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Elle s'était glissée là, mangeant sans même se servir des mains, happant des lèvres les cerises que l'arbre tendait jusqu'à sa bouche. Quand elle se vit découverte, elle eut des rires prolongés, sautant sur l'herbe comme un poisson blanc sorti de l'eau, se mettant sur le ventre, rampant sur les coudes, faisant le tour du cerisier, tout en continuant à happer les cerises les plus grosses. - Figure-toi, elles me chatouillent! criait-elle. Tiens, en voilà encore une qui vient de me tomber dans le cou. C'est qu'elles sont joliment fraîches!... Moi, j'en ai dans les oreilles, dans les yeux, sur le nez, partout! Si je voulais, j'en écraserais une pour me faire des moustaches... Elles sont bien plus douces en bas qu'en haut. - Allons donc! dit Serge en riant. C'est que tu n'oses pas monter. Elle resta muette d'indignation. - Moi! moi! balbultia-t-elle. Et, serrant sa jupe, la rattachant par-devant à sa ceinture, sans voir quelle montrait ses cuisses, elle prit l'arbre nerveusement, se hissa sur le tronc, d'un seul effort des poignets. Là, elle courut le long des branches, en évitant même de se servir des mains; elle avait des allongements souples d'écureuil, elle tournait autour des noeuds, lâchait les pieds, tenue seulement en équilibre par le pli de la taille. Quand elle fut tout en haut, au bout d'une branche grêle, que le poids de son corps secouait furieusement: - Eh bien! cria-t-elle, est-ce que j'ose monter? - Veux-tu vite descendre! implorait Serge pris de peur. Je t'en prie. Tu vas te faire du mal. Mais, triomphante, elle alla encore plus haut. Elle se tenait à l'extrémité même de la branche, à califourchon, s'avançant petit à petit au-dessus du vide, empoignant des deux mains des touffes de feuilles. - La branche va casser, dit Serge éperdu. - Qu'elle casse, pardi! répondit-elle avec un grand rire. Ça m'évitera la peine de descendre. Et la branche cassa, en effet; mais lentement, avec une si longue déchirure, qu'elle s'abattit peu à peu, comme pour déposer Albine à terre d'une façon très douce. Elle n'eut pas le moindre effroi, elle se renversait, elle agitait ses cuisses demi-nues, en répétant: - C'est joliment gentil. On dirait une voiture. Serge avait sauté de l'arbre pour la recevoir dans ses bras. Comme il restait tout pâle de l'émotion qu'il venait d'avoir, elle le plaisanta. - Mais ça arrive tous les jours de tomber des arbres. Jamais on ne se fait de mal... Ris donc, gros bêta! Tiens, mets-moi un peu de salive sur le cou. Je me suis égratignée. Il lui mit un peu de salive, du bout des doigts. - Là, c'est guéri, cria-t-elle, en s'échappant, avec une gambade de gamine. Nous allons jouer à cache-cache, veux-tu? Elle se fit chercher. Elle disparaissait, jetait le cri: Coucou! coucou! du fond de verdures connues d'elle seule, où Serge ne pouvait la trouver. Mais ce jeu de cache-cache n'allait pas sans une maraude terrible de fruits. Le déjeuner continuait dans les coins où les deux grands enfants se poursuivaient. Albine, tout en filant sous les arbres, allongeait la main, croquait une poire verte, s'emplissait la jupe d'abricots. Puis, dans certaines cachettes, elle avait des trouvailles qui l'asseyaient par terre, oubliant le jeu, occupée à manger gravement. Un moment, elle n'entendit plus Serge, elle dut le chercher à son tour. Et ce fut pour elle une surprise, presque une fâcherie, de le découvrir sous un prunier, un prunier qu'elle-même ne savait pas là, et dont les prunes mûres avaient une délicate odeur de musc. Elle le querella de la belle façon. Voulait-il donc tout avaler, qu'il n'avait soufflé mot? Il faisait la bête, mais il avait le nez fin, il sentait de loin les bonnes choses. Elle était surtout furieuse contre le prunier, un arbre sournois qu'on ne connaissait seulement pas, qui devait avoir poussé dans la nuit, pour ennuyer les gens. Serge, comme elle boudait, refusant de cueillir une seule prune, imagina de secouer l'arbre violemment. Une pluie, une grêle de prunes tomba. Albine, sous l'averse, reçu des prunes sur les bras, des prunes dans le cou, des prunes au beau milieu du nez. Alors, elle ne put retenir ses rires; elle resta dans ce déluge, criant: Encore! encore! amusée par les balles rondes qui rebondissaient sur elle, tendant la bouche et les mains, les yeux fermés, se pelotonnant à terre pour se faire toute petite. Matinée d'enfance, polissonnerie de galopins lâchés dans le Paradou. Albine et Serge passèrent là des heures puériles d'école buissonnière, à courir, à crier, à se taper, sans que leurs chairs innocentes eussent un frisson. Ce n'était encore que la camaraderie de deux garnements, qui songeront peut-être plus tard à se baiser sur les joues, lorsque les arbres n'auront plus de dessert à leur donner. Et quel joyeux coin de nature pour cette première escapade! Un trou de feuillage, avec des cachettes excellentes. Des sentiers le long desquels il n'était pas possible d'être sérieux, tant les haies laissaient tomber de rires gourmands. Le parc avait, dans cet heureux verger, une gaminerie de buissons s'en allant à la débandade, une fraîcheur d'ombre invitant à la faim, une vieillesse de bons arbres pareils à des grands-pères pleins de gâteries. Même, au fond des retraites vertes de mousse, sous les troncs cassés qui les forçaient à ramper l'un derrière l'autre, dans des corridors de feuilles, si étroits, que Serge s'attelait en riant aux jambes nues d'Albine, ils ne rencontraient point la rêverie dangereuse du silence. Rien de troublant ne leur venait du bois en récréation. Et quand ils furent las des abricotiers, des pruniers, des cerisiers, ils coururent sous les amandiers grêles, mangeant les amandes vertes, à peine grosses comme des pois, cherchant les fraises parmi le tapis d'herbe, se fâchant de ce que les pastèques et les melons n'étaient pas mûrs. Albine finit par courir de toutes ses forces, suivie de Serge, qui ne pouvait l'attraper. Elle s'engagea dans les figuiers, sautant les grosses branches, arrachant les feuilles qu'elle jetait par-derrière à la figure de son compagnon. En quelques bonds, elle traversa les bouquets d'arbousiers, dont elle goûta en passant les baies rouges; et ce fut dans la futaie des aliziers, des azeroliers et des jujubiers que Serge la perdit. Il la crut d'abord cachée derrière un grenadier; mais c'était deux fleurs en bouton qu'il avait pris pour les deux noeuds roses de ses poignées. Alors, il battit le bois d'orangers, ravi du beau temps qu'il faisait là, s'imaginant entrer chez les fées du soleil. Au milieu du bois, il aperçut Albine qui, ne le croyant pas si près d'elle, furetait vivement, fouillait du regard les profondeurs vertes. - Qu'est-ce que tu cherches donc là? cria-t-il. Tu sais bien que c'est défendu. Elle eut un sursaut, elle rougit légèrement, pour la première fois de la journée. Et, s'asseyant à côté de Serge, elle lui parla des jours heureux où les oranges mûrissaient. Le bois alors était tout doré, tout éclairé de ces étoiles rondes, qui criblaient de leurs feux jaunes la voûte verte. Puis, quand ils s'en allèrent enfin, elle s'arrêta à chaque rejet sauvage, s'emplissant les poches de petites poires âpres, de petites prunes aigres, disant que ce serait pour manger en route. C'était cent fois meilleur que tout ce qu'ils avaient goûté jusque-là. Il fallut que Serge en avalât, malgré les grimaces qu'il faisait à chaque coup de dent. Ils rentrèrent éreintés, heureux, ayant tant ri, qu'ils avaient mal aux côtes. Même, ce soir-là, Albine n'eut pas le courage de remonter chez elle; elle s'endormit aux pieds de Serge, en travers sur le lit, rêvant qu'elle montait aux arbres, achevant de croquer en dormant les fruits des sauvageons, qu'elle avait cachés sous la couverture, à côté d'elle. X. Huit jours plus tard, il y eut de nouveau un grand voyage dans le parc. Il s'agissait d'aller plus loin que le verger, à gauche, du côté des larges prairies que quatre ruisseaux traversaient. On ferait plusieurs lieues en pleine herbe; on vivrait de sa pêche, si l'on venait à s'égarer. - J'emporte mon couteau, dit Albine, en montrant un couteau de paysan, à lame épaisse. Elle mit de tout dans ses poches, de la ficelle, du pain, des allumettes, une petite bouteille de vin, des chiffons, un peigne, des aiguilles. Serge dut prendre une couverture; mais, au bout des tilleuls, lorsqu'ils arrivèrent devant les décombres du château, la couverture l'embarrassait déjà à un tel point, qu'il la cacha sous un pan de mur écroulé. Le soleil était plus fort. Albine s'était attardée à ses préparatifs. Dans la matinée chaude, ils s'en allèrent côte à côte, presque raisonnables. Ils faisaient jusqu'à des vingtaines de pas, sans se pousser, pour rire. Ils causaient. - Moi, je ne m'éveille jamais, dit Albine. J'ai bien dormi, cette nuit. Et toi? - Moi aussi, répondit Serge. Elle reprit: - Qu'est-ce que ça signifie, quand on rêve un oiseau qui vous parle? - Je ne sais pas... Et que disait-il, ton oiseau? - Ah! j'ai oublié... Il disait des choses très bien, beaucoup de choses qui me semblaient drôles... Tiens, vois donc ce gros coquelicot, là-bas. Tu ne l'auras pas! Tu ne l'auras pas! Elle prit son élan; mais Serge, grâce à ses longues jambes, la devança, cueillit le coquelicot qu'il agita victorieusement. Alors, elle resta les lèvres pincées, sans rien dire, avec une grosse envie de pleurer. Lui, ne sut que jeter la fleur. Puis, pour faire la paix: - Veux-tu monter sur mon dos? Je te porterai, comme l'autre jour. - Non, non. Elle boudait. Mais elle n'avait pas fait trente pas, qu'elle se retournait, toute rieuse. Une ronce la retenait par la jupe. - Tiens! je croyais que c'était toi qui marchais exprès sur ma robe... C'est qu'elle ne veut pas me lâcher! Décroche-moi, dis! Et, quand elle fut décrochée, ils marchèrent de nouveau à côté l'un de l'autre, très sagement. Albine prétendait que c'était plus amusant, de se promener ainsi, comme des gens sérieux. Ils venaient d'entrer dans les prairies. A l'infini, devant eux, se déroulaient de larges pans d'herbes, à peine coupés de loin en loin par le feuillage tendre d'un rideau de saules. 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