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Mme Colbert ne voulait pas qu'il la vît que le soir; il força les portes, et se jeta à ses pieds, et lui baisa la main. Elle, sans autre façon, l'embrassa, et la revoilà à pleurer. Cette bonne petite princesse est si tendre et si jolie, que l'on voudrait la manger. Le comte de Gramont fit ses compliments, comme les autres, au prince de Conti: «Monsieur, je me réjouis de votre mariage; croyez-moi, ménagez le beau-père, ne le chicanez point, ne prenez point garde à peu de chose avec lui; vivez bien dans cette famille, et je réponds que vous vous trouverez fort bien de cette alliance.» Le roi se réjouit de tout cela, et marie sa fille en faisant des compliments comme un autre, à M. le prince, à M. le duc et à Mme la duchesse, à laquelle il demande son amitié pour Mlle de Blois, disant qu'elle serait trop heureuse d'être souvent auprès d'elle, et de suivre un si bon exemple. Il s'amuse à donner des transes au prince de Conti. Il lui fait dire que les articles ne sont pas sans difficulté; qu'il faut remettre l'affaire à l'hiver qui vient: là-dessus le prince amoureux tombe comme évanoui; la princesse l'assure qu'elle n'en aura jamais d'autre. «Cette fin s'écarte un peu dans le don Quichotte», ajoute la railleuse marquise; «mais dans la vérité il n'y eut jamais un si joli roman[141]». Roman qui devait avoir un triste et prosaïque dénouement! Si la tendresse basée sur l'estime est une condition essentielle du mariage, il est dangereux d'apporter dans ce lien sacré les illusions passionnées, romanesques, que la réalité vient trop souvent détruire. Peut-être serait-il moins périlleux de ne ressentir qu'une indifférence que pourraient faire fondre cette communauté d'existence et cette mutuelle estime qui produisent à la longue de solides attachements. [Note 141: Mme de Sévigné, _Lettres_, 27 décembre 1679.] Avant le mariage on exposait les dons qu'avait reçus la mariée. «On va voir, comme l'opéra, les habits de Mlle de Louvois: il n'y a point d'étoffe dorée qui soit moindre que de vingt louis l'aune[142]». Quand une autre fille de Louvois épouse le duc de Villeroi, on expose pendant deux mois les superbes dons nuptiaux. Les Louvois marient-ils leur fils, M. de Barbezieux, les souvenirs qu'ils offrent à la fiancée, Mlle d'Uzès, valent plus de 100,000 francs[143]. [Note 142: Mme de Sévigné, _Lettres_, 10 novembre 1679.] [Note 143: Bertin, _ouvrage cité_.] Dans un contrat de 1675, la corbeille de mariage donnée par le sire de la Lande comprenait, avec une splendide croix de diamants et une montre «marquant les heures et les jours du mois», des pièces d'argenterie, «une tapisserie d'haulte-lisse pour une chambre, une tapisserie de cuir doré pour une autre», des meubles et même un attelage[144]. M. de la Lande ajoutait galamment à l'apport de sa fiancée cette belle corbeille dans laquelle les pièces de ménage et le carrosse à deux chevaux remplaçaient les robes et les chiffons qui, au XIXe siècle, forment le luxe d'une corbeille. [Note 144: _Les savants Godefroy_, Mémoires d'une famille, etc.] Le concile de Trente avait prescrit la publication des bans avant le mariage, ainsi que la présence des témoins à la bénédiction nuptiale. L'ordonnance de Blois fit passer dans la législation française ces utiles dispositions. La solennité religieuse des fiançailles, la cérémonie nuptiale étaient accompagnées de fêtes qui, dans les familles riches, avaient parfois un grand éclat; c'étaient des festins, des bals, des illuminations[145]. Dans des maisons plus modestes on s'amusait fort aussi. Une lettre écrite en 1671 par un gentilhomme de la robe, nous donne de curieux détails sur une noce parisienne. On danse entre le déjeuner et le souper, tous deux magnifiques, et l'on danse encore après ce second repas jusqu'à deux heures du matin. «Ce que j'ay trouvé de meilleur, ajoute le jeune invité, c'est qu'après tous les mets dont il y avait pour nourrir mille personnes, on a distribué des sacs de papier pour emporter des confitures chacun à son logis[146]». Ce dernier trait, essentiellement bourgeois, dénote bien les habitudes de bonhomie patriarcale qui se conservaient alors dans bien des familles de robe. [Note 145: Mme de Sévigné, _Lettres_, 29 novembre 1679, etc.] [Note 146: Lettre du 15 mai 1671, _Les savants Godefroy_, Mémoires d'une famille, etc.] La mariée devait, le lendemain du mariage, recevoir sur son lit les compliments d'une foule de gens «connus ou inconnus» et qui accouraient là comme à un spectacle dont l'inconvenance révolte justement La Bruyère[147]. [Note 147: La Bruyère, _Caractères_, ch. vii, De la Ville.] J'aime mieux la touchante pensée qui, à ce lendemain de noce, plaçait une fête religieuse: l'action de grâces. Dans les familles uniquement préoccupées des intérêts terrestres, c'était surtout par des plaisirs que l'on célébrait ces mariages auxquels présidaient trop souvent la vénalité, l'ambition. Mais, dans les maisons chrétiennes où l'on veillait avant tout à unir deux âmes immortelles, les fêtes nuptiales cédaient le pas aux graves enseignements que des parents dignes de ce nom donnaient à leurs enfants. Avant le mariage, le père les rappelait à son fils[148]. La mère, l'aïeule ou, à défaut de l'une ou de l'autre, le père écrivait pour sa fille ou sa petite-fille des conseils fondés sur l'expérience de la vie et qui initiaient la jeune personne aux grands devoirs qu'elle était destinée à remplir[149]. Le jour même du mariage, avant le souper, la noble mère dont j'ai déjà cité le nom, Mme la duchesse d'Ayen, s'enferme avec sa fille, Mme de Montagu, et, pour dernière instruction, lui lit des pages de cet admirable livre de Tobie[150] où les familles pieuses aiment à chercher leur modèle[151]. [Note 148: Lettre du prince de Craon à son fils, le prince de Beauvau, au moment de son mariage. 10 mars 1745. (Appendice de l'ouvrage intitulé: _Souvenirs de la maréchale princesse de Beauvau_, suivis des _Mémoires du maréchal prince de Beauvau_, recueillis et mis en ordre par Mme Standish, née Noailles, son arrière-petite-fille. Paris, 1872.)] [Note 149: Duchesse de Liancourt, _Règlement_ donné à sa petite-fille, Mlle de la Roche-Guyon; duchesse de Doudeauville, avis à sa fille. Voir aussi l'ouvrage de M. de Ribbe, _les Familles et la Société en France avant la Révolution_.] [Note 150: _Anne-Paule-Dominique de Noailles, marquise de Montagu_.] [Note 151: Ch. de Ribbe, _la Vie domestique, ses modèles et ses règles_, d'après les documents originaux.] C'est avec une émotion religieuse que le soir de son mariage, l'époux chrétien écrivait dans son _Livre de raison:_ «Fasse le ciel que ce soit pour un heureux establissement et pour l'honneur et la gloire de Dieu, afin que, s'il me donne des enfants, ils soient élevés pour l'honorer et le servir[152].» [Note 152: _Livre de raison_ de Balthazar de Fresse-Monval, 27 janvier 1684, manuscrit cité par M. de Ribbe, _la Vie domestique_. Le fils de Balthazar, Antoine, se sert à peu près textuellement des mêmes paroles le jour où il se marie. _Id._] CHAPITRE II L'ÉPOUSE, LA VEUVE, LA MÈRE (XVIe-XVIIIe SIÈCLES) La femme de cour.--Le luxe de la femme et le déshonneur du foyer.--Nouveau caractère de la royauté féminine.--Tristes résultats des mariages d'intérêt.--Indifférence réciproque des époux.--L'infidélité conjugale.--Légèreté des moeurs.--Veuves consolables.--Mères corruptrices.--La femme sévèrement jugée par les moralistes.--Rareté des bons mariages.--La femme de ménage.--La femme dans la vie rurale.--La baronne de Chantal.--La maîtresse de la maison, d'après les écrits de la duchesse de Liancourt et de la duchesse de Doudeauville.--La femme forte dans l'ancienne magistrature; Mme de Pontchartrain, Mme d'Aguesseau.--La miséricorde de l'épouse; Mme de Montmorency; Mme de Bonneval.--La vie conjugale suivant Montaigne.--Exemples de l'amour dans le mariage.--De beaux ménages au XVIIIe siècle: la comtesse de Gisors, la maréchale de Beauvau.--Dernière séparation des époux.--Hommages testamentaires rendus par le mari à la vertu de la femme.--Dispositions testamentaires concernant la veuve.--La mère veuve investie du droit d'instituer l'héritier.--Autorité de la mère sur une postérité souvent nombreuse.--La mission et les enseignements de la mère.--La mère de Bayard.--Mme du Plessis-Mornay, la duchesse de Liancourt, Mme Le Guerchois, née Madeleine d'Aguesseau.--L'aïeule.--La mère, soutien de famille; Mme du Laurens.--Caractère austère et tendre de l'affection maternelle.--Mères pleurant leurs enfants.--La mère et le fils réunis dans le même tombeau. Pour la femme mariée comme pour la jeune fille, nous savons que les temps qui s'écoulent depuis la Renaissance jusqu'à la fin du siècle dernier, nous offrent même contraste: ici dominent les séductions du monde, là régnent les fermes principes de la vie domestique. Les bals, les spectacles, les concerts, les mascarades, le jeu, les causeries frivoles et brillantes ravissent et enivrent les femmes. Elles vont au plaisir avec la même ardeur que les hommes vont au combat. La duchesse de Lorges, fille de Chamillart, se tue à force de plaisirs, et, mourante, se fait encore transporter à cet étrange champ d'honneur[153]. [Note 153: Saint-Simon, _Mémoires_, tome VII, ch. XIV.] La femme est, à elle seule, un vivant spectacle. A la beauté, à l'esprit, à la grâce française, ces charmes souverains qu'elle réunit souvent, elle ajoute les ressources de la parure. Dans ce moyen âge où la vie sociale était assez restreinte cependant pour elle, la femme ne se défendait pas toujours contre les entraînements du luxe. La femme se livre plus que jamais à cette passion lorsqu'elle peut la déployer sur la brillante scène d'une cour. Dans les modes variées qu'ils nous offrent, les portraits du XVIe siècle nous permettent de juger combien le costume féminin se prêtait alors à toutes les richesses de la parure. Les perles et les pierreries serpentent dans les cheveux relevés et autour du cou. Les perles et les pierreries garnissent aussi la robe de drap d'or, fourrée d'hermines mouchetées, qui s'ouvre en carré sur la poitrine. Des perles encore serpentent sur le fichu bouillonné que termine la fraise, et sont disposées entre les bouillons des manches à crevés. J'emprunte, il est vrai, ces détails de costume au portrait de la reine Élisabeth d'Autriche peint par François Clouet[154], et à une miniature représentant la duchesse d'Étampes[155]. 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