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Eux aussi, ils cherchent,
comme au XVIe siècle, «le support et l'alliance», mais c'est surtout
pour parvenir plus rapidement aux honneurs. Laide et contrefaite, Mlle
de Roquelaure avait été enlevée par un Rohan qui convoitait sa dot.
Laide et contrefaite, la fille du duc de Saint-Simon est recherchée
par un prince de Chimay qui épouse en elle le crédit de son père.
«Cruellement vilaine» était la seconde fille de Chamillart, et cependant
le pouvoir d'un père ministre lui donna un attrait qui fit d'elle une
duchesse de la Feuillade. Il est vrai que si le mari qui lui apportait
ce titre avait une laideur plus agréable que la sienne, il était plus
affreux au moral qu'elle ne pouvait l'être au physique[113].

[Note 113: Saint-Simon. _Mémoires_, t. II, ch. XXVI; IV, XII, XX;
Bertin, _ouvrage cité_.]

Ajoutons cependant qu'au XVIIe et au XVIIIe siècles, dans la chasse aux
maris, les parents des filles à marier se montrent plus âpres encore que
les hommes à marier. Pour établir une fille, surtout quand elle est peu
ou point dotée, que de calculs, que d'intrigues! Un homme fût-il vieux,
infirme, laid à faire peur; fût-ce un brutal, un libertin, un pillard,
un déserteur, c'est un mari que recherchent les plus illustres familles,
surtout s'il est duc, si sa femme doit avoir tabouret à la cour[114].

[Note 114: E. Bertin, _ouvrage cité_.]

Pour ne point manquer un parti, on fiance et l'on marie une enfant. La
plus riche héritière de France, Marie d'Alègre, est fiancée à huit ans
au marquis de Seignelay. Il y a des mariées de douze ans, de treize ans.
La duchesse de Guiche, fille de Mme de Polignac, sera mère à quatorze
ans et un mois[115]. Il y avait de si petites mariées qu'il fallait les
porter à l'église. On les prenait «au col.» C'est ainsi que la fille
de Sully fut menée en 1605 au temple protestant. «Présentez-vous
cette enfant pour être baptisée?» demanda malicieusement le ministre
Moulin[116].

[Note 115: Mme d'Oberkirch, _Mémoires_.]

[Note 116: E. Bertin, _ouvrage cité_.]

Au siècle précédent, Jeanne d'Albret avait ainsi été portée à l'autel,
bien qu'elle fût d'âge à pouvoir marcher. Brantôme prétend qu'elle en
était empêchée par le poids de ses pierreries et de sa robe d'or et
d'argent. Mais cette petite fille de douze ans, que l'on avait fouettée
tous les jours pour obtenir son consentement à son mariage, et qui, avec
une énergie précoce, avait publiquement protesté contre la violence qui
lui était faite, pouvait avoir des motifs particuliers pour ne point
aller librement à l'autel[117].

[Note 117: Protestation de Jeanne d'Albret, au sujet de son mariage
avec le duc de Clèves, pièce reproduite par M. Génin, à la suite des
_Nouvelles lettres de la reine de Navarre_. Paris, 1842; Brantôme,
_Premier livre des Dames_, Marguerite d'Angoulesme.]

«Madame, votre fille est bien jeune», dit Louis XIV à la duchesse de
la Ferté qui lui soumet un projet de mariage pour cette enfant âgée de
douze ans.--«Il est vrai, Sire; mais cela presse, parce que je veux M.
de Mirepoix, et que dans dix ans, quand Votre Majesté connaîtra son
mérite, et qu'Elle l'aura récompensé, il ne voudrait plus de nous.» En
narrant cet épisode à sa fille, Mme de Sévigné ajoute: «Voilà qui est
dit. Sur cela on veut faire jeter des bans, avant que les articles
soient présentés.» Dans d'autres lettres, la spirituelle marquise parle
de «cette enfant de douze ans,... toute disproportionnée à ce roi
d'Éthiopie.... La petite enfant pleure; enfin, je n'ai jamais vu épouser
une poupée, ni un si sot mariage: n'était-ce pas aussi le plus honnête
homme de France[118]!»

[Note 118: Mme de Sévigné, _Lettres_ à Mme de Grignan, 10, 19, 31
janvier 1689.]

Trop heureuse encore la petite fille que l'on ne mariait pas à un
vieillard perdu de vices[119].

[Note 119: E. Bertin, _ouvrage cité_.]

Bien des fois le marié est lui-même un enfant. Lorsque Mlle de
Montmirail, âgée de quinze ans, mais déjà en plein développement de
force et de beauté, épouse M. de la Rochefoucauld, frêle enfant de
quatorze ans à peine, le pauvre petit marié, tout en se mettant sur
la pointe des pieds, n'atteint pas à l'épaule de sa belle fiancée; et
l'exiguïté de sa taille fait d'autant plus rire les assistants que les
Cent-Suisses qui figurent à la fête nuptiale sont pour le moins hauts de
six pieds[120]. Plus comique encore fut ce petit prince de Nassau marié à
douze ans à Mlle de Montbarey, qui en avait dix-huit. Tandis qu'un
poète célébrait dans un épithalame les transports de l'heureux époux,
celui-ci, furieux d'être marié, repoussait sa femme «avec une brusquerie
d'enfant, mal élevé;» et exaspéré d'être un objet de curiosité,
«pleurait du matin au soir... Le marié ne voulut pas danser avec sa
femme, au bal; il fallut lui promettre le fouet s'il continuait à crier
comme une chouette, et lui donner au contraire un déluge d'avelines,
de pistaches, de dragées de toutes sortes, pour qu'il consentît à lui
donner la main au menuet. Il montrait une grande sympathie pour la
petite Louise de Dietrich, jolie enfant plus jeune encore que lui, et
retournait auprès d'elle aussitôt qu'il pouvait s'échapper[121].»

[Note 120: _Vie de Mme de la Rochefoucauld, duchesse de
Doudeauville_.]

[Note 121: Mme d'Oberkirch, _Mémoires_.]

Lorsque des enfants étaient ainsi mariés, on ne les réunissait que plus
tard à leurs conjoints. On connaît la jolie histoire du duc de Bourbon,
l'_Amoureux de quinze ans_, qui enlève du couvent sa jeune compagne.

Bien qu'au XVIIe siècle on recherche plus dans le mariage l'alliance
que la fortune, nous avons vu que le faste de la cour rendait plus
nécessaire que jamais le besoin d'argent. Alors déjà il y a des unions
vénales qui deviendront de plus en plus nombreuses dans le XVIIIe
siècle. Les filles nobles n'étant guère dotées pour la plupart, on se
rabat sur les filles de la robe, on descend jusqu'aux filles de la
finance. Quelles proies que ces dots qui varient de 400,000 livres à
un million! Pour les obtenir, que de bassesses! Les plus grands noms
s'allient à la finance, la fille du financier fût-elle laide, son père
fût-il un escroc! La petite-fille d'une fruitière, la fille d'une femme
de chambre et d'un charretier enrichi devient duchesse[122]. Elle a
les honneurs du Louvre; à la cour, le tabouret; sur son carrosse,
l'impériale de velours rouge à galerie dorée; dans sa maison, «le dais
et la salle du dais.» Elle entrera «à quatre chevaux dans les cours
des châteaux royaux.» Le souverain l'embrassera à sa présentation. Les
deuils du roi seront les siens: «lorsque le roi drape», elle a «le droit
de draper aussi[123].»

[Note 122: E. Bertin, _les Mariages dans l'ancienne France_.]

[Note 123: Pour _les honneurs du Louvre_, voir Mme d'Oberkirch,
_Mémoires_.]

Une ancienne lingère, veuve d'un trésorier et receveur général, devient
duchesse et maréchale, et par son dernier mariage, non reconnu, il est
vrai, femme d'un roi de Pologne[124].

[Note 124: La maréchale de l'Hôpital, remariée secrètement à
Jean-Casimir, roi de Pologne. Saint-Simon, t. VI, ch. xii; E. Bertin,
_ouvrage cité_.]

Dans une lettre adressée à sa fille, Mme de Sévigné dit de son fils: «Je
lui mande de venir ici; je voudrais le marier à une petite fille qui est
un peu juive de son _estoc_; mais les millions nous paraissent de bonne
maison[125].» Malgré son orgueil, Mme de Grignan était absolument de
l'avis de sa mère. Les millions lui paraissent de très bonne maison et
elle marie son fils à la fille d'un financier, Mlle de Saint-Amand. «Mme
de Grignan, en la présentant au monde, en faisait ses excuses; et avec
ses minauderies, en radoucissant ses petits yeux, disait qu'il fallait
de temps en temps du fumier sur les meilleures terres[126].»

[Note 125: Mme de Sévigné, _Lettres_, 13 octobre 1675.]

[Note 126: Saint-Simon, _Mémoires_, t. III, ch. x.]

Nous savons que pour épouser une noble héritière, un prince ne reculait
pas devant un rapt. De même un gentilhomme enlèvera la fille d'un ancien
laquais, devenu trésorier général: une enfant de douze ans[127]. Pas plus
pour les filles de la finance que pour celles de la noblesse, l'âge ne
saurait être un obstacle aux vues intéressées de leurs poursuivants. Un
fils de duc, un Villars-Brancas, âgé de trente-trois ans, a une
fiancée de trois ans! C'est la fille d'un ancien peaussier, André le
Mississipien. Pour toucher la dot, le fiancé n'attend pas que la
fiancée ait l'âge des épousailles. Il reçoit immédiatement 100,000 écus
comptant; une pension de 20,000 livres lui sera payée jusqu'au jour du
mariage. En cas de rupture, il ne restituera rien. La dot définitive,
promise pour le jour du mariage, devra se chiffrer par millions. «Mais,»
dit Saint-Simon, «l'affaire avorta avant la fin de la bouillie de la
future épouse, par la culbute de Law[128].» La fiancée fut délaissée; mais
les acomptes de la dot restaient aux Brancas.

[Note 127: E. Bertin, _ouvrage cité_.]

[Note 128: Saint-Simon, _Mémoires_, t. XI, ch. xx.i.]

La vanité des familles de robe ou de finance s'accordait
merveilleusement, du reste, avec la rapacité des grands seigneurs. Les
jeunes filles, les veuves recherchent avec passion le titre qui fait
d'elles des femmes de la cour, et pour l'obtenir, ce titre, elles ne
reculent ni devant les dégoûts de l'âge ou de l'infirmité, ni devant les
exemples peu encourageants que leur offrent celles de leurs égales qui
ont tenté même aventure, et qui, plus d'une fois, ont eu à essuyer les
dédains de leurs nouvelles familles.

Une femme de la robe marie sa fille avec 500,000 francs de dot à un être
souillé, mais c'est un duc, et un duc, fût-il estropié à ne pouvoir
marcher, un duc se vend très cher[129].

[Note 129: Saint-Simon, _Mémoires_, t. III, ch. xxi; t. VI, ch. xix;
E. Bertin, _ouvrage cité_.]

Toutes les bourgeoises, heureusement, ne pensaient pas comme cette mère.
Lorsque Mlle Crosat va devenir princesse par son mariage avec le comte
d'Évreux, sa grand'mère maternelle prévoit les tristes suites de cette
alliance; et au milieu de l'enivrement des siens, elle garde une réserve
modeste dont la fière dignité impressionne jusqu'au plus orgueilleux des
ducs, Saint-Simon[130].



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