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Text on one page: Few Medium Many
Nous serions mieux dans le
jardin, plus à l'aise, plus à l'abri. Tu as tort d'en vouloir au
jardin.

Il s'était remis à ses pieds, muet, les paupières baissées, avec des
frémissements qui lui couraient sur la face.

- Nous n'irons pas, reprit-elle, ne te fâche pas. Mais est-ce que
tu ne préfères pas les herbes du parc à ces peintures? Tu te
rappelles tout ce que nous avons vu ensemble... Ce sont ces
peintures qui nous attristent. Elles sont gênantes, à nous regarder
toujours.

Et comme il s'abandonnait peu à peu contre elle, elle lui passa un
bras au cou, elle lui renversa la tête sur ses genoux, murmurant
encore, à voix plus basse:

- C'est comme cela qu'on serait bien, dans un coin que je connais.
Là, rien ne nous troublerait. Le grand air guérirait ta fièvre.

Elle se tut, sentant qu'il frissonnait. Elle craignait qu'un mot
trop vif ne le rendit à ses terreurs. Lentement, elle le conquérait,
rien qu'à promener sur son visage la caresse bleue de son regard. Il
avait relevé les paupières, il reposait sans tressaillements
nerveux, tout à elle.

- Ah! si tu savais! souffla-t-elle doucement à son oreille.

Elle s'enhardit, en voyant qu'il ne cessait pas de sourire.

- C'est un mensonge, ce n'est pas défendu, murmura-t-elle. Tu es un
homme, tu ne dois pas avoir peur... Si nous allions là, et que
quelque danger me menaçât, tu me défendrais, n'est-ce pas? Tu
saurais bien m'emporter à ton cou? Moi, je suis tranquille, quand je
suis avec toi... Vois donc comme tu as des bras forts. Est-ce qu'on
redoute quelque chose, lorsqu'on des bras aussi forts que les tiens!

D'une main, elle le flattait, longuement, sur les cheveux, sur la
nuque, sur les épaules.

- Non, ce n'est pas défendu, reprit-elle. Cette histoire-là est
bonne pour les bêtes. Ceux qui l'ont répandue, autrefois, avaient
intérêt à ce qu'on n'allât pas les déranger dans l'endroit le plus
délicieux du jardin... Dis-toi que, dès que tu seras assis sur ce
tapis d'herbe, tu seras parfaitement heureux. Alors seulement nous
connaîtrons tout, nous serons les vrais maîtres... Ecoute-moi, viens
avec moi.

Il refusa de la tête, mais sans colère, en homme que ce jeu amusait.

Puis, au bout d'un silence, désolé de la voir bouder, voulant
qu'elle le caressât encore, il ouvrit enfin les lèvres, il demanda:

- Où est-ce?

Elle ne répondit pas d'abord. Elle semblait regarder au loin.

- C'est là-bas, murmura-t-elle. Je ne puis pas t'indiquer. Il faut
suivre la longue allée, puis on tourne à gauche, et encore à gauche.
Nous avons dû passer à côté vingt fois... Va, tu aurais beau
chercher, tu ne trouverais pas, si je ne t'y menais par la main.
Moi, j'irais tout droit, bien qu'il me soit impossible de
t'enseigner le chemin.

- Et qui t'a conduite?

- Je ne sais pas... Les plantes, ce matin-là, avaient toutes l'air
de me pousser de ce côté. Les branches longues me fouettaient par-
derrière, les herbes ménageaient des pentes, les sentiers
s'offraient d'eux-mêmes. Et je crois que les bêtes s'en mêlaient
aussi, car j'ai vu un cerf qui galopait devant moi comme pour
m'inviter à le suivre, tandis qu'un vol de bouvreuils allait d'arbre
en arbre, m'avertissant par de petits cris, lorsque j'étais tentée
de prendre une mauvaise route.

- Et c'est très beau?

De nouveau, elle ne répondit pas. Une profonde extase noyait ses
yeux. Et quand elle put parler:

- Beau comme je ne saurais le dire... J'ai été pénétrée d'un tel
charme, que j'ai eu simplement conscience d'une joie sans nom,
tombant des feuillages, dormant sur les herbes. Et je suis revenue
en courant, pour te ramener avec moi, pour ne pas goûter sans toi le
bonheur de m'asseoir dans cette ombre.

Elle lui reprit le cou entre ses bras, le suppliant ardemment, de
tout près, les lèvres presque sur ses lèvres.

- Oh! tu viendras, balbutia-t-elle. Songe que je vivrais désolée,
si tu ne venais pas... C'est une envie que j'ai, un besoin lointain,
qui a grandi chaque jour, qui maintenant me fait souffrir. Tu ne
peux pas vouloir que je souffre?... Et quand même tu devrais en
mourir, quand même cette ombre nous tuerait tous les deux, est-ce
que tu hésiterais, est-ce que tu aurais le moindre regret? Nous
resterions couchés ensemble, au pied de l'arbre; nous dormirions
toujours, l'un contre l'autre. Cela serait très bon, n'est-ce pas?

- Oui, oui, bégaya-t-il, gagné par l'affolement de cette passion
toute vibrante de désir.

- Mais nous ne mourrons pas, continua-t-elle, haussant la voix,
avec un rire de femme victorieuse; nous vivrons pour nous aimer...
C'est un arbre de vie, un arbre sous lequel nous serons plus forts,
plus sains, plus parfaits. Tu verras, tout nous deviendra aisé. Tu
pourras me prendre, ainsi que tu rêvais de le faire, si étroitement,
que pas un bout de mon corps ne sera hors de toi. Alors, j'imagine
quelque chose de céleste qui descendra en nous... Veux-tu?

Il pâlissait, il battait des paupières, comme si une grande clarté
l'eût gêné.

- Veux-tu? Veux-tu? répéta-t-elle, plus brûlante, déjà soulevée à
demi.

Il se mit debout, il la suivit, chancelant d'abord, puis attaché à
sa taille, ne pouvant se séparer d'elle. Il allait où elle allait,
entraîné dans l'air chaud coulant de sa chevelure. Et comme il
venait un peu en arrière, elle se tournait à demi; elle avait un
visage tout luisant d'amour, une bouche et des yeux de tentation,
qui l'appelaient, avec un tel empire, qu'il l'aurait ainsi
accompagnée, partout en chien fidèle.





XV.

Ils descendirent, ils marchèrent au milieu du jardin, sans que Serge
cessât de sourire. Il n'aperçut les verdures que dans les miroirs
clairs des yeux d'Albine. Le jardin, en les voyant, avait eu comme
un rire prolongé, un murmure satisfait volant de feuille en feuille,
jusqu'au bout des avenues les plus profondes. Depuis des journées,
il devait les attendre, ainsi liés à la taille, réconciliés avec les
arbres, cherchant sur les couches d'herbe leur amour perdu. Un chut
solennel courut sous les branches. Le ciel de deux heures avait un
assoupissement de brasier. Des plantes se haussaient pour les
regarder passer.

- Les entends-tu? demandait Albine à demi-voix. Elles se taisent
quand nous approchons. Mais, au loin, elles nous attendent, elles se
confient de l'une à l'autre le chemin qu'elles doivent nous
indiquer... Je t'avais bien dit que nous n'aurions pas à nous
inquiéter des sentiers. Ce sont les arbres qui me montrent la route,
de leurs bras tendus.

En effet, le parc entier les poussait doucement. Derrière eux, il
semblait qu'une barrière de buissons se hérissât, pour les empêcher
de revenir sur leurs pas; tandis que, devant eux, le tapis des
gazons se déroulait, si aisément, qu'ils ne regardaient même plus à
leurs pieds, s'abandonnant aux pentes douces des terrains.

- Et les oiseaux nous accompagnent, reprenait Albine. Ce sont des
mésanges, cette fois. Les vois-tu?... Elles filent le long des
haies, elles s'arrêtent à chaque détour, pour veiller à ce que nous
ne nous égarions pas. Ah! si nous comprenions leur chant, nous
saurions qu'elles nous invitent à nous hâter.

Puis, elle ajoutait:

- Toutes les bêtes du parc sont avec nous. Ne les sens-tu pas? Il y
a un grand frôlement qui nous suit: ce sont les oiseaux dans les
arbres, les insectes dans les herbes, les chevreuils et les cerfs
dans les taillis, et jusqu'aux poissons, dont les nageoires battent
les eaux muettes... Ne te retourne pas, cela les effrayerait; mais
je suis sûre que nous avons un beau cortège.

Cependant, ils marchaient toujours, d'un pas sans fatigue. Albine ne
parlait que pour charmer Serge de la musique de sa voix. Serge
obéissait à la moindre pression de la main d'Albine. Ils ignoraient
l'un et l'autre où ils passaient, certains d'aller droit où ils
voulaient aller. Et, à mesure qu'ils avançaient, le jardin se
faisait plus discret, retenait le soupir de ses ombrages, le
bavardage de ses eaux, la vie ardente de ses bêtes. Il n'y avait
plus qu'un grand silence frissonnant, une attente religieuse.

Alors, instinctivement, Albine et Serge levèrent la tête. En face
d'eux était un feuillage colossal. Et, comme ils hésitaient, un
chevreuil, qui les regardait de ses beaux yeux doux, sauta d'un bond
dans les taillis.

- C'est là, dit Albine.

Elle s'approcha la première, la tête de nouveau tournée, tirant à
elle Serge; puis, ils disparurent derrière le frisson des feuilles
remuées, et tout se calma. Ils entraient dans une paix délicieuse.

C'était, au centre, un arbre noyé d'une ombre si épaisse, qu'on ne
pouvait en distinguer l'essence. Il avait une taille géante, un
tronc qui respirait comme une poitrine, des branches qu'il étendait
au loin, pareilles à des membres protecteurs. Il semblait bon,
robuste, puissant, fécond; il était le doyen du jardin, le père de
la forêt, l'orgueil des herbes, l'ami du soleil qui se levait et se
couchait chaque jour sur sa cime. De sa voûte verte, tombait toute
la joie de la création: des odeurs de fleurs, des chants d'oiseaux,
des gouttes de lumière, des réveils frais d'aurore, des tiédeurs
endormies de crépuscule. Sa sève avait une telle force, qu'elle
coulait de son écorce; elle le baignait d'une buée de fécondation;
elle faisait de lui la virilité même de la terre. Et il suffisait à
l'enchantement de la clairière. Les autres arbres, autour de lui,
bâtissaient le mur impénétrable qui l'isolait au fond d'un
tabernacle de silence et de demi-jour; il n'y avait là qu'une
verdure, sans un coin de ciel, sans une échappée d'horizon, qu'une
rotonde, drapée partout de la soie attendrie des feuilles, tendue à
terre du velours satiné des mousses. On y entrait comme dans le
cristal d'une source, au milieu d'une limpidité verdâtre, nappe
d'argent assoupie sous un reflet de roseaux. Couleurs, parfums,
sonorités, frissons, tout restait vague, transparent, innommé, pâmé
d'un bonheur allant jusqu'à l'évanouissement des choses. Une
langueur d'alcôve, une lueur de nuit d'été mourant sur l'épaule nue
d'une amoureuse, un balbutiement d'amour à peine distinct, tombant
brusquement à un grand spasme muet, traînaient dans l'immobilité des
branches que pas un souffle n'agitait.



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