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Text on one page: Few Medium Many
dit Albine
orgueilleusement. Là-bas sont les grandes fleurs, des champs où je
disparais tout entière, comme une perdrix dans un champ de blé.

Ils y allèrent. Ils descendirent un large escalier dont les urnes
renversées flambaient encore des hautes flammes violettes des iris.
Le long des marches coulait un ruissellement de giroflées pareil à
une nappe d'or liquide. Des chardons, aux deux bords, plantaient des
candélabres de bronze vert, grêles, hérissés, recourbés en becs
d'oiseaux fantastiques, d'un art étrange, d'une élégance de brûle-
parfum chinois. Des sedums, entre les balustres brisés, laissaient
pendre des tresses blondes, des chevelures verdâtres de fleuve
toutes tachées de moisissures. Puis, au bas, un second parterre
s'étendait, coupé de buis puissants comme des chênes, d'anciens buis
corrects, autrefois taillés en boules, en pyramides, en tours
octogonales, aujourd'hui débraillés magnifiquement, avec de grands
haillons de verdure sombre, dont les trous montraient des bouts de
ciel bleu.

Et Albine mena Serge, à droite, dans un champ qui était comme le
cimetière du parterre. Des scabieuses y mettaient leur deuil. Des
cortèges de pavots s'en allaient à la file, puant la mort,
épanouissant leurs lourdes fleurs d'un éclat fiévreux. Des anémones
tragiques faisaient des foules désolées, au teint meurtri, tout
terreux de quelque souffle épidémique. Des daturas trapus
élargissaient leurs cornets violâtres, où des insectes, las de
vivre, venaient boire le poison du suicide. Des soucis, sous leurs
feuillages engorgés, ensevelissaient leurs fleurs, des corps
d'étoiles agonisants, exhalant déjà la peste de leur décomposition.
Et c'étaient encore d'autres tristesses: les renoncules charnues,
d'une couleur sourde de métal rouillé; les jacinthes et les
tubéreuses exhalant l'asphyxie, se mourant dans leur parfum. Mais
les cinéraires surtout dominaient, toute une poussée de cinéraires
qui promenaient le demi-deuil de leurs robes violettes et blanches,
robes de velours rayé, robes de velours uni, d'une sévérité riche.

Au milieu du champ mélancolique, un Amour de marbre restait debout,
mutilé, le bras qui tenait l'arc tombé dans les orties, souriant
encore sous les lichens dont sa nudité d'enfant grelottait.

Puis, Albine et Serge entrèrent jusqu'à la taille dans un champ de
pivoines. Les fleurs blanches crevaient, avec une pluie de larges
pétales qui leur rafraîchissaient les mains, pareilles aux gouttes
larges d'une pluie d'orage. Les fleurs rouges avaient des faces
apoplectiques, dont le rire énorme les inquiétait. Ils gagnèrent, à
gauche, un champ de fuchsias, un taillis d'arbustes souples, déliés,
qui les ravirent comme des joujoux du Japon, garnis d'un million de
clochettes. Ils traversèrent ensuite des champs de véroniques aux
grappes violettes, des champs de géraniums et de pélargoniums, sur
lesquels semblaient courir des flammèches ardentes, le rouge, le
rose, le blanc incandescent d'un brasier, que les moindres souffles
du vent ravivaient sans cesse. Ils durent tourner des rideaux de
glaïeuls, aussi grands que des roseaux, dressant des hampes de
fleurs qui brûlaient dans la clarté, avec des richesses de flamme de
torches allumées. Ils s'égarèrent au milieu d'un bois de tournesols,
une futaie faite de troncs aussi gros que la taille d'Albine,
obscurcie par des feuilles rudes, larges à y coucher un enfant,
peuplée de faces géantes, de faces d'astre, resplendissantes comme
autant de soleils. Et ils arrivèrent enfin dans un autre bois, un
bois de rhododendrons, si touffu de fleurs que les branches et les
feuilles ne se voyaient pas, étalant des bouquets monstrueux, des
hottées de calices tendres qui moutonnaient jusqu'à l'horizon.

- Va, nous ne sommes pas au bout! s'écria Albine. Marchons,
marchons toujours.

Mais Serge l'arrêta. Ils étaient alors au centre d'une ancienne
colonnade en ruine. Des fûts de colonne faisaient des bancs, parmi
des touffes de primevères et de pervenches. Au loin, entre les
colonnes restées debout, d'autres champs de fleurs s'étendaient des
champs de tulipes, aux vives panachures de faïences peintes; des
champs de calcéolaires, légères soufflures de chair, ponctuées de
sang et d'or; des champs de zinnias, pareils à de grosses
pâquerettes courroucées; des champs de pétunias, aux pétales molles
comme une batiste de femme, montrant le rose de la peau; des champs
encore, des champs à l'infini, dont on ne reconnaissait plus les
fleurs, dont les tapis s'étalaient sous le soleil, avec la bigarrure
confuse des touffes violentes, noyée dans les verts attendris des
herbes.

- Jamais nous ne pourrons tout voir, dit Serge, la main tendue,
avec un sourire. C'est ici qu'il doit être bon de s'asseoir, dans
l'odeur qui monte.

A côté d'eux était un champ d'héliotropes, d'une haleine de vanille,
si douce, qu'elle donnait au vent une caresse de velours. Alors, ils
s'assirent sur une des colonnes renversées, au milieu d'un bouquet
de lis superbes qui avaient poussé là. Depuis plus d'une heure, ils
marchaient. Ils étaient venus des roses dans les lis, à travers
toutes les fleurs. Les lis leur offraient un refuge de candeur,
après leur promenade d'amants, au milieu de la sollicitation ardente
des chèvrefeuilles suaves, des violettes musquées, des verveines
exhalant l'odeur fraîche d'un baiser, des tubéreuses soufflant la
pâmoison d'une volupté mortelle. Les lis, aux tiges élancées, les
mettaient dans un pavillon blanc, sous le toit de neige de leurs
calices, seulement égayés des gouttes d'or légères des pistils. Et
ils restaient, ainsi que des fiancés enfants, souverainement
pudiques, comme au centre d'une tour de pureté, d'une tour d'ivoire
inattaquable, où ils ne s'aimaient encore que de tout le charme de
leur innocence.

Jusqu'au soir, Albine et Serge demeurèrent avec les lis. Ils y
étaient bien; ils achevaient d'y naître. Serge y perdait la dernière
fièvre de ses mains. Albine y devenait toute blanche, d'un blanc de
lait qu'aucune rougeur ne teintait de rose. Ils ne virent plus
qu'ils avaient les bras nus, le cou nu, les épaules nues. Leurs
chevelures ne les troublèrent plus, comme des nudités déployées.
L'un contre l'autre, ils riaient, d'un rire clair, trouvant de la
fraîcheur à se serrer. Leurs yeux gardaient un calme limpide d'eau
de source, sans que rien d'impur montât de leur chair pour en ternir
le cristal. Leurs joues étaient des fruits veloutés, à peine mûrs,
auxquels ils ne songeaient point à mordre. Quand ils quittèrent les
lis, ils n'avaient pas dix ans; il leur semblait qu'ils venaient de
se rencontrer, seuls au fond du grand jardin, pour y vivre dans une
amitié et dans un jeu éternels. Et, comme ils traversaient de
nouveau le parterre, rentrant au crépuscule, les fleurs parurent se
faire discrètes, heureuses de les voir si jeunes, ne voulant pas
débaucher ces enfants. Les bois de pivoines, les corbeilles
d'oeillets, les tapis de myosotis, les tentures de clématites,
n'agrandissaient plus devant eux une alcôve d'amour, noyés à cette
heure de l'air du soir, endormis dans une enfance aussi pure que la
leur. Les pensées les regardaient en camarades, de leurs petits
visages candides. Les résédas, alanguis, frôlés par la jupe blanche
d'Albine, semblaient pris de compassion, évitant de hâter leur
fièvre d'un souffle.





VIII.

Le lendemain, dès l'aube, ce fut Serge qui appela Albine. Elle
dormait dans une chambre de l'étage supérieur, où il n'eut pas
l'idée de monter. Il se pencha à la fenêtre, la vit qui poussait ses
persiennes, au saut du lit. Et tous deux rirent beaucoup, de se
retrouver ainsi.

- Aujourd'hui, tu ne sortiras pas, dit Albine, quand elle fut
descendue. Il faut nous reposer... Demain, je veux te mener loin,
bien loin, quelque part où nous serons joliment à notre aise.

- Mais nous allons nous ennuyer, murmura Serge.

- Oh! que non!... Je vais te raconter des histoires.

Ils passèrent une journée charmante. Les fenêtres étaient grandes
ouvertes, le Paradou entrait, riait avec eux, dans la chambre. Serge
prit enfin possession de cette heureuse chambre, où il s'imaginait
être né. Il voulut tout voir, tout se faire expliquer. Les Amours de
plâtre, culbutés au bord de l'alcôve, l'égayèrent au point qu'il
monta sur une chaise pour attacher la ceinture d'Albine au cou du
plus petit d'entre eux, un bout d'homme, le derrière en l'air, la
tête en bas, qui polissonnait. Albine tapait des mains, criait qu'il
ressemblait à un hanneton tenu par un fil. Puis, comme prise de
pitié:

- Non, non, détache-le... Ça l'empêche de voler.

Mais ce furent surtout les Amours peints au-dessus des portes qui
occupèrent vivement Serge. Il se fâchait de ne pouvoir comprendre à
quels jeux ils jouaient, tant les peintures étaient pâlies. Aidé
d'Albine, il roula une table, sur laquelle ils grimpèrent tous les
deux. Albine donnait des explications.

- Regarde, ceux-ci jettent des fleurs. Sous les fleurs, on ne voit
plus que trois jambes nues. Je crois me souvenir qu'en arrivant ici,
j'ai pu distinguer encore une dame couchée. Mais, depuis le temps,
elle s'en est allée.

Ils firent le tour des panneaux, sans que rien d'impur leur vint de
ces jolies indécences de boudoir. Les peintures, qui s'émiettaient
comme un visage fardé du dix-huitième siècle, étaient assez mortes
pour ne laisser passer que les genoux et les coudes des corps pâmés
dans une luxure aimable. Les détails trop crus, auxquels paraissait
s'être complu l'ancien amour dont l'alcôve gardait la lointaine
odeur, avaient disparu, mangés par le grand air; si bien que la
chambre, ainsi que le parc, était naturellement redevenue vierge,
sous la gloire tranquille du soleil.

- Bah! ce sont des gamins qui s'amusent, dit Serge, en redescendant
de la table... Est-ce que tu sais jouer à la main chaude, toi?

Albine savait jouer à tous les jeux. Seulement, il fallait être au
moins trois pour jouer à la main chaude. Cela les fit rire. Mais
Serge s'écria qu'on était trop bien deux, et ils jurèrent de n'être
toujours que deux.

- On est tout à fait chez soi, on n'entend rien, reprit le jeune
homme, qui s'allongea sur le canapé.



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