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Text on one page: Few Medium Many
Tu vois, je te parle à
l'oreille. Il me semble que je pense, et que tu m'entends... Le plus
drôle, dans mon souterrain, c'est que je n'avais pas la moindre idée
de retourner en arrière; je m'entêtais, tout en pensant qu'il me
faudrait des milliers d'années pour déblayer un seul des
éboulements. C'était une tâche fatale, que je devais accomplir sous
peine des plus grands malheurs. Les genoux meurtris, le front
heurtant le roc, je mettais une conscience pleine d'angoisse à
travailler de toutes mes forces, pour arriver le plus vite possible.
Arriver où? je ne sais pas, je ne sais pas...

Il ferma les yeux, rêvant, cherchant. Puis, il eut une moue
d'insouciance, il s'abandonna de nouveau sur la main d'Albine, en
disant avec un rire:

- Tiens! c'est bête, je suis un enfant.

Mais la jeune fille, pour voir s'il était bien à elle, tout entier,
l'interrogea, le ramena aux souvenirs confus qu'il tenait d'évoquer;
il ne se rappelait rien, il était réellement dans une heureuse
enfance. Il croyait être né la veille.

- Oh! je ne suis pas encore fort, dit-il. Vois-tu, le plus loin que
je me souvienne, c'était dans un lit qui me brûlait partout le
corps; ma tête roulait sur l'oreiller ainsi que sur un brasier; mes
pieds s'usaient l'un contre l'autre, à se frotter, continuellement...
Va! j'étais bien mal! Il me semblait qu'on me changeait le corps,
qu'on m'enlevait tout, qu'on me raccommodait comme une mécanique
cassée...

Ce mot le fit rire de nouveau. Il reprit:

- Je vais être tout neuf. Ça m'a joliment nettoyé, d'être malade...
Mais qu'est-ce que tu me demandais? Non, personne n'était là. Je
souffrais tout seul, au fond d'un trou noir. Personne, personne. Et,
au delà, il n'y a rien, je ne vois rien... Je suis ton enfant, veux-
tu? Tu m'apprendras à marcher. Moi, je ne vois que toi, maintenant.
Ça m'est bien égal, tout ce qui n'est pas toi. Je te dis que je ne
me souviens plus. Je suis venu, tu m'as pris, c'est tout.

Et il dit encore, apaisé, caressant:

- Ta main est diède, à présent; elle est bonne comme du soleil... Ne
parlons plus. Je me chauffe.

Dans la grande chambre, un silence frissonnant tombait du plafond
bleu. La lampe à esprit-de-vin venait de s'éteindre, laissant la
bouilloire jeter un filet de vapeur de plus en plus mince. Albine et
Serge, tous deux la tête sur le même oreiller, regardaient les
grands rideaux de calicot tirés devant les fenêtres. Les yeux de
Serge surtout allaient là, comme à la source blanche de la lumière.
Il s'y baignait, ainsi que dans un jour pâli, mesuré à ses forces de
convalescent. Il devinait le soleil derrière un coin plus jaune du
calicot, ce qui suffisait pour le guérir. Au loin, il écoutait un
large roulement de feuillages; tandis que, à la fenêtre de droite,
l'ombre verdâtre d'une haute branche, nettement dessinée, lui
donnait le rêve inquiétant de cette forêt qu'il sentait si près de
lui.

- Veux-tu que j'ouvre les rideaux? demanda Albine, trompée par la
fixité de son regard.

- Non, non, se hâta-t-il de répondre.

- Il fait beau. Tu aurais le soleil. Tu verrais les arbres.

- Non, je t'en supplie... Je ne veux rien du dehors. Cette branche
qui est là me fatigue, à remuer, à pousser, comme si elle était
vivante... Laisse ta main, je vais dormir. Il faut tout blanc...
C'est bon.

Et il s'endormit candidement, veillé par Albine, qui lui soufflait
sur la face, pour rafraîchir son sommeil.





II.

Le lendemain, le beau temps s'était gâté, il pleuvait. Serge, repris
par la fièvre, passa une journée de souffrance, les yeux fixés
désespérément sur les rideaux, d'où ne tombait qu'une lueur de cave,
louche, d'un gris de cendre. Il ne devinait plus le soleil, il
cherchait cette ombre dont il avait eu peur, cette branche haute
qui, noyée dans la buée blafarde de l'averse, lui semblait avoir
emporté la forêt en s'effaçant. Vers le soir, agité d'un léger
délire, il cria en sanglotant à Albine que le soleil était mort,
qu'il entendait tout le ciel, toute la campagne pleurer la mort du
soleil. Elle dut le consoler comme un enfant, lui promettre le
soleil, l'assurer qu'il reviendrait, qu'elle le lui donnerait. Mais
il plaignait aussi les plantes. Les semences devaient souffrir sous
le sol, à attendre la lumière; elles avaient ses cauchemars, elles
rêvaient qu'elles rampaient le long d'un souterrain, arrêtées par
des éboulements, luttant furieusement pour arriver au soleil. Et il
se mit à pleurer à voix plus basse, disant que l'hiver était une
maladie de la terre, qu'il allait mourir en même temps que la terre,
si le printemps ne les guérissait tous deux.

Pendant trois jours encore, le temps resta affreux. Des ondées
crevaient sur les arbres, dans une lointaine clameur de fleuve
débordé. Des coups de vent roulaient, s'abattaient contre les
fenêtres, avec un acharnement de vagues énormes. Serge avait voulu
qu'Albine fermât hermétiquement les volets. La lampe allumée, il
n'avait plus le deuil des rideaux blafards, il ne sentait plus le
gris du ciel entrer par les plus minces fentes, couler jusqu'à lui,
ainsi qu'une poussière qui l'enterrait. Il s'abandonnait, les bras
amaigris, la tête pâle, d'autant plus faible que la campagne était
plus malade. A certaines heures de nuages d'encre, lorsque les
arbres tordus craquaient, que la terre laissait traîner ses herbes
sous l'averse comme des cheveux de noyée, il perdait jusqu'au
souffle, il trépassait, battu lui-même par l'ouragan. Puis, à la
première éclaircie, au moindre coin de bleu, entre deux nuées, il
respirait, il goûtait l'apaisement des feuillages essuyés, des
sentiers blanchissants, des champs buvant leur dernière gorgée
d'eau. Albine, maintenant, implorait à son tour le soleil; elle se
mettait vingt fois par jour à la fenêtre du palier, interrogeant
l'horizon, heureuse des moindres taches blanches, inquiète des
masses d'ombre, cuivrées, chargées de grêle, redoutant quelque nuage
trop noir qui lui tuerait son cher malade. Elle parlait d'envoyer
chercher le docteur Pascal. Mais Serge ne voulait personne. Il
disait:

- Demain, il y aura du soleil sur les rideaux, je serai guéri.

Un soir qu'il était au plus mal, Albine lui donna sa main, pour
qu'il y posât la joue. Et, la main ne le soulageant pas, elle pleura
de se voir impuissante. Depuis qu'il était retombé dans
l'assoupissement de l'hiver, elle ne se sentait plus assez forte
pour le tirer à elle seule du cauchemar où il se débattait. Elle
avait besoin de la complicité du printemps. Elle-même dépérissait,
les bras glacés, l'haleine courte, ne sachant plus lui souffler la
vie. Pendant des heures, elle rôdait dans la grande chambre
attristée. Quand elle passait devant la glace, elle se voyait noire,
elle se croyait laide.

Puis, un matin, comme elle relevait les oreillers, sans oser tenter
encore le charme rompu de ses mains, elle crut retrouver le sourire
du premier jour sur les lèvres de Serge, dont elle venait
d'effleurer la nuque, du bout des doigts.

- Ouvre les volets, murmura-t-il.

Elle pensa qu'il parlait dans la fièvre; car, une heure auparavant,
elle n'avait aperçu, de la fenêtre du palier, qu'un ciel en deuil.

- Dors, reprit-elle tristement; je t'ai promis de t'éveiller au
premier rayon... Dors encore, le soleil n'est pas là.

- Si, je le sens, le soleil est là... Ouvre les volets.





III.

Le soleil était là, en effet. Quand Albine eut ouvert les volets,
derrière les grands rideaux, la bonne lueur jaune chauffa de nouveau
un coin de la blancheur du linge. Mais ce qui fit asseoir Serge sur
son séant, ce fut de revoir l'ombre de la branche, le rameau qui lui
annonçait le retour à la vie. Toute la campagne ressuscitée, avec
ses verdures, ses eaux, son large cercle de collines, était là pour
lui, dans cette tache verdâtre frissonnante au moindre souffle. Elle
ne l'inquiétait plus. Il en suivait le balancement, d'un air avide,
ayant le besoin des forces de la sève qu'elle lui annonçait; tandis
que, le soutenant dans ses bras, Albine, heureuse, disait:

- Ah! mon bon Serge, l'hiver est fini... Nous voilà sauvés.

Il se recoucha, les yeux déjà vifs, la voix plus nette.

- Demain, dit-il, je serai très fort... Tu tireras les rideaux, je
veux tout voir.

Mais, le lendemain, il fut pris d'une peur d'enfant. Jamais il ne
consentit à ce que les fenêtres fussent grandes ouvertes. Il
murmurait: "Tout à l'heure, plus tard." Il demeurait anxieux, il
avait l'inquiétude du premier coup de lumière qu'il recevrait dans
les yeux. Le soir arriva, qu'il n'avait pu prendre la décision de
revoir le soleil en face. Il était resté le visage tourné vers les
rideaux, suivant sur la transparence du linge le matin pâle,
l'ardent midi, le crépuscule violâtre, toutes les couleurs, toutes
les émotions du ciel. Là, se peignait jusqu'au frisson que le
battement d'ailes d'un oiseau donne à l'air tiède, jusqu'à la joie
des odeurs, palpitant dans un rayon. Derrière ce voile, derrière ce
rêve attendri de la vie puissante du dehors, il écoutait monter le
printemps. Et même il étouffait un peu, par moments, lorsque
l'afflux du sang nouveau de la terre, malgré l'obstacle des rideaux,
arrivait à lui trop rudement.

Et, le matin suivant, il dormait encore, lorsque Albine, brusquant
la guérison, lui cria:

- Serge! Serge! voici le soleil!

Elle tirait vivement les rideaux, elle ouvrait les fenêtres toutes
larges. Lui, se leva, se mit à genoux sur son lit, suffoquant,
défaillant, les mains serrées contra sa poitrine, pour empêcher son
coeur de se briser. En face de lui, il avait le grand ciel, rien que
du bleu, un infini bleu; il s'y lavait de la souffrance, il s'y
abandonnait, comme dans un bercement léger, il y buvait de la
douceur, de la pureté, de la jeunesse. Seule, la branche dont il
avait vu l'ombre, dépassait la fenêtre, tachait la mer bleue d'une
verdure vigoureuse; et c'était déjà là un jet trop fort pour ses
délicatesses de malade, qui se blessaient de la salissure des
hirondelles volant à l'horizon. Il naissait. Il poussait de petits
cris involontaires, noyé de clarté, battu par des vagues d'air
chaud, sentant couler en lui tout un engouffrement de vie.



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