A B C D E F
G H I J K L M 

Total read books on site:
more than 10 000

You can read its for free!


Text on one page: Few Medium Many
Nous avons dormi.

Lui, resta un peu surpris que cela fût fini si vite. Il allongea le
bras, la tira par la jupe, comme pour la ramener contre lui. Et elle
tomba sur les genoux, riant, répétant

- Quoi donc? Quoi donc?

Il ne savait pas. Il la regardait, lui prenait les coudes. Un
instant, il la saisit par les cheveux, ce qui la fit crier. Puis,
lorsqu'elle fut de nouveau debout, il s'enfonça la face dans l'herbe
qui avait gardé la tiédeur de son corps.

- Voilà, c'est fini, dit-il en se levant à son tour.

Jusqu'au soir, ils coururent les prairies. Ils allaient devant eux,
pour voir. Ils visitaient leur jardin. Albine marchait en avant,
avec le flair d'un jeune chien, ne disant rien, toujours en quête de
la clairière heureuse, bien qu'il n'y eût pas là les grands arbres
qu'elle rêvait. Serge avait toutes sortes de galanteries
maladroites; il se précipitait si rudement pour écarter les hautes
herbes, qu'il manquait la faire tomber; il la soulevait à bras-le-
corps, d'une étreinte qui la meurtrissait, lorsqu'il voulait l'aider
à sauter les ruisseaux. Leur grande joie fut de rencontrer les trois
autres rivières. La première coulait sur un lit de cailloux, entre
deux files continues de saules, si bien qu'ils durent se laisser
glisser à tâtons au beau milieu des branches, avec le risque de
tomber dans quelque gros trou d'eau; mais Serge, roulé le premier,
ayant de l'eau jusqu'aux genoux seulement, reçut Albine dans ses
bras, la porta à la rive opposée pour qu'elle ne se mouillât point.
L'autre rivière était toute noire d'ombre, sous une allée de hauts
feuillages, où elle passait languissante, avec le froissement léger,
les cassures blanches d'une jupe de satin, traînée par quelque dame
rêveuse, au fond d'un bois; nappe profonde, glacée, inquiétante,
qu'ils eurent la chance de pouvoir traverser à l'aide d'un tronc
abattu d'un bord à l'autre, s'en allant à califourchon, s'amusant à
troubler du pied le miroir d'acier bruni, puis se hâtant, effrayés
des yeux étranges que les moindres gouttes qui jaillissaient
ouvraient dans le sommeil du courant. Et ce fut surtout la dernière
rivière qui les retint.

Celle-là était joueuse comme eux; elle se ralentissait à certains
coudes, partait de là en rires perlés, au milieu de grosses pierres,
se calmait à l'abri d'un bouquet d'arbustes, essoufflée, vibrante
encore; elle montrait toutes les humeurs du monde, ayant tour à tour
pour lit des sables fins, des plaques de rochers, des graviers
limpides, des terres grasses, que les sauts des grenouilles
soulevaient en petites fumées jaunes. Albine et Serge y pataugèrent
adorablement. Les pieds nus, ils remontèrent la rivière pour
rentrer, préférant le chemin de l'eau au chemin des herbes,
s'attardant à chaque île qui leur barrait le passage. Ils y
débarquaient, ils y conquéraient des pays sauvages, ils s'y
reposaient au milieu de grands joncs, de grands roseaux, qui
semblaient bâtir exprès pour eux des huttes de naufragés. Retour
charmant, amusé par les rives qui déroulaient leur spectacle, égayé
de la belle humeur des eaux vivantes.

Mais, comme ils quittaient la rivière, Serge comprit qu'Albine
cherchait toujours quelque chose, le long des bords, dans les îles,
jusque parmi les plantes dormant au fil du courant. Il dut l'aller
enlever du milieu d'une nappe de nénuphars, dont les larges feuilles
mettaient à ses jambes des collerettes de marquise. Il ne lui dit
rien, il la menaça du doigt, et ils rentrèrent enfin, tout animés du
plaisir de la journée, bras dessus, bras dessous, en jeune ménage
qui revient d'une escapade. Ils se regardaient, se trouvaient plus
beaux et plus forts; ils riaient pour sûr d'une autre façon que le
matin.





XI.

- Nous ne sortons donc plus? demanda Serge, à quelques jours de là.

Et la voyant hausser les épaules d'un air las, il ajouta comme pour
se moquer d'elle:

- Tu as donc renoncé à chercher ton arbre?

Ils tournèrent cela en plaisanterie pendant toute la journée.
L'arbre n'existait pas. C'était un conte de nourrice. Ils en
parlaient pourtant avec un léger frisson. Et, le lendemain, ils
décidèrent qu'ils iraient faire une promenade au fond du parc, sous
les hautes futaies, que Serge ne connaissait pas encore. Le matin du
départ, Albine ne voulut rien emporter; elle était songeuse, même un
peu triste, avec un sourire très doux. Ils déjeunèrent, ils ne
descendirent que tard. Le soleil, déjà chaud, leur donnait une
langueur, les faisait marcher lentement l'un près de l'autre,
cherchant les filets d'ombre. Ni le parterre, ni le verger, qu'ils
durent traverser, ne les retinrent. Quand ils arrivèrent sous la
fraîcheur des grands ombrages, ils ralentirent encore leurs pas, ils
s'enfoncèrent dans le recueillement attendri de la forêt, sans une
parole, avec un gros soupir, comme s'ils eussent éprouvé un
soulagement à échapper au plein jour. Puis, lorsqu'il n'y eut que
des feuilles autour d'eux, lorsque aucune trouée ne leur montra les
lointains ensoleillés du parc, ils se regardèrent, souriants,
vaguement inquiets.

- Comme on est bien! murmura Serge.

Albine hocha la tête, ne pouvant répondre, tant elle était serrée à
la gorge. Ils ne se tenaient point à la taille, ainsi qu'ils en
avaient l'habitude. Les bras ballants, les mains ouvertes, ils
marchaient, sans se toucher, la tête un peu basse.

Mais Serge s'arrêta, en voyant des larmes tomber des joues d'Albine
et se noyer dans son sourire.

- Qu'as-tu? cria-t-il. Souffres-tu? T'es-tu blessée?

- Non, je ris, je t'assure, dit-elle. Je ne sais pas, c'est l'odeur
de tous ces arbres qui me fait pleurer.

Elle le regarda, elle reprit:

- Tu pleures aussi, toi. Tu vois bien que c'est bon.

- Oui, murmura-t-il, toute cette ombre, ça vous surprend. On
dirait, n'est-ce pas? qu'on entre dans quelque chose de si
extraordinairement doux, que cela vous fait mal... Mais il faudrait
me le dire, si tu avais quelque sujet de tristesse. Je ne t'ai pas
contrariée, tu n'es pas fâchée contre moi?

Elle jura que non. Elle était bien heureuse.

- Alors, pourquoi ne t'amuses-tu pas?... Veux-tu que nous jouions à
courir?

- Oh! non, pas à courir, répondit-elle en faisant une moue de
grande fille.

Et comme il lui parlait d'autres jeux, de monter aux arbres pour
dénicher des nids, de chercher des fraises ou des violettes, elle
finit par dire avec quelque impatience:

- Nous sommes trop grands. C'est bête de toujours jouer. Est-ce que
ça ne te plaît pas davantage, de marcher ainsi, à côté de moi, bien
tranquille?

Elle marchait, en effet, d'une si agréable façon, qu'il prenait le
plus beau plaisir du monde à entendre le petit claquement de ses
bottines sur la terre dure de l'allée. Jamais il n'avait fait
attention au balancement de sa taille, à la traînée vivante de sa
jupe, qui la suivait d'un frôlement de couleuvre. C'était une joie
qu'il n'épuiserait pas, de la voir ainsi s'en aller posément à côté
de lui, tant il découvrait de nouveaux charmes dans la moindre
souplesse de ses membres.

- Tu as raison, cria-t-il. C'est plus amusant que tout. Je
t'accompagnerais au bout de la terre, si tu voulais.

Cependant, à quelques pas de là, il la questionna pour savoir si
elle n'était pas lasse. Puis, il laissa entendre qu'il se reposerait
lui-même volontiers.

- Nous pourrions nous asseoir, balbutia-t-il.

- Non, répondit-elle, je ne veux pas!

- Tu sais, nous nous coucherions comme l'autre jour, au milieu des
prés. Nous aurions chaud, nous serions à notre aise.

- Je ne veux pas! Je ne veux pas!

Elle s'était écartée d'un bond, avec l'épouvante de ces bras d'homme
qui se tendaient vers elle. Lui, l'appela grande bête, voulut la
rattraper. Mais, comme il la touchait à peine du bout des doigts,
elle poussa un cri, si désespéré, qu'il s'arrêta, tout tremblant.

- Je t'ai fait du mal?

Elle ne répondit pas tout de suite, étonnée elle-même de son cri,
souriant déjà de sa peur.

- Non, laisse-moi, ne me tourmente pas... Qu'est-ce que nous
ferions, quand nous serions assis? J'aime mieux marcher.

Et elle ajouta, d'un air grave qui feignait de plaisanter:

- Tu sais bien que je cherche mon arbre.

Alors, il se mit à rire, offrant de chercher avec elle. Il se
faisait très doux, pour ne pas l'effrayer davantage: car il voyait
qu'elle était encore frissonnante, bien qu'elle eût repris sa marche
lente, à son côté. C'était défendu, ce qu'ils allaient faire là, ça
ne leur porterait pas chance; et il se sentait ému, comme elle,
d'une terreur délicieuse, qui le secouait d'un tressaillement, à
chaque soupir lointain de la forêt. L'odeur des arbres, le jour
verdâtre qui tombait des hautes branches, le silence chuchotant des
broussailles, les emplissaient d'une angoisse, comme s'ils allaient,
au détour du premier sentier, entrer dans un bonheur redoutable.

Et, pendant des heures, ils marchèrent à travers les arbres. Ils
gardaient leur allure de promenade; ils échangeaient à peine
quelques mots, ne se séparant pas une minute, se suivant au fond des
trous de verdure les plus noirs. D'abord, ils s'engagèrent dans des
taillis dont les jeunes troncs n'avaient pas la grosseur d'un bras
d'enfant. Ils devaient les écarter, s'ouvrir une route parmi les
pousses tendres qui leur bouchaient les yeux de la dentelle volante
de leurs feuilles. Derrière eux, leur sillage s'effaçait, le
sentier, ouvert, se refermait; et ils avançaient au hasard, perdus,
roulés, ne laissant de leur passage que le balancement des hautes
branches. Albine, lasse de ne pas voir à trois pas, fut heureuse,
lorsqu'elle put sauter hors de ce buisson énorme dont ils
cherchaient depuis longtemps le bout. Ils étaient au milieu d'une
éclaircie de petits chemins; de tous côtés, entre des haies vives,
se distribuaient des allées étroites, tournant sur elles-mêmes, se
coupant, se tordant, s'allongeant d'une façon capricieuse. Ils se
haussaient pour regarder par-dessus les haies; mais ils n'avaient
aucune hâte pénible, ils seraient restés volontiers là, s'oubliant
en détours continuels, goûtant la joie de marcher toujours sans
arriver jamais, s'ils n'avaient eu devant eux la ligne fière des
hautes futaies.



Pages: | Prev | | 1 | | 2 | | 3 | | 4 | | 5 | | 6 | | 7 | | 8 | | 9 | | 10 | | 11 | | 12 | | 13 | | 14 | | 15 | | 16 | | 17 | | 18 | | 19 | | 20 | | 21 | | 22 | | 23 | | 24 | | 25 | | 26 | | 27 | | 28 | | 29 | | 30 | | 31 | | 32 | | 33 | | 34 | | 35 | | 36 | | 37 | | 38 | | 39 | | 40 | | 41 | | 42 | | 43 | | 44 | | 45 | | 46 | | 47 | | 48 | | 49 | | 50 | | 51 | | 52 | | 53 | | 54 | | 55 | | 56 | | 57 | | 58 | | 59 | | 60 | | 61 | | 62 | | 63 | | 64 | | 65 | | 66 | | 67 | | 68 | | 69 | | 70 | | Next |

N O P Q R S T
U V W X Y Z 

Your last read book:

You dont read books at this site.