était
tournée, sans lâcher sa branche, dégageant sa tête brune du buisson
qu'elle portait; elle mentait avec un aplomb extraordinaire,
inventait une longue histoire pour prouver que l'olivier était bien
à elle.

- Et puis, conclut-elle, tous les arbres appartiennent à la sainte
Vierge.

L'abbé Mouret voulut intervenir. Mais la Teuse demanda si on se
moquait d'elle, à lui laisser si longtemps les bras en l'air. Et
elle attacha solidement la branche d'olivier, pendant que Catherine,
grimpée sur l'escabeau, derrière son dos, contre-faisait la façon
pénible dont elle tournait sa taille énorme, à l'aide de sa bonne
jambe; ce qui fit sourire le prêtre lui-même.

- Là, dit la Teuse, en descendant auprès de celui-ci, pour donner un
coup d'oeil à son oeuvre; voilà le haut terminé... Maintenant, nous
allons mettre des touffes entre les chandeliers, à moins que vous ne
préfériez une guirlande qui courrait le long des gradins.

Le prêtre se décida pour de grosses touffes.

- Allons, avancez, reprit la servante, montée de nouveau sur
l'escabeau. Il ne faut pas coucher ici... Veux-tu bien baiser
l'autel, Miette? Est-ce que tu t'imagines être dans ton écurie?...
Monsieur le curé, voyez donc ce qu'elles font, là-bas? Je les
entends qui rient comme des crevées.

On éleva une des deux lampes, on éclaira le bout noir de l'église.
Sous la tribune, trois grandes filles jouaient à se pousser; une
d'elles était tombée la tête dans le bénitier, ce qui faisait tant
rire les autres, qu'elles se laissaient aller par terre pour rire à
leur aise. Elles revinrent, regardant le curé en dessous, l'air
heureux d'être grondées, avec leurs mains ballantes qui leur
tapaient sur les cuisses.

Mais ce qui fâcha surtout la Teuse, ce fut d'apercevoir brusquement
la Rosalie montant à l'autel comme les autres, avec son fagot.

- Veux-tu bien descendre! lui cria-t-elle. Ce n'est pas l'aplomb qui
te manque, ma fille!... Voyons, plus vite, emporte-moi ton paquet.

- Tiens, pourquoi donc? dit hardiment Rosalie. On ne m'accusera
peut-être pas de l'avoir volé.

Les grandes filles se rapprochaient, faisant les bêtes, échangeant
des coups d'oeil luisants.

- Va-t'en, répétait la Teuse; ta place n'est pas ici, entends-tu!

Puis, perdant son peu de patience, brutalement, elle lâcha un mot
très gros, qui fit courir un rire d'aise parmi les paysannes.

- Après? dit Rosalie. Est-ce que vous savez ce que font les autres?
Vous n'êtes pas allée y voir, n'est-ce pas?

Et elle crut devoir éclater en sanglots. Elle jeta ses rameaux, elle
se laissa emmener à quelques pas par l'abbé Mouret, qui lui parlait
très sévèrement. Il avait tenté de faire taire la Teuse, il
commençait à être gêné au milieu de ces grandes filles éhontées,
emplissant l'église, avec leurs brassées de verdure. Elles se
poussaient jusqu'au degré de l'autel, l'entouraient d'un coin de
forêt vivante, lui apportaient le parfum rude des bois odorants,
comme un souffle monté de leurs membres de fortes travailleuses.

- Dépêchons, dépêchons, dit-il en tapant légèrement dans les mains.

- Pardi! j'aimerais mieux être dans mon lit, murmura la Teuse; si
vous croyez que c'est commode d'attacher tous ces bouts de bois!

Cependant, elle avait fini par nouer entre les chandeliers de hauts
panaches de feuillage. Elle plia l'escabeau, que Catherine alla
porter derrière le maître-autel. Elle n'eut plus qu'à planter des
massifs, aux deux côtés de la table. Les dernières bottes de verdure
suffirent à ce bout de parterre; même il resta des rameaux, dont les
filles jonchèrent le sol, jusqu'à la balustrade de bois. L'autel de
la Vierge était un bosquet, un enfoncement de taillis, avec une
pelouse verte, sur le devant.

La Teuse consentit alors à laisser la place à l'abbé Mouret. Celui-
ci monta à l'autel, tapa de nouveau légèrement dans ses mains.

- Mesdemoiselles, dit-il, nous continuerons demain les exercices du
Mois de Marie. Celles qui ne pourront venir, devront tout au moins
dire leur chapelet chez elles.

Il s'agenouilla, tandis que les paysannes, avec un grand bruit de
jupes, se mettaient par terre, s'asseyant sur leurs talons. Elles
suivirent son oraison d'un marmottement confus, où perçaient des
rires. Une d'elles, se sentant pincée par derrière, laissa échapper
un cri, qu'elle tâcha d'étouffer dans un accès de toux; ce qui égaya
tellement les autres, qu'elles restèrent un instant à se tordre,
après avoir dit Amen, le nez sur les dalles, sans pouvoir se
relever.

La Teuse renvoya ces effrontées, pendant que le prêtre, qui s'était
signé, demeurait absorbé devant l'autel, comme n'entendant plus ce
qui se passait derrière lui.

- Allons, déguerpissez, maintenant, murmurait-elle. Vous êtes un tas
de propres à rien, qui ne savez même pas respecter le bon Dieu...
C'est une honte, ça ne s'est jamais vu, des filles qui se roulent
par terre dans une église, comme des bêtes dans un pré... Qu'est-ce
que tu fais là-bas, la Rousse? Si je t'en vois pincer une, tu auras
affaire à moi! Oui, oui, tirez-moi la langue, je dirai tout à
monsieur le curé. Dehors, dehors, coquines!

Elle les refoulait lentement vers la porte, galopant autour d'elles,
boitant d'une façon furibonde. Elle avait réussi à les faire sortir
jusqu'à la dernière, lorsqu'elle aperçut Catherine tranquillement
installée dans le confessionnal avec Vincent; ils mangeaient quelque
chose, d'un air ravi. Elle les chassa. Et comme elle allongeait le
cou hors de l'église, avant de fermer la porte, elle vit la Rosalie
se pendre aux épaules du grand Fortuné qui l'attendait; tous deux se
perdirent dans le noir, du côté du cimetière, avec un bruit affaibli
de baisers.

- Et ça présente à l'autel de la Vierge! bégaya-t-elle, en poussant
les verrous. Les autres ne valent pas mieux, je le sais bien. Toutes
des gourgandines qui sont venues ce soir, avec leurs fagots,
histoire de rire et de se faire embrasser par les garçons, à la
sortie! Demain, pas une ne se dérangera; monsieur le curé pourra
bien dire ses Ave tout seul...



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