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Malade de corps, désenchanté de la vie, il appela à lui, comme autrefois dans sa captivité, sa soeur, sa meilleure amie. Il se reprit à l'existence en retrouvant l'âme de sa vie. De nouveau, le frère et la soeur s'unirent dans le culte de l'art. Ils recommencèrent les douces causeries d'autrefois. Ce fut pendant sa convalescence qu'au château de Chambord, le roi, appuyé sur le bras de Marguerite, et entendant sa soeur exalter le mérite des femmes, écrivit sur la vitre avec le diamant de sa bague: Souvent femme varie, Mal habil qui s'y fie! C'était l'amant de la duchesse d'Étampes qui jugeait ainsi de la femme, ce n'était pas le frère de Marguerite. Les folles amours sont passagères; la tendresse fraternelle demeure. Marguerite était revenue en Navarre. Elle était dans son monastère de Tusson, quand, une nuit, le roi lui apparut en rêve. Il était pâle, il l'appelait: «Ma soeur, ma soeur!» La reine, saisie d'un douloureux pressentiment, envoie à Paris courrier sur courrier. Elle redisait alors, non plus dans la forme poétique qu'elle avait employée sur la route de Madrid, mais dans une prose que sa trivialité ne rendait que plus touchante: «Quiconque viendra à ma porte m'annoncer la guérison du roy mon frère, tel courrier, fust-il las, harassé, fangeux et mal propre, je l'iray baiser et accoller, comme le plus propre prince et gentilhomme de France; et quand il auroit faute de lict, et n'en pourroit trouver pour se délasser, je lui donnerois le mien, et coucherois plustost sur la dure, pour telles bonnes nouvelles qu'il m'apporteroit[303].» [Note 303: Brantôme, _Premier livre des Dames_.] Mais le messager de joie ne devait pas venir. François Ier était mort. On le cachait à Marguerite: un mot d'une folle le lui apprit. Elle tomba à genoux; elle accepta le sacrifice..., mais elle devait en mourir. Dès lors plus de joyeux devis: l'_Heptaméron_ demeure inachevé. Marguerite ne sait plus que faire sangloter sa douleur dans ce rythme poétique qu'elle a si souvent employé autrefois. Partout ici-bas elle voit tristesses, douleurs. Son mari qui sentira après sa mort combien elle lui était chère et de bon conseil, son mari ne la rend pas heureuse. Sa fille, élevée hors de sa garde, n'a pour elle que de l'indifférence. Elle est seule. Je n'ay plus ny Pere, ny Mere, Ny Seur, ny Frere, Sinon Dieu seul auquel j'espere[304]. [Note 304: _Chansons spirituelles_. (_Les Marguerites, etc._, éd. citée.)] De la terre, elle n'a plus que des souvenirs. Amère consolation, comme Ta si bien dit le poète dont Marguerite répète le gémissement: Douleur n'y a qu'au temps de la misère Se recorder de l'heureux et prospere, Comme autrefoys en Dante j'ay trouvé, Mais le sçay mieulx pour avoir esprouvé Félicité et infortune austere[305]. [Note 305: Comte de la Ferrière-Percy, Frank, notices citées.] Chrétienne alors dans toute l'acception du mot, Marguerite s'appuie sur la croix: Je cherche aultant la croix et la desire Comme aultrefoys je l'ay voulu fuir. Adieu, m'amye, Car je m'en vois Cercher la vie Dedens la croix[306]. [Note 306: _Chansons spirituelles_. (_Les Marguerites_, éd. citée.)] Cette reine, qui n'a plus qu'un amour, Dieu, qu'un appui, la croix, n'a plus qu'une espérance: la mort qui la réunira à son frère. Cette mort, elle l'attend, elle l'appelle. Elle aspire à goûter «l'odeur de mort.» Elle avait peur de la mort autrefois. Mais la mort est .........la porte et chemin seur Par où il fault au créateur voler[307]. [Note 307: Rondeau. _Chansons spirituelles_. (_La Marguerite, etc._)] Détachée de tout ici-bas, Marguerite aspire au seul lien qui ne se rompe jamais: l'union de l'âme avec Notre-Seigneur. Elle attend les noces éternelles. Seigneur, quand viendra le jour Tant désiré, Que je seray par amour A vous tiré. Ce jour des nopces Seigneur, Me tarde tant, Que de nul bien ny honneur Ne suis content; Du monde ne puys avoir Plaisir ny bien: Si je ne vous y puys voir, Las! je n'ay rien! Essuyez des tristes yeux Le long gémir, Et me donnez pour le mieux Un doux dormir[308]. [Note 308: _Chansons spirituelles_. (_Id._)] Deux ans après la mort de son frère, le jour des noces éternelles arriva pour Marguerite. Elle eu eut quelque effroi, mais elle se résolut au suprême sacrifice. Ainsi disparut de la terre la _Perle des Valois_. Vivante, les écrivains, qui l'appelaient leur Mécène, l'avaient entourée de leurs hommages, et se plaisaient à lui dédier leurs oeuvres[309]. [Note 309: Brantôme, _Premier livre des Dames._] Esprit abstraict, ravy et estatic, dit Rabelais en dédiant à cet esprit le troisième livre de _Pantagruel_. Mais l'éloge de Marot dut plus sourire à la protectrice du poète: Corps féminin, coeur d'homme et teste d'ange. Érasme qui envoie à Marguerite des épîtres latines, loue en elle «prudence digne d'un philosophe, chasteté, modération, piété, force d'âme invincible, et un merveilleux mépris de toutes les vanités du monde.» Etienne Dolet s'adresse à Marguerite comme à «la seule Minerve de France.» «Tu seras, lui dit-il, recommandée à la postérité par les louanges de cette troupe illustre des fils de Minerve, qui se sont abrités sous ta protection au loin répandue.» A la mort de Marguerite, l'un des plus intéressants hommages qui furent rendus à sa mémoire, arriva d'Angleterre. Trois jeunes Anglaises, trois filles des Seymour, écrivirent cent distiques latins en l'honneur de la reine de Navarre[310]. [Note 310: Génin, notice citée. M. Génin a traduit aussi dans la correspondance de Marguerite les lettres d'Érasme et l'ode de Dolet.] Mais de toutes les voix poétiques qui chantèrent l'illustre morte, nulle ne fut mieux inspirée que celle de Ronsard. Pour célébrer cette exquise créature au simple et gracieux parler, le poète oublia la boursoufflure ordinaire de son style, et devint naturel et touchant comme avait su l'être Marguerite. Ronsard ne veut pas qu'on lui élève un fastueux tombeau, et, dans des accents d'une ravissante fraîcheur, il en indique un autre: L'airain, le marbre et le cuyvre Font tant seulement revivre Ceulx qui meurent sans renom: Et desquelz la sepulture Presse sous mesme closture Le corps, la vie et le nom. Mais toi dont la renommée Porte d'une aile animée Par le monde tes valeurs, Mieux que ces pointes superbes Te plaisent les douces herbes, Les fontaines et les fleurs. Vous, pasteurs que la Garonne D'un demi tour environne Au milieu de vos prez vers, Faictes sa tumbe nouvelle, Et gravez l'herbe suz elle Du long cercle de ces vers: _Icy la Royne sommeille Des Roynes la nonpareille Qui si doucement chanta, C'est la Royne Marguerite, La plus belle fleur d'eslite Qu'oncque l'Aurore enfanta. Je me suis attardée à la suite de Marguerite. J'ai subi l'attraction que la séduisante princesse exerce depuis trois siècles. On l'a dit avec raison: Marguerite d'Angoulême, comme Marie Stuart, est l'une de ces rares créatures qui ont le privilège de l'éternelle jeunesse, et que, par delà les siècles, nous aimons comme si nous les avions connues. En m'étendant ainsi sur ce qui concerne la reine de Navarre, je n'ai pas oublié non plus qu'en elle s'est personnifié pour la première fois complètement l'esprit français dans sa grâce, dans sa finesse enjouée, dans sa délicate sensibilité, enfin dans ses mélancolies[311], ces mélancolies que l'on dit modernes, mais qui datent du moyen âge et de plus loin encore, et qui n'ont disparu pendant deux siècles de notre littérature que sous l'influence croissante de l'école classique. Pour une femme, ce n'est pas un mince honneur que d'avoir été le premier miroir où s'est réfléchi dans ses faces multiples l'esprit d'une nation. C'est une gloire que je ne pouvais manquer d'enregistrer à l'actif de la femme française. [Note 311: D. Nisard. _Histoire de la littérature française_; Imbert de Saint-Amand, _les Femme de la cour des Valois_; Frank, notice citée.] Pour les lettrés délicats, l'_Heptaméron_ seul doit être compté à Marguerite comme titre littéraire. Si j'écrivais une histoire de la littérature française, je ne pourrais que souscrire à ce jugement des maîtres. Mais dans une étude consacrée à la femme, on me permettra, au point de vue de la beauté morale, d'élever au-dessus de ces contes les oeuvres où Marguerite nous fait respirer, avec le parfum de sa tendresse fraternelle, ce souffle de spiritualisme qui ne se trouve que çà et là dans l'_Heptaméron_. Les dons de l'esprit furent héréditaires dans la race des Valois. L'impulsion féconde que les femmes de cette maison donnèrent aux lettres se propagea même à l'étranger, témoin une autre Marguerite, nièce de la première, fille de François Ier, sage et savante comme la Minerve dont le nom lui fut aussi bien donné qu'à sa tante, et qui, duchesse de Savoie, attira dans sa nouvelle patrie les écrivains qu'elle avait encouragés en France. En appelant à Turin les jurisconsultes les plus éminents, elle donna à l'étude du droit une direction lumineuse, et vraiment digne de l'équitable princesse qui fut surnommée la _Mère des peuples_. Une troisième Marguerite, la fille de Henri II, moins pure que les deux autres, avait leurs brillantes facultés intellectuelles. Comme Marguerite d'Angoulême, elle fit des vers, et comme sa grand-tante aussi, elle dut la célébrité à une oeuvre en prose. Dans ses _Mémoires_, elle nous a laissé un modèle exquis des productions de ce genre. Elle ne s'y est pas seulement dépeinte avec cette naïveté, cette ressemblance qui donnent aux autobiographies du XVIe siècle un si puissant attrait psychologique. Mais la langue française apparaît déjà, dans cette oeuvre, non plus avec l'abondance parfois excessive de cette époque, mais avec cette précision, cette élégante sobriété qui s'unissent à la grâce et au naturel dans la prose du XVIIe siècle[312]. [Note 312: Saint-Marc Girardin, _Des Mémoires au XVIe siècle_, à la suite du _Tableau de la littérature française au XVIe siècle_.] Ne quittons pas les femmes des Valois sans nommer une princesse étrangère de naissance à leur race, mais qui y fut alliée par le mariage et qui occupa un moment le trône de France. Élevée dans notre pays, Marie Stuart était bien réellement une princesse française. Pages: | Prev | | 1 | | 2 | | 3 | | 4 | | 5 | | 6 | | 7 | | 8 | | 9 | | 10 | | 11 | | 12 | | 13 | | 14 | | 15 | | 16 | | 17 | | 18 | | 19 | | 20 | | 21 | | 22 | | 23 | | 24 | | 25 | | 26 | | 27 | | 28 | | 29 | | 30 | | 31 | | 32 | | 33 | | 34 | | 35 | | 36 | | 37 | | 38 | | 39 | | 40 | | 41 | | 42 | | 43 | | 44 | | 45 | | 46 | | 47 | | 48 | | 49 | | 50 | | 51 | | 52 | | 53 | | 54 | | 55 | | 56 | | 57 | | 58 | | 59 | | 60 | | 61 | | 62 | | 63 | | 64 | | 65 | | 66 | | 67 | | 68 | | 69 | | 70 | | 71 | | 72 | | 73 | | 74 | | 75 | | 76 | | 77 | | Next | |
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