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Mais l'émotion de cette entrevue a
mis le roi à l'agonie. Un jour vient où il ne voit plus, n'entend plus,
ne parle plus. Alors Marguerite fait célébrer le saint sacrifice de la
messe près du lit de l'agonisant. Un archevêque français officie; des
Français remplissent la chambre de leur roi, et sa soeur prie pour lui.

L'archevêque s'approche du mourant. Il l'adjure de porter son regard sur
le Saint-Sacrement. Et le roi se réveille, il demande la communion et
dit: «Dieu me guérira l'âme et le corps». L'hostie est partagée entre le
frère et la soeur.

Au royal captif que tuait la nostalgie, Marguerite a rendu «sa famille
dans sa soeur, la France dans ses compagnons, son peuple dans cette
foule agenouillée..., Dieu lui-même, Dieu consolateur dans le prêtre qui
prie pour sa délivrance[285],» et, ajoutons-le, dans le Verbe incarné,
dans le Rédempteur qui fait revenir des portes du tombeau. Le frère de
Marguerite, le roi de France, le roi très chrétien, est revenu à la vie.

[Note 285: Legouvé, _Histoire morale des femmes_.]

François Ier aimait à reconnaître que «sa Marguerite», «sa mignonne»,
l'avait sauvé et il n'ignorait pas qu'il ne pourrait la payer que par la
tendresse qu'il promettait de lui garder toute sa vie.

Après avoir rendu la santé au mourant, Marguerite a encore une mission à
remplir: celle de délivrer le captif. Cette mission d'amour fraternel,
elle l'accomplit avec la fierté d'une princesse française. Elle s'arme
d'une noble indignation pour reprocher à l'empereur de maltraiter son
suzerain, de n'avoir aucune pitié d'un prince généreux et bon. Elle lui
rappelle que ce n'est pas ainsi qu'il gagnera le coeur de son rival et
que, le fît-il mourir par ses mauvais traitements, le roi de France
laissera des fils qui vengeront leur père[286].

[Note 286: Brantôme, _Premier livre des Dames_.]

Marguerite impressionna Charles-Quint, et plus encore les conseillers de
l'empereur. Sa grâce, sa beauté, sa douleur rendaient plus pénétrante
son éloquence déjà si persuasive. Il fallut que Charles-Quint défendît
au duc de l'Infantado et à son fils de parler à Marguerite. En mandant
ce détail au maréchal de Montmorency, la princesse ajoutait: «Mais les
dames ne me sont défendues, à quy je parleray au double[287].»

[Note 287: Marguerite d'Angoulême, _Lettres_. A Montmorency, novembre
1525.]

Elle savait, en effet, leur parler «au double», témoin le succès avec
lequel elle intéressa à la cause de son frère la propre soeur de
Charles-Quint. En «brassant» le mariage de François Ier avec Éléonore,
elle fit de l'empereur le geôlier de son beau-frère. La délivrance du
roi était proche.

Mais Marguerite n'eut pas la joie de ramener elle-même son frère en
France. Elle avait déjà éprouvé une poignante douleur quand elle avait
dû le quitter pour se rendre auprès de Charles-Quint. Elle aurait voulu
que ce calice s'éloignât d'elle, mais sa foi vaillante avait prononcé le
_Fiat_. Toute une nuit après cette séparation, elle avait rêvé qu'elle
tenait la main de son frère dans la sienne. Elle ne voulait plus se
réveiller[288]. Son chagrin se renouvela quand, sa mission terminée, elle
dut remonter seule dans cette litière où elle aurait voulu garder son
cher convalescent. Elle souhaitait ardemment que son frère la rappelât;
mais toujours forte et résignée dans son affliction, elle soutenait
encore le captif par de pieuses pensées et lui écrivait que le Dieu qui
l'avait guéri, saurait bien le délivrer.

[Note 288: _Lettres_. Au roy, 20 novembre 1525.]

L'empereur croyait que Marguerite emportait un acte qui ne faisait plus
de François Ier qu'un prisonnier ordinaire: l'abdication du roi. Il
voulut faire arrêter la princesse. Marguerite accéléra sa marche.
Franchissant les Pyrénées, elle revit la France; mais de Montpellier
elle écrivait à son frère que le travail des grandes journées d'Espagne
lui était plus supportable que le repos de France[289].

[Note 289: _Nouvelles lettres_. Au roy, fin de février 1526.]

Ce qu'elle appelait le repos était encore l'activité du dévouement
fraternel. Après le retour de François Ier, nous la voyons travailler
la Guyenne pour que la noblesse de ce pays revienne sur le refus de
contribuer à la rançon du roi. Marguerite est alors remariée au roi de
Navarre; elle brave les fatigues d'une grossesse pour être utile à son
frère.

Elle aime son mari, elle aimera sa fille, Jeanne d'Albret; mais ces
affections seront toujours subordonnées à son attachement fraternel.
Elle-même le dit: elle n'aime mari et enfant qu'autant qu'animés de son
esprit, ils seront prêts comme elle à mourir pour le roi.

François Ier lui confiait volontiers de grandes affaires diplomatiques.
Elle s'en chargeait pour le soulager, mais avec tant de discrétion qu'il
serait difficile de préciser ce qu'a été ici son influence. Ses lettres
nous la montrent parcourant la Provence, la Bretagne, la Picardie pour
servir les intérêts du roi.

En rendant compte à François Ier de l'état où elle a trouvé le camp
d'Avignon en 1536, Marguerite d'Angoulême laisse éclater un patriotique
enthousiasme. Elle voudrait que l'empereur vînt assaillir le camp
alors qu'elle y serait. Même ardeur en Guyenne l'année suivante. Si
Charles-Quint menaçait le pays, Marguerite n'en partirait qu'après avoir
chassé l'envahisseur[290].

[Note 290: _Lettres_. Au roy, 1536; été de 1537.]

Devant l'arrogance et la déloyauté de Charles-Quint, elle dit que toute
femme voudrait être homme pour abaisser l'orgueil de l'empereur. Combien
elle voudrait pouvoir y aider, cette soeur qui, après le roi, a «plus
porté que son fais de l'ennuy commua à toute créature bien née[291]!»

[Note 291: _Lettres_. Au roy, automne de 1536.]

En 1537, Marguerite regrette avec énergie de n'être pas au camp de son
frère: «Car en tous vos affaires où femme peult servir, despuis vostre
prison, vous m'avez fait cet honneur de ne m'avoir séparée de vous...»
Elle souhaiterait d'être une hospitalière du camp; elle va même plus
loin. Naguère, pendant la captivité du roi, elle avait réclamé l'office
de laquais auprès de sa litière. A présent elle renoncerait volontiers
«le sang réal» pour servir de «chamberiere» à la lavandière du roi: «Et
vous promets ma foy, Monseigneur, que sans regretter ma robe de drap
d'or, j'ay grant envie en habit incongnu m'essayer à fere service à
vous, Monseigneur, qui, en toutes vos tribulations, n'avez jamais tant
tenu de rigueur que de séparer de vostre présence et du désiré moyen de
vous fere service.

«Vostre très humble et très obéissante subjecte et mignonne

«Marguerite[292].»

[Note 292: _Nouvelles lettres_. Au roy, septembre ou octobre 1537.]

Ne pouvant suivre le roi à la guerre, elle prie pour lui, elle ordonne
pour lui des prières publiques. Elle lui adresse aussi de prudents
conseils.

Charles-Quint assiège Landreçies. François Ier qui fait ravitailler
la ville, conduit à'Cateau-Cambrésis trente et quelques mille hommes.
Marguerite s'effraye d'autant plus que, connaissant la valeur du roi
chevalier, elle sait que cette bravoure l'exposera à tous les périls.
«Je suis seure, écrit-elle à François Ier, que vous n'avez au camp
pionnier dont le corps porte plus de travail que mon esprit.» Dans une
poétique épître au roi, elle nous redit ses angoisses, nous voyons ses
larmes, nous entendons ses prières. Puis, lorsque l'empereur s'est
éloigné, quelle ivresse! Malade, la reine de Navarre entraîne son mari à
l'église pour le _Te Deum_ de la victoire.

De tous mes maux receu au paravant
Je n'en sens plus, car mon Roy est vivant[293].

[Note 293: _Epistre III de la Royne de Navarre au Roy François, son
frere. (Les Marguerites de la Marguerite des princesses_, éd. citée.)]

Partout et toujours les émotions de son frère font frémir sa plume ou
vibrer sa lyre. Aux heures de tristesse, François Ier aurait pu lui
adresser les beaux vers qu'elle place sur les lèvres d'un prisonnier:

Las! sans t'ouyr bien presumer je peux
Que toy et moy n'ayans qu'un coeur tous deux,
Si dens mon corps l'une moitié labeure,
L'autre moitié dedens le tien en pleure[294].

[Note 294: _Complainte pour un détenu prisonnier. (Id.)_]

L'allégresse, comme la douleur, tout lui est commun avec son frère.

Après dix ans de mariage, la bru de François Ier, Catherine de Médicis,
donne-t-elle le jour à un fils premier-né, Marguerite s'associe au
bonheur de l'aïeul jeune encore, et mêle ses larmes à celles que, de
loin, elle lui voit répandre.

Un Filz! un Filz[295]!.....

s'écrie-t-elle dans son délire.

[Note 295: Épistre de la Royne de Navarre au Roy, etc_. (Id.)]

Il se trouva une occasion où cette douce créature ne sut point
pardonner: son frère était l'offensé. Qu'il est bien plus facile, en
effet, de pardonner à nos ennemis personnels qu'aux ennemis de ceux qui
nous sont chers!

Et c'était cette même femme qui se jetait aux pieds de son frère pour
lui demander la grâce d'hommes qui l'avaient outragée!

L'influence de Marguerite sur le roi fut toujours une influence de paix
et de douceur. Alors que, venu à La Rochelle pour dompter une révolte,
le souverain ne sait que donner aux rebelles un coeur de père et pleurer
avec eux, qui donc a mis dans son coeur cette tendresse miséricordieuse?
Sa soeur, sa soeur qui lui écrit combien elle est heureuse de sa
magnanimité. Alors qu'il fait grâce à des protestants que les supplices
attendaient, c'est encore Marguerite qui a intercédé pour eux. Elle-même
abrite les proscrits dans son royaume de Navarre et dans son duché
d'Alençon. Malheureusement elle ne se borna pas à cette intervention
généreuse, et si son amour fraternel l'empêcha d'embrasser ouvertement
le luthéranisme, nous avons déjà remarqué qu'elle adopta à une époque de
sa vie les erreurs de ceux qu'elle défendait. Elle y était entraînée par
son libre esprit, avide de nouveautés, et par l'attrait qui la poussait
vers la théologie. J'ai remarqué plus haut que cette dernière passion
fut un péril non seulement pour sa foi, mais pour son talent d'écrivain.
Cette influence gâta souvent sa poésie, et dans sa correspondance
avec Briçonnet, fit tomber dans le galimatias sa prose d'ordinaire si
précise, si claire.



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