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Nous avons dormi. Lui, resta un peu surpris que cela fût fini si vite. Il allongea le bras, la tira par la jupe, comme pour la ramener contre lui. Et elle tomba sur les genoux, riant, répétant - Quoi donc? Quoi donc? Il ne savait pas. Il la regardait, lui prenait les coudes. Un instant, il la saisit par les cheveux, ce qui la fit crier. Puis, lorsqu'elle fut de nouveau debout, il s'enfonça la face dans l'herbe qui avait gardé la tiédeur de son corps. - Voilà, c'est fini, dit-il en se levant à son tour. Jusqu'au soir, ils coururent les prairies. Ils allaient devant eux, pour voir. Ils visitaient leur jardin. Albine marchait en avant, avec le flair d'un jeune chien, ne disant rien, toujours en quête de la clairière heureuse, bien qu'il n'y eût pas là les grands arbres qu'elle rêvait. Serge avait toutes sortes de galanteries maladroites; il se précipitait si rudement pour écarter les hautes herbes, qu'il manquait la faire tomber; il la soulevait à bras-le- corps, d'une étreinte qui la meurtrissait, lorsqu'il voulait l'aider à sauter les ruisseaux. Leur grande joie fut de rencontrer les trois autres rivières. La première coulait sur un lit de cailloux, entre deux files continues de saules, si bien qu'ils durent se laisser glisser à tâtons au beau milieu des branches, avec le risque de tomber dans quelque gros trou d'eau; mais Serge, roulé le premier, ayant de l'eau jusqu'aux genoux seulement, reçut Albine dans ses bras, la porta à la rive opposée pour qu'elle ne se mouillât point. L'autre rivière était toute noire d'ombre, sous une allée de hauts feuillages, où elle passait languissante, avec le froissement léger, les cassures blanches d'une jupe de satin, traînée par quelque dame rêveuse, au fond d'un bois; nappe profonde, glacée, inquiétante, qu'ils eurent la chance de pouvoir traverser à l'aide d'un tronc abattu d'un bord à l'autre, s'en allant à califourchon, s'amusant à troubler du pied le miroir d'acier bruni, puis se hâtant, effrayés des yeux étranges que les moindres gouttes qui jaillissaient ouvraient dans le sommeil du courant. Et ce fut surtout la dernière rivière qui les retint. Celle-là était joueuse comme eux; elle se ralentissait à certains coudes, partait de là en rires perlés, au milieu de grosses pierres, se calmait à l'abri d'un bouquet d'arbustes, essoufflée, vibrante encore; elle montrait toutes les humeurs du monde, ayant tour à tour pour lit des sables fins, des plaques de rochers, des graviers limpides, des terres grasses, que les sauts des grenouilles soulevaient en petites fumées jaunes. Albine et Serge y pataugèrent adorablement. Les pieds nus, ils remontèrent la rivière pour rentrer, préférant le chemin de l'eau au chemin des herbes, s'attardant à chaque île qui leur barrait le passage. Ils y débarquaient, ils y conquéraient des pays sauvages, ils s'y reposaient au milieu de grands joncs, de grands roseaux, qui semblaient bâtir exprès pour eux des huttes de naufragés. Retour charmant, amusé par les rives qui déroulaient leur spectacle, égayé de la belle humeur des eaux vivantes. Mais, comme ils quittaient la rivière, Serge comprit qu'Albine cherchait toujours quelque chose, le long des bords, dans les îles, jusque parmi les plantes dormant au fil du courant. Il dut l'aller enlever du milieu d'une nappe de nénuphars, dont les larges feuilles mettaient à ses jambes des collerettes de marquise. Il ne lui dit rien, il la menaça du doigt, et ils rentrèrent enfin, tout animés du plaisir de la journée, bras dessus, bras dessous, en jeune ménage qui revient d'une escapade. Ils se regardaient, se trouvaient plus beaux et plus forts; ils riaient pour sûr d'une autre façon que le matin. XI. - Nous ne sortons donc plus? demanda Serge, à quelques jours de là. Et la voyant hausser les épaules d'un air las, il ajouta comme pour se moquer d'elle: - Tu as donc renoncé à chercher ton arbre? Ils tournèrent cela en plaisanterie pendant toute la journée. L'arbre n'existait pas. C'était un conte de nourrice. Ils en parlaient pourtant avec un léger frisson. Et, le lendemain, ils décidèrent qu'ils iraient faire une promenade au fond du parc, sous les hautes futaies, que Serge ne connaissait pas encore. Le matin du départ, Albine ne voulut rien emporter; elle était songeuse, même un peu triste, avec un sourire très doux. Ils déjeunèrent, ils ne descendirent que tard. Le soleil, déjà chaud, leur donnait une langueur, les faisait marcher lentement l'un près de l'autre, cherchant les filets d'ombre. Ni le parterre, ni le verger, qu'ils durent traverser, ne les retinrent. Quand ils arrivèrent sous la fraîcheur des grands ombrages, ils ralentirent encore leurs pas, ils s'enfoncèrent dans le recueillement attendri de la forêt, sans une parole, avec un gros soupir, comme s'ils eussent éprouvé un soulagement à échapper au plein jour. Puis, lorsqu'il n'y eut que des feuilles autour d'eux, lorsque aucune trouée ne leur montra les lointains ensoleillés du parc, ils se regardèrent, souriants, vaguement inquiets. - Comme on est bien! murmura Serge. Albine hocha la tête, ne pouvant répondre, tant elle était serrée à la gorge. Ils ne se tenaient point à la taille, ainsi qu'ils en avaient l'habitude. Les bras ballants, les mains ouvertes, ils marchaient, sans se toucher, la tête un peu basse. Mais Serge s'arrêta, en voyant des larmes tomber des joues d'Albine et se noyer dans son sourire. - Qu'as-tu? cria-t-il. Souffres-tu? T'es-tu blessée? - Non, je ris, je t'assure, dit-elle. Je ne sais pas, c'est l'odeur de tous ces arbres qui me fait pleurer. Elle le regarda, elle reprit: - Tu pleures aussi, toi. Tu vois bien que c'est bon. - Oui, murmura-t-il, toute cette ombre, ça vous surprend. On dirait, n'est-ce pas? qu'on entre dans quelque chose de si extraordinairement doux, que cela vous fait mal... Mais il faudrait me le dire, si tu avais quelque sujet de tristesse. Je ne t'ai pas contrariée, tu n'es pas fâchée contre moi? Elle jura que non. Elle était bien heureuse. - Alors, pourquoi ne t'amuses-tu pas?... Veux-tu que nous jouions à courir? - Oh! non, pas à courir, répondit-elle en faisant une moue de grande fille. Et comme il lui parlait d'autres jeux, de monter aux arbres pour dénicher des nids, de chercher des fraises ou des violettes, elle finit par dire avec quelque impatience: - Nous sommes trop grands. C'est bête de toujours jouer. Est-ce que ça ne te plaît pas davantage, de marcher ainsi, à côté de moi, bien tranquille? Elle marchait, en effet, d'une si agréable façon, qu'il prenait le plus beau plaisir du monde à entendre le petit claquement de ses bottines sur la terre dure de l'allée. Jamais il n'avait fait attention au balancement de sa taille, à la traînée vivante de sa jupe, qui la suivait d'un frôlement de couleuvre. C'était une joie qu'il n'épuiserait pas, de la voir ainsi s'en aller posément à côté de lui, tant il découvrait de nouveaux charmes dans la moindre souplesse de ses membres. - Tu as raison, cria-t-il. C'est plus amusant que tout. Je t'accompagnerais au bout de la terre, si tu voulais. Cependant, à quelques pas de là, il la questionna pour savoir si elle n'était pas lasse. Puis, il laissa entendre qu'il se reposerait lui-même volontiers. - Nous pourrions nous asseoir, balbutia-t-il. - Non, répondit-elle, je ne veux pas! - Tu sais, nous nous coucherions comme l'autre jour, au milieu des prés. Nous aurions chaud, nous serions à notre aise. - Je ne veux pas! Je ne veux pas! Elle s'était écartée d'un bond, avec l'épouvante de ces bras d'homme qui se tendaient vers elle. Lui, l'appela grande bête, voulut la rattraper. Mais, comme il la touchait à peine du bout des doigts, elle poussa un cri, si désespéré, qu'il s'arrêta, tout tremblant. - Je t'ai fait du mal? Elle ne répondit pas tout de suite, étonnée elle-même de son cri, souriant déjà de sa peur. - Non, laisse-moi, ne me tourmente pas... Qu'est-ce que nous ferions, quand nous serions assis? J'aime mieux marcher. Et elle ajouta, d'un air grave qui feignait de plaisanter: - Tu sais bien que je cherche mon arbre. Alors, il se mit à rire, offrant de chercher avec elle. Il se faisait très doux, pour ne pas l'effrayer davantage: car il voyait qu'elle était encore frissonnante, bien qu'elle eût repris sa marche lente, à son côté. C'était défendu, ce qu'ils allaient faire là, ça ne leur porterait pas chance; et il se sentait ému, comme elle, d'une terreur délicieuse, qui le secouait d'un tressaillement, à chaque soupir lointain de la forêt. L'odeur des arbres, le jour verdâtre qui tombait des hautes branches, le silence chuchotant des broussailles, les emplissaient d'une angoisse, comme s'ils allaient, au détour du premier sentier, entrer dans un bonheur redoutable. Et, pendant des heures, ils marchèrent à travers les arbres. Ils gardaient leur allure de promenade; ils échangeaient à peine quelques mots, ne se séparant pas une minute, se suivant au fond des trous de verdure les plus noirs. D'abord, ils s'engagèrent dans des taillis dont les jeunes troncs n'avaient pas la grosseur d'un bras d'enfant. Ils devaient les écarter, s'ouvrir une route parmi les pousses tendres qui leur bouchaient les yeux de la dentelle volante de leurs feuilles. Derrière eux, leur sillage s'effaçait, le sentier, ouvert, se refermait; et ils avançaient au hasard, perdus, roulés, ne laissant de leur passage que le balancement des hautes branches. Albine, lasse de ne pas voir à trois pas, fut heureuse, lorsqu'elle put sauter hors de ce buisson énorme dont ils cherchaient depuis longtemps le bout. Ils étaient au milieu d'une éclaircie de petits chemins; de tous côtés, entre des haies vives, se distribuaient des allées étroites, tournant sur elles-mêmes, se coupant, se tordant, s'allongeant d'une façon capricieuse. Ils se haussaient pour regarder par-dessus les haies; mais ils n'avaient aucune hâte pénible, ils seraient restés volontiers là, s'oubliant en détours continuels, goûtant la joie de marcher toujours sans arriver jamais, s'ils n'avaient eu devant eux la ligne fière des hautes futaies. Pages: | Prev | | 1 | | 2 | | 3 | | 4 | | 5 | | 6 | | 7 | | 8 | | 9 | | 10 | | 11 | | 12 | | 13 | | 14 | | 15 | | 16 | | 17 | | 18 | | 19 | | 20 | | 21 | | 22 | | 23 | | 24 | | 25 | | 26 | | 27 | | 28 | | 29 | | 30 | | 31 | | 32 | | 33 | | 34 | | 35 | | 36 | | 37 | | 38 | | 39 | | 40 | | 41 | | 42 | | 43 | | 44 | | 45 | | 46 | | 47 | | 48 | | 49 | | 50 | | 51 | | 52 | | 53 | | 54 | | 55 | | 56 | | 57 | | 58 | | 59 | | 60 | | 61 | | 62 | | 63 | | 64 | | 65 | | 66 | | 67 | | 68 | | 69 | | 70 | | Next | |
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