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Text on one page: Few Medium Many
La
corde, près du confessionnal, pendait de nouveau, immobile. La
veilleuse, dans un verre de couleur, brûlait, pareille à une tache
rouge, à droite du tabernacle, contre le mur. Vincent, après avoir
porté les burettes sur la crédence, revint s'agenouiller à gauche,
au bas du degré, tandis que le prêtre, ayant salué le Saint-
Sacrement d'une génuflexion sur le pavé, montait à l'autel et
étalait le corporal, au milieu duquel il plaçait le calice. Puis,
ouvrant le Missel, il redescendit. Une nouvelle génuflexion le plia;
il se signa à voix haute, joignit les mains devant la poitrine,
commença le grand drame divin, d'une face toute pâle de foi et
d'amour.

- Introibo ad altare Dei.

- Ad Deum qui laetificat juventutem meam, bredouilla Vincent, qui
mangea les répons de l'antienne et du psaume, le derrière sur les
talons, occupé à suivre la Teuse rôdant dans l'église.

La vieille servante regardait un des cierges d'un air inquiet. Sa
préoccupation parut redoubler, pendant que le prêtre, incliné
profondément, les mains jointes de nouveau, récitait le Confiteor.
Elle s'arrêta, se frappant à son tour la poitrine, la tête penchée,
continuant à guetter le cierge. La voix grave du prêtre et les
balbutiements du servant alternèrent encore pendant un instant.

- Dominus vobiscum.

- Et cum spiritu tuo.

Et le prêtre, élargissant les mains, puis les rejoignant, dit avec
une componction attendrie:

- Oremus...

La Teuse ne put tenir davantage. Elle passa derrière l'autel,
atteignit le cierge, qu'elle nettoya, du bout de ses ciseaux. Le
cierge coulait. Il y avait déjà deux grandes larmes de cire perdues.
Quand elle revint, rangeant les bancs, s'assurant que les bénitiers
n'étaient pas vides, le prêtre, monté à l'autel, les mains posées au
bord de la nappe, priait à voix basse. Il baisa l'autel.

Derrière lui, la petite église restait blafarde des pâleurs de la
matinée. Le soleil n'était encore qu'au ras des tuiles. Les Kyrie,
eleison coururent comme un frisson dans cette sorte d'étable, passée
à la chaux, au plafond plat, dont on voyait les poutres
badigeonnées. De chaque côté, trois hautes fenêtres, à vitres
claires, fêlées, crevées pour la plupart, ouvraient des jours d'une
crudité crayeuse. Le plein air du dehors entrait là brutalement,
mettant à nu toute la misère du Dieu de ce village perdu. Au fond,
au-dessus de la grande porte, qu'on n'ouvrait jamais, et dont des
herbes barraient le seuil, une tribune en planches, à laquelle on
montait par une échelle de meunier, allait d'une muraille à l'autre,
craquant sous les sabots les jours de fête. Près de l'échelle, le
confessionnal, aux panneaux disjoints, était peint en jaune citron.
En face, à côté de la petite porte, se trouvait le baptistère, un
ancien bénitier posé sur un pied en maçonnerie. Puis, à droite et à
gauche, au milieu, étaient plaqués deux minces autels, entourés de
balustrades de bois. Celui de gauche, consacré à la sainte Vierge,
avait une grande Mère de Dieu en plâtre doré, portant royalement une
couronne d'or fermée sur ses cheveux châtains; elle tenait, assis
sur son bras gauche, un Jésus, nu et souriant, dont la petite main
soulevait le globe étoilé du monde; elle marchait au milieu de
nuages, avec des têtes d'anges ailées sous les pieds. L'autel de
droite, où se disaient les messes de mort, était surmonté d'un
Christ en carton peint, faisant pendant à la Vierge; le Christ, de
la grandeur d'un enfant de dix ans, agonisait d'une effrayante
façon, la tête rejetée en arrière, les côtes saillantes, le ventre
creusé, les membres tordus, éclaboussés de sang. Il y avait encore
la chaire, une caisse carrée, où l'on montait par un escabeau de
cinq degrés, qui s'élevait vis-à-vis d'une horloge à poids, enfermée
dans une armoire de noyer, et dont les coups sourds ébranlaient
l'église entière, pareils aux battements d'un coeur énorme, caché
quelque part, sous les dalles. Tout le long de la nef, les quatorze
stations du chemin de la Croix, quatorze images grossièrement
enluminées, encadrées de baguettes noires, tachaient du jaune, du
bleu et du rouge de la Passion, la blancheur crue des murs.

- Deo gratias, begaya Vincent, à la fin de l'Épître.

Le mystère d'amour, l'immolation de la sainte victime se préparait.
Le servant prit le Missel, qu'il porta à gauche, du côté de
l'Évangile, en ayant soin de ne point toucher les feuillets du
livre. Chaque fois qu'il passait devant le tabernacle, il faisait de
biais une génuflexion qui lui déjetait la taille. Puis, revenu à
droite, il se tint debout, les bras croisés, pendant la lecture de
l'Évangile. Le prêtre, après avoir fait un signe de croix sur le
Missel, s'était signé lui-même: au front, pour dire qu'il ne
rougirait jamais de la parole divine; sur la bouche, pour montrer
qu'il était toujours prêt à confesser sa foi; sur son coeur, pour
indiquer que son coeur appartenait à Dieu seul.

- Dominus vobiscum, dit-il en se tournant, le regard noyé, en face
des blancheurs froides de l'église.

- Et cum spiritu tuo, répondit Vincent, qui s'était remis à genoux.

Après avoir récité l'Offertoire, le prêtre découvrit le calice. Il
tint un instant, à la hauteur de sa poitrine, la patène contenant
l'hostie, qu'il offrit à Dieu, pour lui, pour les assistants, pour
tous les fidèles vivants ou morts. Puis, l'ayant fait glisser au
bord du corporal, sans la toucher des doigts, il prit le calice,
qu'il essuya soigneusement avec le purificatoire. Vincent était
aller chercher sur la crédence les burettes, qu'ils présenta l'une
après l'autre, la burette du vin d'abord, ensuite la burette de
l'eau. Le prêtre offrit alors, pour le monde entier, le calice à
demi plein, qu'il remit au milieu du corporal, où il le recouvrit de
la pale. Et ayant prié encore, il revint se faire verser de l'eau
par minces filets sur les extrémités du pouce et de l'index de
chaque main, afin de se purifier des moindres taches du péché. Quand
il se fut essuyé au manuterge, la Teuse, qui attendait, vida le
plateau des burettes dans un seau de zinc, au coin de l'autel.

- Orate, fratres, reprit le prêtre à voix haute, tourné vers les
bancs vides, les mains élargies et rejointes, dans un geste d'appel
aux hommes de bonne volonté.

Et, se retournant devant l'autel, il continua, en baissant la voix.
Vincent marmotta une longue phrase latine dans laquelle il se
perdit. Ce fut alors que des flammes jaunes entrèrent par les
fenêtres. Le soleil, à l'appel du prêtre, venait à la messe. Il
éclaira de larges nappes dorées la muraille gauche, le
confessionnal, l'autel de la Vierge, la grande horloge. Un
craquement secoua le confessionnal; la Mère de Dieu, dans une
gloire, dans l'éblouissement de sa couronne et de son manteau d'or,
sourit tendrement à l'enfant Jésus, de ses lèvres peintes;
l'horloge, réchauffée, battit l'heure, à coups plus vifs. Il sembla
que le soleil peuplait les bancs des poussières qui dansaient dans
ses rayons. La petite église, l'étable blanchie, fut comme pleine
d'une foule tiède. Au dehors, on entendait les petits bruits du
réveil heureux de la campagne, les herbes qui soupiraient d'aise,
les feuilles s'essuyant dans la chaleur, les oiseaux lissant leurs
plumes, donnant un premier coup d'ailes. Même la campagne entrait
avec le soleil: à une des fenêtres, un gros sorbier se haussait,
jetant des branches par les carreaux cassés, allongeant ses
bourgeons, comme pour regarder à l'intérieur; et, par les fentes de
la grande porte, on voyait les herbes du perron, qui menaçaient
d'envahir la nef. Seul, au milieu de cette vie montante, le grand
Christ, resté dans l'ombre, mettait la mort, l'agonie de sa chair
barbouillée d'ocre, éclaboussée de laque. Un moineau vint se poser
au bord d'un trou; il regarda, puis s'envola; mais il reparut
presque aussitôt, et, d'un vol silencieux, s'abattit entres les
bancs, devant l'autel de la Vierge. Un second moineau le suivit.
Bientôt, de toutes les branches du sorbier, des moineaux
descendirent, se promenant tranquillement à petits sauts, sur les
dalles.

- Sanctus, Sanctus, Sanctus, Dominus, Deus, Sabaoth, dit le prêtre à
demi-voix, les épaules légèrement penchées.

Vincent donna les trois coups de clochette. Mais les moineaux,
effrayés de ce tintement brusque, s'envolèrent avec un tel bruit
d'ailes, que la Teuse, rentrée depuis un instant dans la sacristie,
reparut en grondant:

- Les gueux! ils vont tout salir... Je parie que mademoiselle
Désirée est encore venue leur mettre des mies de pain.

L'instant redoutable approchait. Le corps et le sang d'un Dieu
allaient descendre sur l'autel. Le prêtre baisait la nappe, joignait
les mains, multipliait les signes de croix sur l'hostile et sur le
calice. Les prières du canon ne tombaient plus de ses lèvres que
dans une extase d'humilité et de reconnaissance. Ses attitudes, ses
gestes, ses inflexions de voix, disaient le peu qu'il était,
l'émotion qu'il éprouvait à être choisi pour une si grande tâche.
Vincent vint s'agenouiller derrière lui; il prit la chasuble de la
main gauche, la soutint légèrement, apprêtant la clochette. Et lui,
les coudes appuyés au bord de la table, tenant l'hostie entre le
pouce et l'index de chaque main, prononça sur elle les paroles de la
consécration: Hoc est enim corpus meum. Puis, ayant fait une
génuflexion, il l'éleva lentement, aussi haut qu'il put, en la
suivant des yeux, pendant que le servant sonnait, à trois fois,
prosterné. Il consacra ensuite le vin: Hic est enim calix, les
coudes de nouveau sur l'autel, saluant, élevant le calice, le
suivant à son tour des yeux, la main droite serrant le noeud, la
gauche soutenant le pied. Le servant donna trois derniers coups de
clochette. Le grand mystère de la Rédemption venait d'être
renouvelé, le Sang adorable coulait une fois de plus.

- Attendez, attendez, gronda la Teuse, en tâchant d'effrayer les
moineaux, le poing tendu.

Mais les moineaux n'avaient plus peur. Ils étaient revenus, au beau
milieu des coups de clochette, effrontés, voletant sur les bancs.
Les tintements répétés les avaient même mis en joie. Ils répondirent
par de petits cris, qui coupaient les paroles latines d'un rire
perlé de gamins libres.



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