A B C D E F
G H I J K L M 

Total read books on site:
more than 10 000

You can read its for free!


Text on one page: Few Medium Many
mon gros, tu leur as assez de fois volé leur soupe pour
qu'elles te mangent un peu le cou maintenant.

La Teuse ôta rapidement son tablier, dont elle enveloppa le cou de
Mathieu. Ensuite, elle se hâta, elle disparut dans l'église. La
grande porte venait de crier sur ses gonds rouillés, une bouffée de
chant s'élargissait en plein air, au milieu du soleil calme. Et,
tout d'un coup, la cloche se mit à sonner, à coups réguliers.
Désirée, qui était restée agenouillée devant le cochon, lui tapant
toujours sur le ventre, avait levé la tête, écoutait, sans cesser de
sourire. Puis, se voyant seule, ayant regardé sournoisement autour
d'elle, elle se glissa dans l'écurie, dont elle referma la porte sur
elle. Elle allait aider la vache.

La petite grille du cimetière, qu'on avait voulu ouvrir toute
grande, pour laisser passer le corps, pendait contre le mur, à demi
arrachée. Dans le champ vide, le soleil dormait, sur les herbes
sèches. Le convoi entra, en psalmodiant le dernier verset du
Miserere. Et il y eut un silence.

- Requiem oeternam dona ei, Domine, reprit d'une voix grave l'abbé
Mouret.

- Et lux perpetua luceat ei, ajouta Frère Archangias, avec un
mugissement de chantre.

D'abord, Vincent s'avançait, en surplis, portant la croix, une
grande croix de cuivre à moitié désargentée, qu'il levait à deux
mains, très haut. Puis, marchait l'abbé Mouret, pâle dans sa
chasuble noire, la tête droite, chantant sans un tremblement des
lèvres, les yeux fixés au loin, devant lui. Le cierge allumé qu'il
tenait tachait à peine le plein jour d'une goutte chaude. Et, à deux
pas, le touchant presque, venait le cercueil d'Albine, que quatre
paysans portaient sur une sorte de brancard peint en noir. Le
cercueil mal recouvert par un drap trop court montrait, aux pieds,
le sapin neuf de ses planches, dans lequel les têtes des clous
mettaient des étincelles d'acier. Au milieu du drap, des fleurs
étaient semées, des poignées de roses blanches, de jacinthes et de
tubéreuses, prises au lit même de la morte.

- Faites donc attention! cria Frère Archangias aux paysans, lorsque
ceux-ci penchèrent un peu le brancard, pour qu'il pût passer, sans
s'accrocher à la grille. Vous allez tout flanquer par terre!

Et il retint le cercueil de sa grosse main. Il portait l'aspersoir,
faute d'un second clerc; et il remplaçait également le chantre, le
garde-champêtre, qui n'avait pu venir.

- Entrez aussi, vous autres, dit-il en se tournant.

C'était un autre convoi, le petit de la Rosalie, mort la veille,
dans une crise de convulsions. Il y avait là, la mère, le père, la
vieille Brichet, Catherine, et deux grandes filles, la Rousse et
Lisa. Ces dernières tenaient le cercueil du petit, chacune par un
bout.

Brusquement, les voix tombèrent. Il y eut un nouveau silence. La
cloche sonnait toujours, sans se presser, d'une façon navrée. Le
convoi traversa tout le cimetière, se dirigeant vers l'angle que
formaient l'église et le mur de la basse-cour. Des vols de
sauterelles s'envolaient, des lézards rentraient vivement dans leurs
trous. Une chaleur, lourde encore, pesait sur ce coin de terre
grasse. Les petits bruits des herbes cassées sous le piétinement du
cortège prenaient un murmure de sanglots étouffés.

- Là, arrêtez-vous, dit le Frère en barrant le chemin aux deux
grandes filles qui tenaient le petit. Attendez votre tour. Vous
n'avez pas besoin d'être dans nos jambes.

Et les grandes filles posèrent le petit à terre. La Rosalie, Fortuné
et la vieille Brichet s'arrêtèrent au milieu du cimetière, tandis
que Catherine suivait sournoisement Frère Archangias. La fosse
d'Albine était creusée à gauche de la tombe de l'abbé Caffin, dont
la pierre blanche semblait au soleil toute semée de paillettes
d'argent. Le trou béant, frais du matin, s'ouvrait parmi de grosses
touffes d'herbe; sur le bord, de hautes plantes, à demi arrachées,
penchaient leurs tiges; au fond, une fleur était tombée, tachant le
noir de la terre de ses pétales rouges. Lorsque l'abbé Mouret
s'avança, la terre molle céda sous ses pieds; il dut reculer, pour
ne pas rouler dans la fosse.

- Ego sum... entonna-t-il d'une voix pleine, qui dominait les
lamentations de la cloche.

Et, pendant l'antienne, les assistants instinctivement jetaient des
coups d'oeil furtifs au fond du trou, vide encore. Vincent, qui
avait planté la croix au pied de la fosse, en face du prêtre,
poussait du soulier de petits filets de terre, qu'il s'amusait à
regarder tomber; et cela faisait rire Catherine, penchée derrière
lui, pour mieux voir. Les paysans avaient posé la bière sur l'herbe.
Ils s'étiraient les bras, pendant que Frère Archangias préparait
l'aspersoir.

- Ici, Voriau! appela Fortuné.

Le grand chien noir, qui était allé flairer la bière, revint en
rechignant.

- Pourquoi a-t-on amené ce chien? s'écria Rosalie.

- Pardi! il nous a suivis, dit Lisa, en s'égayant discrètement.

Tout ce monde causait à demi-voix, autour du cercueil du petit. Le
père et la mère l'oubliaient par moments; puis, ils se taisaient,
quand ils le retrouvaient là, entre eux, à leurs pieds.

- Et le père Bambousse n'a pas voulu venir? demanda la Rousse.

La vieille Brichet leva les yeux au ciel.

- Il parlait de tout casser, hier, quand le petit est mort,
murmura-t-elle. Non, ce n'est pas un bon homme, je le dis devant
vous, Rosalie... Est-ce qu'il n'a pas failli m'étrangler, en criant
qu'on l'avait volé, qu'il aurait donné un de ses champs de blé, pour
que le petit mourût trois jours avant la noce!

- On ne pouvait pas savoir, dit d'un air malin le grand Fortuné.

- Qu'est-ce que ça fait que le vieux se fâche! ajouta Rosalie. Nous
sommes mariés tout de même, maintenant.

Ils se souriaient par-dessus la petite bière, les yeux luisants.
Lisa et la Rousse se poussèrent du coude. Tous redevinrent très
sérieux. Fortuné avait pris une motte de terre pour chasser Voriau,
qui rôdait à présent parmi les vieilles dalles.

- Ah! voilà que ça va être fini, souffla très bas la Rousse.

Devant la fosse, l'abbé Mouret achevait le De profundis. Puis, il
s'approcha du cercueil, à pas lents, se redressa, le regarda un
instant, sans un battement de paupières. Il semblait plus grand, il
avait une sérénité de visage qui le transfigurait.

Et il se baissa, il ramassa une poignée de terre qu'il sema sur la
bière en forme de croix. Il récitait, d'une voix si claire, que pas
une syllabe ne fut perdue:

- Revertitur in terram suam unde erat, et spiritus redit ad Deum
qui dedit illum.

Un frisson avait couru parmi les assistants. Lisa réfléchissait,
disant d'un air ennuyé:

- Ça n'est pas gai tout de même, quand on pense qu'on y passera à
son tour.

Frère Archangias avait tendu l'aspersoir au prêtre. Celui-ci le
secoua au-dessus du corps, à plusieurs reprises. Il murmura:

- Requiescat in pace.

- Amen, répondirent à la fois Vincent et le Frère, d'un ton si aigu
et d'un ton si grave, que Catherine dut se mettre le poing sur la
bouche, pour ne pas éclater.

- Non, non, ce n'est pas gai, continuait Lisa... Il n'y a seulement
personne, à cet enterrement. Sans nous, le cimetière serait vide.

- On raconte qu'elle s'est tuée, dit la vieille Brichet.

- Oui, je sais, interrompit la Rousse. Le Frère ne voulait pas
qu'on l'enterrât avec les chrétiens. Mais monsieur le curé a répondu
que l'éternité était pour tout le monde. J'étais là... N'importe, le
Philosophe aurait pu venir.

Mais la Rosalie les fit taire en murmurant:

- Eh! regardez, le voilà, le Philosophe!

En effet, Jeanbernat entrait dans le cimetière. Il marcha droit au
groupe qui se tenait autour de la fosse. Il avait son pas gaillard,
si souple encore, qu'il ne faisait aucun bruit. Quand il se fut
avancé, il demeura debout derrière Frère Archangias, dont il sembla
couver un instant la nuque des yeux. Puis, comme l'abbé Mouret
achevait les oraisons, il tira tranquillement un couteau de sa
poche, l'ouvrit, et abattit, d'un seul coup, l'oreille droite du
Frère.

Personne n'avait eu le temps d'intervenir. Le Frère poussa un
hurlement.

- La gauche sera pour une autre fois, dit paisiblement Jeanbernat
en jetant l'oreille par terre.

Et il repartit. La stupeur fut telle, qu'on ne le poursuivit même
pas. Frère Archangias s'était laissé tomber sur le tas de terre
fraîche retirée du trou. Il avait mis son mouchoir en tampon sur sa
blessure. Un des quatre porteurs voulut l'emmener, le reconduire
chez lui. Mais il refusa du geste. Il resta là, farouche, attendant,
voulant voir descendre Albine dans le trou.

- Enfin, c'est notre tour, dit la Rosalie avec un léger soupir.

Cependant, l'abbé Mouret s'attardait près de la fosse, à regarder
les porteurs qui attachaient le cercueil d'Albine avec des cordes,
pour le faire glisser sans secousse. La cloche sonnait toujours;
mais la Teuse devait se fatiguer, car les coups s'égaraient, comme
irrités de la longueur de la cérémonie. Le soleil devenait plus
chaud, l'ombre du Solitaire se promenait lentement, au milieu des
herbes toutes bossuées de tombes. Lorsque l'abbé Mouret dut se
reculer, afin de ne point gêner, ses yeux rencontrèrent le marbre de
l'abbé Caffin, ce prêtre qui avait aimé et qui dormait là, si
paisible, sous les fleurs sauvages.

Puis, tout d'un coup, pendant que le cercueil descendait, soutenu
par les cordes, dont les noeuds lui arrachaient des craquements, un
tapage effroyable monta de la basse-cour, derrière le mur. La chèvre
bêlait. Les canards, les oies, les dindes, claquaient du bec,
battaient des ailes. Les poules chantaient l'oeuf, toutes ensemble.
Le coq fauve Alexandre jetait son cri de clairon. On entendait
jusqu'aux bonds des lapins, ébranlant les planches de leurs cabines.
Et, par-dessus toute cette vie bruyante du petit peuple des bêtes,
un grand rire sonnait. Il y eut un froissement de jupes. Désirée,
décoiffée, les bras nus jusqu'aux coudes, la face rouge de triomphe,
parut, les mains appuyées au chaperon du mur. Elle devait être
montée sur le tas de fumier.

- Serge! Serge! appela-t-elle.

A ce moment, le cercueil d'Albine était au fond du trou. On venait
de retirer les cordes.



Pages: | Prev | | 1 | | 2 | | 3 | | 4 | | 5 | | 6 | | 7 | | 8 | | 9 | | 10 | | 11 | | 12 | | 13 | | 14 | | 15 | | 16 | | 17 | | 18 | | 19 | | 20 | | 21 | | 22 | | 23 | | 24 | | 25 | | 26 | | 27 | | 28 | | 29 | | 30 | | 31 | | 32 | | 33 | | 34 | | 35 | | 36 | | 37 | | 38 | | 39 | | 40 | | 41 | | 42 | | 43 | | 44 | | 45 | | 46 | | 47 | | 48 | | 49 | | 50 | | 51 | | 52 | | 53 | | 54 | | 55 | | 56 | | 57 | | 58 | | 59 | | 60 | | 61 | | 62 | | 63 | | 64 | | 65 | | 66 | | 67 | | 68 | | 69 | | 70 | | Next |

N O P Q R S T
U V W X Y Z 

Your last read book:

You dont read books at this site.