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Text on one page: Few Medium Many
Solitude nuptiale, toute
peuplée d'êtres embrassés, chambre vide, où l'on sentait quelque
part, derrière des rideaux tirés, dans un accouplement ardent, la
nature assouvie aux bras du soleil. Par moments, les reins de
l'arbre craquaient; ses membres se raidissaient comme ceux d'une
femme en couches; la sueur de vie qui coulait de son écorce pleuvait
plus largement sur les gazons d'alentour, exhalant la mollesse d'un
désir, noyant l'air d'abandon, pâlissant la clairière d'une
jouissance. L'arbre alors défaillait avec son ombre, ses tapis
d'herbe, sa ceinture d'épais taillis. Il n'était plus qu'une
volupté.

Albine et Serge restaient ravis. Dès que l'arbre les eut pris sous
la douceur de ses branches, ils se sentirent guéris de l'anxiété
intolérable dont ils avaient souffert. Ils n'éprouvaient plus cette
peur qui les faisait se fuir, ces luttes chaudes, désespérées, dans
lesquelles ils se meurtrissaient, sans savoir contre quel ennemi ils
résistaient si furieusement. Au contraire, une confiance absolue,
une sérénité suprême les emplissaient; ils s'abandonnaient l'un à
l'autre, glissant lentement au plaisir d'être ensemble, très loin,
au fond d'une retraite miraculeusement cachée. Sans se douter encore
de ce que le jardin exigeait d'eux, ils le laissaient libre de
disposer de leur tendresse; ils attendaient, sans trouble, que
l'arbre leur parlât. L'arbre les mettait dans un aveuglement d'amour
tel, que la clairière disparaissait, immense, royale, n'ayant plus
qu'un bercement d'odeur.

Ils s'étaient arrêtés, avec un léger soupir, saisis par la fraîcheur
musquée.

- L'air a le goût d'un fruit, murmura Albine.

Serge, à son tour, dit très bas:

- L'herbe est si vivante, que je crois marcher sur un coin de ta
robe.

Ils baissaient la voix par un sentiment religieux. Ils n'eurent pas
même la curiosité de regarder en l'air, pour voir l'arbre. Ils en
sentaient trop la majesté sur leurs épaules. Albine, d'un regard,
demandait si elle avait exagéré l'enchantement des verdures. Serge
répondait par deux larmes claires, qui coulaient sur ses joues. Leur
joie d'être enfin là restait indicible.

- Viens, dit-elle à son oreille, d'une voix plus légère qu'un
souffle.

Et elle alla, la première, se coucher au pied même de l'arbre. Elle
lui tendit les mains avec un sourire, tandis que lui, debout,
souriait aussi, en lui donnant les siennes. Lorsqu'elle les tint,
elle l'attira à elle, lentement. Il tomba à son côté. Il la prit
tout de suite contre sa poitrine. Cette étreinte les laissa pleins
d'aise.

- Ah! tu te rappelles, dit-il, ce mur qui semblait nous séparer...
Maintenant, je te sens, il n'y a plus rien entre nous... Tu ne
souffres pas?

- Non, non, répondit-elle. Il fait bon.

Ils gardèrent le silence, sans se lâcher. Une émotion délicieuse,
sans secousse, douce comme une nappe de lait répandue, les
envahissait. Puis, Serge promena les mains le long du corps
d'Albine. Il répétait:

--Ton visage est à moi, tes yeux, ta bouche, tes joues... Tes bras
sont à moi, depuis tes ongles jusqu'à tes épaules... Tes pieds sont
à moi, tes genoux sont à moi, toute ta personne est à moi.

Et il lui baisait le visage, sur les yeux, sur la bouche, sur les
joues. Il lui baisait les bras, à petits baisers rapides, remontant
des doigts jusqu'aux épaules. Il lui baisait les pieds, il lui
baisait les genoux. Il la baignait d'une pluie de baisers, tombant à
larges gouttes, tièdes comme les gouttes d'une averse d'été,
partout, lui battant le cou, les seins, les hanches, les flancs.
C'était une prise de possession sans emportement, continue,
conquérant les plus petites veines bleues sous la peau rose.

- C'est pour me donner que je te prends, reprit-il. Je veux me
donner à toi tout entier, à jamais; car, je le sais bien à cette
heure, tu es ma maîtresse, ma souveraine, celle que je dois adorer à
genoux. Je ne suis ici que pour t'obéir, pour rester à tes pieds,
guettant tes volontés, te protégeant de mes bras étendus, écartant
du souffle les feuilles volantes qui troubleraient ta paix... Oh!
daigne permettre que je disparaisse, que je m'absorbe dans ton être,
que je sois l'eau que tu bois, le pain que tu manges. Tu es ma fin.
Depuis que je me suis éveillé au milieu de ce jardin, j'ai marché à
toi, j'ai grandi pour toi. Toujours, comme but, comme récompense,
j'ai vu ta grâce. Tu passais dans le soleil, avec ta chevelure d'or;
tu étais une promesse m'annonçant que tu me ferais connaître, un
jour, la nécessité de cette création, de cette terre, de ces arbres,
de ces eaux, de ce ciel, dont le mot suprême m'échappe encore... Je
t'appartiens, je suis esclave, je t'écouterai, les lèvres sur tes
pieds.

Il disait ces choses, courbé à terre, adorant la femme. Albine,
orgueilleuse, se laissait adorer. Elle tendait les doigts, les
seins, les lèvres, aux baisers dévots de Serge. Elle se sentait
reine, à le regarder si fort et si humble devant elle. Elle l'avait
vaincu, elle le tenait à sa merci, elle pouvait d'un seul mot
disposer de lui. Et ce qui la rendait toute-puissante, c'était
qu'elle entendait autour d'eux le jardin se réjouir de son triomphe,
l'aider d'une clameur lentement grossie.

Serge n'avait plus que des balbutiements. Ses baisers s'égaraient.
Il murmura encore:

- Ah! je voudrais savoir... Je voudrais te prendre, te garder,
mourir peut-être, ou nous envoler, je ne puis pas dire...

Tous deux, renversés, restèrent muets, perdant haleine, la tête
roulante. Albine eut la force de lever un doigt, comme pour inviter
Serge à écouter.

C'était le jardin qui avait voulu la faute. Pendant des semaines, il
s'était prêté au lent apprentissage de leur tendresse. Puis, au
dernier jour, il venait de les conduire dans l'alcôve verte.
Maintenant, il était le tentateur, dont toutes les voix enseignaient
l'amour. Du parterre, arrivaient des odeurs de fleurs pâmées, un
long chuchotement, qui contait les noces des roses, les voluptés des
violettes; et jamais les sollicitations des héliotropes n'avaient eu
une ardeur plus sensuelle. Du verger, c'étaient des bouffées de
fruits mûrs que le vent apportait, une senteur grasse de fécondité,
la vanille des abricots, le musc des oranges. Les prairies élevaient
une voix plus profonde, faite des soupirs des millions d'herbes que
le soleil baisait, large plainte d'une foule innombrable en rut,
qu'attendrissaient les caresses fraîches des rivières, les nudités
des eaux courantes, au bord desquelles les saules rêvaient tout haut
de désir. La forêt soufflait la passion géante des chênes, les
chants d'orgue des hautes futaies, une musique solennelle, menant le
mariage des frênes, des bouleaux, des charmes, des platanes, au fond
des sanctuaires de feuillage; tandis que les buissons, les jeunes
taillis étaient pleins d'une polissonnerie adorable, d'un vacarme
d'amants se poursuivant, se jetant au bord des fossés, se volant le
plaisir, au milieu d'un grand froissement de branches. Et, dans cet
accouplement du parc entier, les étreintes les plus rudes
s'entendaient au loin, sur les roches, là où la chaleur faisait
éclater les pierres gonflées de passion, où les plantes épineuses
aimaient d'une façon tragique, sans que les sources voisines pussent
les soulager, tout allumées elles-mêmes par l'astre qui descendait
dans leur lit.

- Que disent-ils? murmura Serge, éperdu. Que veulent-ils de nous, à
nous supplier ainsi?

Albine, sans parler, le serra contre elle.

Les voix étaient devenues plus distinctes. Les bêtes du jardin, à
leur tour, leur criaient de s'aimer. Les cigales chantaient de
tendresse à en mourir. Les papillons éparpillaient des baisers, aux
battements de leurs ailes. Les moineaux avaient des caprices d'une
seconde, des caresses de sultans vivement promenées au milieu d'un
sérail. Dans les eaux claires, c'étaient des pâmoisons de poissons
déposant leur frai au soleil, des appels ardents et mélancoliques de
grenouilles, toute une passion mystérieuse, monstrueusement assouvie
dans la fadeur glauque des roseaux. Au fond des bois, les rossignols
jetaient des rires perlés de volupté, les cerfs bramaient, ivres
d'une telle concupiscence, qu'ils expiraient de lassitude à côté des
femelles presque éventrées. Et, sur les dalles des rochers, au bord
des buissons maigres, des couleuvres, nouées deux à deux, sifflaient
avec douceur, tandis que de grands lézards couvaient leurs oeufs,
l'échine vibrante d'un léger ronflement d'extase. Des coins les plus
reculés, des nappes de soleil, des trous d'ombre, une odeur animale
montait, chaude du rut universel. Toute cette vie pullulante avait
un frisson d'enfantement. Sous chaque feuille, un insecte concevait;
dans chaque touffe d'herbe, une famille poussait; des mouches
volantes, collées l'une à l'autre, n'attendaient pas de s'être
posées pour se féconder. Les parcelles de vie invisibles qui
peuplent la matière, les atomes de la matière eux-mêmes, aimaient,
s'accouplaient, donnaient au sol un branle voluptueux, faisaient du
parc une grande fornication.

Alors, Albine et Serge entendirent. Il ne dit rien, il la lia de ses
bras, toujours plus étroitement. La fatalité de la génération les
entourait. Ils cédèrent aux exigences du jardin. Ce fut l'arbre qui
confia à l'oreille d'Albine ce que les mères murmurent aux épousées,
le soir des noces.

Albine se livra. Serge la posséda.

Et le jardin entier s'abîma avec le couple, dans un dernier cri de
passion. Les troncs se ployèrent comme sous un grand vent; les
herbes laissèrent échapper un sanglot d'ivresse; les fleurs,
évanouies, les lèvres ouvertes, exhalèrent leur âme; le ciel lui-
même, tout embrasé d'un coucher d'astre, eut des nuages immobiles,
des nuages pâmés, d'où tombait un ravissement surhumain. Et c'était
une victoire pour les bêtes, les plantes, les choses, qui avaient
voulu l'entrée de ces deux enfants dans l'éternité de la vie. Le
parc applaudissait formidablement.





XVI.

Lorsque Albine et Serge s'éveillèrent de la stupeur de leur
félicité, ils se sourirent. Ils revenaient d'un pays de lumière. Ils
redescendaient de très haut. Alors, ils se serrèrent la main, pour
se remercier.



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