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Text on one page: Few Medium Many
Cela les fit rire. Mais
Serge s'écria qu'on était trop bien deux, et ils jurèrent de n'être
toujours que deux.

- On est tout à fait chez soi, on n'entend rien, reprit le jeune
homme, qui s'allongea sur le canapé. Et les meubles ont une odeur de
vieux qui sent bon... C'est doux comme dans un nid. Voilà une
chambre où il y a du bonheur.

La jeune fille hochait gravement la tête.

- Si j'avais été peureuse, murmura-t-elle, j'aurais eu bien peur,
dans les premiers temps... C'est justement cette histoire-là que je
veux te raconter. Je l'ai entendue dans le pays. On ment peut-être.
Enfin, ça nous amusera.

Et elle s'assit à côté de Serge.

- Il y a des années et des années... Le Paradou appartenait à un
riche seigneur qui vint s'y enfermer avec une dame très belle. Les
portes du château étaient si bien fermées, les murailles du jardin
avaient une telle hauteur, que jamais personne n'apercevait le
moindre bout des jupes de la dame.

- Je sais, interrompit Serge, la dame n'a jamais reparu.

Comme Albine le regardait toute surprise, fâchée de voir son
histoire connue, il continua à demi-voix, étonné lui-même.

- Tu me l'as déjà racontée, ton histoire.

Elle protesta. Puis, elle parut se raviser, elle se laissa
convaincre. Ce qui ne l'empêcha pas de terminer son récit en ces
termes:

- Quand le seigneur s'en alla, il avait les cheveux blancs. Il fit
barricader toutes les ouvertures, pour qu'on n'allât pas déranger la
dame... La dame était morte dans cette chambre.

- Dans cette chambre! s'écria Serge. Tu ne m'avais pas dit cela...
Es-tu sûre qu'elle soit morte dans cette chambre?

Albine se fâcha. Elle répétait ce que tout le monde savait. Le
seigneur avait fait bâtir le pavillon, pour y loger cette inconnue
qui ressemblait à une princesse. Les gens du château, plus tard,
assuraient qu'il y passait les jours et les nuits. Souvent aussi,
ils l'apercevaient dans une allée, menant les petits pieds de
l'inconnue au fond des taillis les plus noirs. Mais, pour rien au
monde, ils ne se seraient hasardés à guetter le couple, qui battait
le parc pendant des semaines entières.

- Et c'est là qu'elle est morte, répéta Serge, l'esprit frappé. Tu
as pris sa chambre, tu te sers de ses meubles, tu couches dans son
lit.

Albine souriait.

- Tu sais bien que je ne suis pas peureuse, dit-elle. Puis, toutes
ces choses, c'est si vieux... La chambre te semblait pleine de
bonheur.

Ils se turent, ils regardèrent un instant l'alcôve, le haut plafond,
les coins d'ombre grise. Il y avait comme un attendrissement
amoureux, dans les couleurs fanées des meubles. C'était un soupir
discret du passé, si résigné, qu'il ressemblait encore à un
remerciement tiède de femme adorée.

- Oui, murmura Serge, on ne peut pas avoir peur. C'est trop
tranquille.

Et Albine reprit en se rapprochant de lui:

- Ce que peu de personnes savent, c'est qu'ils avaient découvert
dans le jardin un endroit de félicité parfaite, où ils finissaient
par vivre toutes leurs heures. Moi, je tiens cela d'une source
certaine... Un endroit d'ombre fraîche, caché au fond de
broussailles impénétrables, si merveilleusement beau, qu'on y oublie
le monde entier. La dame a dû y être enterrée.

- Est-ce dans le parterre? demanda Serge curieusement.

- Ah! je ne sais pas, je ne sais pas! dit la jeune fille, avec un
geste découragé. J'ai cherché partout, je n'ai encore pu trouver
nulle part cette clairière heureuse... Elle n'est ni dans les roses,
ni dans les lis, ni sur le tapis des violettes.

- Peut être est-ce ce coin de fleurs tristes, où tu m'as montré un
enfant debout, le bras cassé?

- Non, non.

- Peut être est-ce au fond de la grotte, près de cette eau claire,
où s'est noyée cette grande femme de marbre, qui n'a plus de visage?

- Non, non.

Albine resta un instant songeuse. Puis, elle continua, comme se
parlant à elle-même:

- Dès les premiers jours, je me suis mise en quête. Si j'ai passé
des journées dans le Paradou, si j'ai fouillé les moindres coins de
verdure, c'était uniquement pour m'asseoir une heure au milieu de la
clairière. Que de matinées perdues vainement à me glisser sous les
ronces, à visiter les coins les plus reculés du parc!... Oh! je
l'aurais vite reconnue, cette retraite enchantée, avec son arbre
immense qui doit la couvrir d'un toit de feuilles, avec son herbe
fine comme une peluche de soie, avec ses murs de buissons verts que
les oiseaux eux-mêmes ne peuvent percer!

Elle jeta l'un de ses bras au cou de Serge, élevant la voix, le
suppliant:

- Dis? nous sommes deux maintenant, nous chercherons, nous
trouverons... Toi qui es fort, tu écarteras les grosses branches
devant moi, pour que j'aille jusqu'au fond des fourrés. Tu me
porteras, lorsque je serai lasse; tu m'aideras à sauter les
ruisseaux, tu monteras aux arbres, si nous venons à perdre notre
route... Et quelle joie, lorsque nous pourrons nous asseoir côte à
côte, sous le toit de feuilles, au centre de la clairière! On m'a
raconté qu'on vivait là dans une minute toute une vie... Dis? mon
bon Serge, dès demain, nous partirons, nous battrons le parc
broussailles à broussailles, jusqu'à ce que nous ayons contenté
notre désir.

Serge haussait les épaules, en souriant.

- A quoi bon! dit-il. N'est-on pas bien dans le parterre? Il faudra
rester avec les fleurs, vois-tu, sans chercher si loin un bonheur
plus grand.

- C'est là que la morte est enterrée, murmura Albine, retombant
dans sa rêverie. C'est la joie de s'être assise là qui l'a tuée.
L'arbre a une ombre dont le charme fait mourir... Moi, je mourrais
volontiers ainsi. Nous nous coucherions aux bras l'un de l'autre;
nous serions morts, personne ne nous trouverait plus.

- Non, tais-toi, tu me désoles, interrompit Serge inquiet. Je veux
que nous vivions au soleil, loin de cette ombre mortelle. Tes
paroles me troublent, comme si elles nous poussaient à quelque
malheur irréparable. Ça doit être défendu de s'asseoir sous un arbre
dont l'ombrage donne un tel frisson.

- Oui, c'est défendu, déclara gravement Albine. Tous les gens du
pays m'ont dit que c'était défendu.

Un silence se fit. Serge se leva du canapé où il était resté
allongé. Il riait, il prétendait que les histoires ne l'amusaient
pas. Le soleil baissait, lorsque Albine consentit enfin à descendre
un instant au jardin. Elle le mena, à gauche, le long du mur de
clôture, jusqu'à un champ de décombres, tout hérissé de ronces.
C'était l'ancien emplacement du château, encore noir de l'incendie
qui avait abattu les murs. Sous les ronces, des pierres cuites se
fendaient, des éboulements de charpentes pourrissaient. On eût dit
un coin de roches stériles, raviné, bossué, vêtu d'herbe rude, de
lianes rampantes qui se coulaient dans chaque fente comme des
couleuvres. Et ils s'égayèrent à traverser en tous sens cette
fondrière, descendant au fond des trous, flairant les débris,
cherchant s'ils ne devineraient rien de ce passé en cendre. Ils
n'avouaient pas leur curiosité, ils se poursuivaient au milieu des
planchers crevés et des cloisons renversées; mais, à la vérité, ils
ne songeaient qu'aux légendes de ces ruines, à cette dame plus belle
que le jour, qui avait traîné sa jupe de soie sur ces marches, où
les lézards seuls aujourd'hui se promenaient paresseusement.

Serge finit par se planter sur le plus haut tas de décombres,
regardant le parc qui déroulait ses immenses nappes vertes,
cherchant entre les arbres la tache grise du pavillon. Albine se
taisait, debout à son côté, redevenue sérieuse.

- Le pavillon est là, à droite, dit-elle, sans qu'il l'interrogeât.
C'est tout ce qui reste des bâtiments... Tu le vois bien, au bout de
ce couvert de tilleuls?

Ils gardèrent de nouveau le silence. Et comme continuant à voix
haute les réflexions qu'ils faisaient mentalement tous les deux,
elle reprit:

- Quand il allait la voir, il devait descendre par cette allée;
puis, il tournait les gros marronniers, et il entrait sous les
tilleuls... Il lui fallait à peine un quart d'heure.

Serge n'ouvrit pas les lèvres. Lorsqu'ils revinrent, ils
descendirent l'allée, ils tournèrent les gros marronniers, ils
entrèrent sous les tilleuls. C'était un chemin d'amour. Sur l'herbe,
ils semblaient chercher des pas, un noeud de ruban tombé, une
bouffée de parfum ancien, quelque indice qui leur montrât clairement
qu'ils étaient bien dans le sentier menant à la joie d'être
ensemble. La nuit venait, le parc avait une grande voix mourante qui
les appelait du fond des verdures.

- Attends, dit Albine, lorsqu'ils furent revenus devant le
pavillon. Toi, tu ne monteras que dans trois minutes.

Elle s'échappa gaiement, s'enferma dans la chambre au plafond bleu.
Puis, après avoir laissé Serge frapper deux fois à la porte, elle
l'entrebâilla discrètement, le reçut avec une révérence à l'ancienne
mode.

- Bonjour, mon cher seigneur, dit-elle en l'embrassant.

Cela les amusa extrêmement. Ils jouèrent aux amoureux, avec une
puérilité de gamins. Ils bégayaient la passion qui avait jadis
agonisé là. Ils l'apprenaient comme une leçon qu'ils ânonnaient
d'une adorable manière, ne sachant point se baiser aux lèvres,
cherchant sur les joues, finissant par danser l'un devant l'autre,
en riant aux éclats, par ignorance de se témoigner autrement le
plaisir qu'ils goûtaient à s'aimer.





IX.

Le lendemain matin, Albine voulut partir dès le lever du soleil,
pour la grande promenade qu'elle ménageait depuis la ville. Elle
tapait des pieds joyeusement, elle disait qu'ils ne rentreraient pas
de la journée.

- Où me mènes-tu donc? demanda Serge.

- Tu verras, tu verras!

Mais il la prit par les poignets, la regarda en face.

- Il faut être sage, n'est-ce pas? Je ne veux pas que tu cherches
ni ta clairière, ni ton arbre, ni ton herbe où l'on meurt. Tu sais
que c'est défendu.

Elle rougit légèrement, en protestant, en disant qu'elle ne songeait
pas même à ces choses. Puis, elle ajouta:

- Pourtant, si nous trouvions, sans chercher, par hasard, est-ce
que tu ne t'assoirais pas?... Tu m'aimes donc bien peu!

Ils partirent. Ils traversèrent le parterre tout droit, sans
s'arrêter au réveil des fleurs, nues dans leur bain de rosée.



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