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A le bien façonner et à le bien prendre, il n'est point de plus belle pièce en nostre société.... Tout licentieux qu'on me tient, j'ay en vérité plus sévèrement observé les loix de mariage, que je n'avoy ny promis ny esperé[209]». [Note 209: Montaigne, _Essais_, III, v.] Le respect du foyer se maintenait donc toujours. L'amour d'un roi n'éblouit pas toutes les femmes et n'aveugle pas tous les maris. La femme de Jean Séguier repousse Henri IV, et à ce même roi qui demande au maréchal de Roquelaure d'amener à la cour sa belle compagne, le rusé Gascon, prétextant la pauvreté de sa famille, répond en patois: «Sire, elle n'a pas de _sabattous_ (souliers)[210].» [Note 210: Tallemant des Réaux, _le Maréchal de Roquelaure_.] Au respect du mariage se joignait souvent l'amour conjugal le plus tendre. La famille biblique est l'idéal que poursuit la pieuse famille française. «J'ai regardé ma femme comme un autre moi-même,» dit Pierre Pithou dans son testament daté du 15 novembre 1587[211]. Et que d'exemples analogues nous trouverons dans les _livres de raison_, dans les mémoires du temps! Quels ménages nous offrent M. et Mme de Chantal, M. et Mme de Miramion, le maréchal duc de Schomberg et sa belle et fière compagne Marie de Hautefort; le duc de Bouillon et sa femme, Mlle de Berghes, célèbre par son courage, par sa beauté, et tendrement unie à son mari; M. et Mme de Gondi si étroitement attachés l'un à l'autre qu'après la mort de sa femme, le veuf, incapable de recevoir aucune consolation humaine, se fait prêtre de l'Oratoire, lui, général des galères[212]. Le duc de Charost, petit-fils de Fouquet, entoure de la plus constante sollicitude sa femme qui, dit Saint-Simon, mourut «à cinquante-et-un ans, après plus de dix ans de maladie, sans avoir pu être remuée de son lit, voir aucune lumière, ouïr le moindre bruit, entendre ou dire deux mots de suite, et encore rarement, ni changer de linge plus de deux ou trois fois l'an, et toujours à l'extrême-onction après cette fatigue. Les soins et la persévérance des attentions du duc de Charost dans cet état, furent également louables et inconcevables; et elle le sentait, car elle conserva sa tête entière jusqu'à la fin avec une patience, une vertu, une piété, qui ne se démentirent pas un instant, et qui augmentèrent toujours[213].» [Note 211: Ch. de Ribbe, _ouvrage cité_.] [Note 212: Chantelauze, _Saint Vincent de Paul et les Gondi_.] [Note 213: Saint-Simon. _Mémoires_, tome VI, ch. XXIII.] Et Saint-Simon lui-même, qui rend hommage à ce dévouement conjugal, Saint-Simon jouit avec sa femme de la plus complète félicité domestique. Elle fit «uniquement et tout entier» le bonheur de sa vie. Par son angélique douceur, par la muette puissance de ses larmes, elle sut obtenir de lui jusqu'au «sacrifice vraiment sanglant» de l'une de ces haines que son irascible époux gardait d'ordinaire à un ennemi avec une passion acharnée. Aussi a-t-il reconnu en elle le don «du plus excellent conseil» dans ce testament où, avec une émotion si touchante sous cette plume inexorable, il rappelle les «incomparables vertus» de la morte, son aimable et solide piété; «la tendresse extrême et réciproque, la confience sans réserve, l'union intime parfaite sans lacune,» qui furent les bénédictions de Dieu sur cette alliance. Pour lui cette noble et douce créature était «la Perle unique» dont il goûtait «sans cesse l'inestimable prix», la femme forte dont la perte lui rendit «la vie à charge» et fit «le plus malheureux de tous les hommes» de celui qui, par son mariage, en avait été «le plus heureux!» Cette union, il veut qu'elle subsiste jusque dans la tombe, et il ordonne que le cercueil de sa femme et le sien soient attachés «si ettroitement ensemble et si bien rivés, qu'il soit impossible de les séparer l'un, de l'autre sans les briser tous deux[214].» [Note 214: Saint-Simon, _Mémoires_, t. I, ch. XV, XI, XXVI, XLII, _Testament olographe_.] Quelle harmonie domestique nous trouvons aussi dans la famille de Belle-Isle! Le maréchal qui, à quarante-cinq ans, a épousé une veuve de vingt et un ans, lui fait oublier cette différence d'âge par sa tendresse et son amabilité. Dans ses lettres si simples et si affectueuses, il nomme sa femme «son cher petit maître[215].» Leur fils, le comte de Gisors, ce grand coeur, ce vaillant soldat, chérit la jeune femme qui l'a épousé à l'âge de treize ans et qu'il appelle familièrement _Huchette_ ou _Mme de la Huche_. Avec quelle grâce caressante et grondeuse il lui écrit de l'armée au sujet d'une affaire qui concerne les rapports de l'archevêque de Paris et du Parlement et à laquelle la jeune comtesse semble avoir mêlé son beau-père, le maréchal de Belle-Isle, alors ministre: «Je suis, en vérité, fort votre serviteur, madame _de la Huche_, mais d'amitié je vous dirai à l'oreille qu'il ne vous convient pas d'aller apostiller la lettre d'un ministre, lequel, s'il prend de mes conseils, ne laissera jamais approcher à deux toises de son bureau un petit furet qui renverseroit et farfouilleroit tous les traités de l'Europe pour chercher le projet de quelque réponse à M. l'archevêque sur un fait arrivé dans la paroisse de Saint-Étienne-du-Mont. Ah! messieurs les ministres, méfiez-vous de toutes ces petites mères de l'Église. Nous autres particuliers pouvons vivre avec elles en essuyant le débordement de leurs _si_, de leurs _mais_, de leurs _car_, et de toute leur politique; ce torrent-là écoulé, on retrouve en elles des femmes aimables, gentilles, et dont le temporel dédommage du spirituel; mais vous, messieurs, gardez-vous-en... Si elles vous caressent, ces petites mères, c'est pour vous séduire, et, dans l'instant où elles vous verront enchantés d'elles, vous donner des conseils relatifs à leurs fins. Est-ce là votre portrait, ma commère? Dites-le de bonne foi? Je vous connois comme si je vous avois fait; vous devriez aussi me bien connoître, _Huchette_, car il me semble que je ne vis que depuis que mon sort est attaché au vôtre et que nous ne faisons qu'un. Il n'y a que sur la guerre et les affaires de l'Église que le moi qui est à Paris et le moi qui est à Halberstadt se séparent...[216]» [Note 215: Camille Rousset, _le Comte de Gisors_, 1732-1758. Paris, 1868.] [Note 216: 21 octobre 1757. Archives du dépôt de la guerre. Lettre reproduite par M. Camille Housset, _le comte de Gisors_.] L'année suivante le comte de Gisors, blessé mortellement à la bataille de Crefeld, mourait en héros chrétien. Il laissait veuve, à vingt et un ans, la jeune femme qu'il avait adorée, et qui donna à Dieu et aux pauvres l'amour dont le plus cher objet lui manquait ici-bas. C'est dans le siècle où il était ridicule d'aimer sa femme, c'est en plein XVIIIe siècle que le comte de Gisors écrivait à sa jeune compagne la délicieuse lettre que nous venons de citer. C'est aussi, au XVIIIe siècle, que l'on revit Philémon et Baucis. Philémon était M. de Maurepas, «la légèreté en personne,» dit Mme d'Oberkirch, et pourtant le modèle des époux fidèles. La pensée de sa femme était la seule idée sérieuse qui se pût loger en sa tête, ajoute la spirituelle baronne. «Quand il a été ministre, il eût volontiers mis la politique en chansons, et une larme de Mme de Maurepas le rendait triste pendant des mois entiers... Ils sont très vieux l'un et l'autre, et certainement ils ne se survivront pas et s'en iront ensemble[217].» [Note 217: Mme d'Oberkirch, _Mémoires_.] Au même temps Philémon et Baucis se retrouvaient dans un ménage plus grave, celui du maréchal prince de Beauvau et de la digne compagne qui était sa _lumière_, sa _consolation_, le _charme de sa vie_. Après s'être aimés pendant six ans, ils avaient pu s'unir, et leur tendresse n'avait cessé de croître avec les années. Dans leur beau domaine du Val, à Saint-Germain, ils avaient tenu à consacrer le souvenir du célèbre couple de la fable en plantant près d'une chaumière les deux arbres qui rappelaient la métamorphose des vieux époux. Par une nouvelle métamorphose le maréchal se voyait dans le chêne, et sa compagne dans le tilleul[218]. [Note 218: _Souvenirs de la maréchale princesse de Beauvau._ publiés par Mme Standis, née de Noailles.] C'est près de cette chaumière, située dans la partie la plus élevée du parc, que Mme de Beauvau se plaçait pour attendre le cher absent qui allait revenir. Il la voyait, il pressait le pas pour la rejoindre. «Nous nous embrassions comme si nous avions été longtemps séparés,» dit la princesse, «et nous ne l'étions que depuis vingt-quatre heures.» Comment ne pas nous souvenir ici du joli mot de la princesse de Poix, fille du maréchal et belle-fille de Mme de Beauvau, cette charmante personne de dix-sept ans à qui l'on défendait de lire des romans: «Défendez-moi donc de voir mon père et ma mère.» Dans sa modestie, Mme de Beauvau trouvait que son mari chérissait en elle l'image qu'il s'était formée d'elle. «Oui, c'est lui qui m'avait créée; c'était telle qu'il m'avait faite qu'il me voyait; cet effet de tendresse, il en a joui, il m'en a fait jouir jusqu'à son dernier moment.» Il faudra les cruelles impressions de la Terreur pour faire oublier aux nobles époux le vingt-neuvième anniversaire de leur mariage. «Il s'en souvint le premier, dit la maréchale. Le lendemain, dès que je fus éveillée, il me le rappela avec une expression si douloureuse et si tendre, que je crois voir, que je crois entendre encore, et son air et ses paroles: l'impression que j'en reçus, lui fit regretter de l'avoir excitée.--Deux mois après, il n'était plus.» Ils avaient confondu leurs vies, ils auraient voulu confondre leurs morts. Pendant cette première année de la Terreur, qui leur avait fait oublier le meilleur souvenir de leur existence, ils eurent un instant l'espoir d'exhaler ensemble l'unique souffle qui animait leurs deux vies. Le maréchal parut menacé. «Il vit que j'étais résolue à ne pas le quitter. Ah! me dit il, ne craignez pas que je vous éloigne, je vous appellerois. Ces paroles pénétrèrent mon cour, et de toutes les preuves d'amour que j'ai reçues de lui, c'est celle dont le souvenir m'est le plus cher[219].» [Note 219: _Souvenirs de la maréchale princesse de Beauvau_, et l'introduction de cet ouvrage, par Mme de Noailles-Standish.] Le bonheur de mourir ensemble leur fut refusé. Pages: | Prev | | 1 | | 2 | | 3 | | 4 | | 5 | | 6 | | 7 | | 8 | | 9 | | 10 | | 11 | | 12 | | 13 | | 14 | | 15 | | 16 | | 17 | | 18 | | 19 | | 20 | | 21 | | 22 | | 23 | | 24 | | 25 | | 26 | | 27 | | 28 | | 29 | | 30 | | 31 | | 32 | | 33 | | 34 | | 35 | | 36 | | 37 | | 38 | | 39 | | 40 | | 41 | | 42 | | 43 | | 44 | | 45 | | 46 | | 47 | | 48 | | 49 | | 50 | | 51 | | 52 | | 53 | | 54 | | 55 | | 56 | | 57 | | 58 | | 59 | | 60 | | 61 | | 62 | | 63 | | 64 | | 65 | | 66 | | 67 | | 68 | | 69 | | 70 | | 71 | | 72 | | 73 | | 74 | | 75 | | 76 | | 77 | | Next | |
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