Total read books on site: You can read its for free! |
C'est pour diriger l'âme élevée, délicate, de la femme, que le plus aimable des saints écrivit tant de lettres exquises, parmi lesquelles celles qu'il adressa à Mme de Charmoisy formèrent l'_Introduction à la vie dévote_. Dans cet admirable traité, la plus haute spiritualité se mêle au sens pratique de la vie, ou plutôt c'est par cette spiritualité même que saint François de Sales donne, pour toutes les conditions de la vie, une règle de conduite plus que jamais nécessaire au milieu du chaos moral qu'avait produit le XVIe siècle[319]. [Note 319: D. Nisard, _Histoire de la Littérature française_.] Nous avons déjà indiqué le profit que les femmes pouvaient tirer de ces fortes et douces leçons qui leur apprenaient que la piété des gens mariés ne doit pas être la piété monacale des religieux, et que c'est une fausse dévotion que celle qui nous fait manquer aux devoirs de notre état. Divers sont les sentiers qui mènent à la vie éternelle; mais sur chacun d'eux, saint François de Sales fait luire le divin rayon qui, en illuminant au-dessus de nos têtes un vaste pan du ciel, éclaire notre route sur la terre et nous permet même de cueillir les fleurs que la bonté de Dieu a semées jusqu'au milieu des rochers. Ce rayon conducteur, c'est l'amour, l'amour qui cherche Dieu dans son essence adorable et dans les âmes qu'il a créées. C'est ainsi, avec l'amour de Dieu, l'amour de la famille; c'est l'amitié, c'est la charité. Saint François de Sales consacra un traité à l'_Amour de Dieu_; et pour publier cette oeuvre, que de pressants appels il reçut de l'âme sainte qui, avant de se confondre au ciel avec la sienne, s'y était unie ici-bas dans le grand et religieux sentiment qui était le sujet de ce pieux ouvrage! On a nommé sainte Chantal, sainte Chantal à qui l'évêque de Genève adressa ses plus touchantes lettres. Saint François de Sales trouva ainsi dans les femmes qu'il dirigeait, l'inspiration ou l'encouragement de ces oeuvres dont la haute et salutaire doctrine emprunte à la nature les plus ravissantes images, à la langue du XVIe siècle les tours les plus naïfs et les plus gracieux, pour faire pénétrer dans les âmes ses enseignements[320]. [Note 320: Voir les _Lettres_ de saint François de Sales.] Dans cet ordre de la Visitation que saint François de Sales avait fondé avec Mme de Chantal; dans la maison mère d'Annecy, la Mère de Chaugy devait écrire, sur la sainte fondatrice, des mémoires[321] qui appartiennent par leur date et par leur style au xviie siècle, mais qui ont gardé du siècle précédent la grâce vivante que saint François avait transmise à ses filles spirituelles. [Note 321: Mère de Chaugy, _Mémoires cités_.] Parmi les femmes qui furent en correspondance avec saint François de Sales, se trouvait Mlle de Gournay, l'émancipatrice qui, plus haut, nous a fait sourire; Mlle de Gournay, la savante «fille d'alliance» de Montaigne, et dont la studieuse jeunesse fut le rayon qui éclaira les derniers jours du philosophe. «Je ne regarde plus qu'elle au monde,» dit celui-ci avec un attendrissement bien rare sous sa plume. «Si l'adolescence peult donner presage, cette ame sera quelque jour capable des plus belles choses, et entre aultres, de la perfection de cette très saincte amitié, où nous ne lisons point que son sexe ayt peu monter encores[322].» [Note 322: Montaigne, _Essais_, II, xvii.] Mlle de Gournay vengea son sexe en gardant à Montaigne, au delà du tombeau, le plus tendre dévouement. Après la mort de son vieil ami, elle ne se contenta pas d'aller le pleurer avec sa femme et sa fille, et de braver pour cela les fatigues et les dangers d'un long voyage accompli en pleine guerre civile. Elle prépara avec des soins infinis une nouvelle édition des oeuvres de son maître, édition qu'elle devait faire réimprimer quarante ans après. Cette jeune fille qui, élevée par une mère ignorante dont l'unique souci était de la confiner dans les soins du ménage, avait appris sans maître, sans grammaire, la langue latine, en comparant des versions à des textes, et qui avait aussi étudié les éléments du grec; cette jeune fille se servit d'abord de son instruction si péniblement acquise pour traduire tous les passages grecs, latins, italiens, que Montaigne avait cités; elle en indiqua la provenance, soin que n'avait pas pris l'auteur. Enfin, elle se dévoua à la gloire de son ami, avec cette puissance d'affection qu'il lui avait naguère reconnue et qui était pour elle un besoin. Ne disait-elle pas elle-même que l'amitié est surtout nécessaire aux esprits supérieurs? La chaleur de son âme se répandait sur tous ses travaux. Elle y joignait un profond sentiment moral, et cherchait bien moins dans les oeuvres littéraires la perfection du style que le fond même des idées. Aussi ses auteurs préférés étaient-ils les philosophes, les moralistes, parmi lesquels cependant, par un bizarre contraste, elle avait voué une si tendre admiration à l'illustre écrivain dont le doute universel était en complet désaccord avec les fermes principes de sa «fille d'alliance.» Les sentiments élevés et profonds de Mlle de Gournay se révèlent dans tous ses écrits, et pour elle, comme pour Mme de la Tremouille, les lettres n'étaient qu'un apostolat. Française, elle chanta dignement Jeanne d'Arc. Catholique de coeur et d'action, elle flétrit la fausse dévotion. Femme destinée à vieillir et à mourir sans avoir reçu les titres d'épouse et de mère, elle comprit l'amour maternel. C'est elle qui a dit: «L'extrême douleur et l'extrême joie du monde consistent à être mère.» L'étude, on le voit, n'avait pas desséché son coeur. Comme la tendresse, l'enthousiasme lui était naturel. Elle s'éleva avec force contre les critiques qui ne savaient que dénigrer et jamais admirer. Par malheur son style ne fut que rarement à la hauteur de ses pensées: il est souvent alambiqué. Mlle de Gournay avait vécu dans un temps qui fut pour la langue une époque de transition. La «fille d'alliance» de Montaigne ne marcha pas avec ce XVIIe siècle pendant lequel s'écoula la plus grande partie de sa vie[323]. Elle garda les traditions du siècle précédent. Contraire à la réforme qu'opérait Vaugelas, elle eut le tort de ne pas comprendre que l'épuration de la langue était nécessaire; mais, en combattant pour le maintien de toutes les anciennes formes du langage, elle eut du moins le mérite de protéger et de sauver bien des mots que l'exagération habituelle aux novateurs voulait supprimer, et qui sont demeurés dans notre langue. Il est à regretter que Mlle de Gournay n'ait pas réussi à en conserver davantage. M. Sainte-Beuve a justement remarqué que l'école romantique de 1830 se servit d'arguments analogues à ceux de Mlle de Gournay, pour que la langue ne perdît aucune des richesses qu'elle avait acquises. [Note 323: Née en 1565, elle mourut en 1645. Pour tout ce qui concerne Mlle de Gournay, cf. l'étude que lui a consacrée M. Feugère, à la suite de son ouvrage: _Les Femmes poètes du XVIe siècle_.] Les femmes du XVIe siècle avaient contribué à enrichir la langue et aussi à l'épurer. Après M. Nisard, je rappelais plus haut que l'_Heptaméron_ était le premier ouvrage français que l'on pût lire sans l'aide d'un vocabulaire. Il était naturel que ce fût l'oeuvre d'une femme qui offrît pour la première fois cette langue déjà moderne, et qu'une autre femme, la troisième Marguerite, devait manier avec l'élégante brièveté qui annonce le XVIIe siècle: Vaugelas n'a point constaté en vain l'heureuse influence de la femme sur la formation de notre idiome. Cette influence s'était déjà produite au moyen âge. Charles IX avait semblé reconnaître cette dette de la langue française, alors que, fondant une espèce d'Académie qui s'occupait de littérature aussi bien que de musique, il y admettait les femmes. Mlle de Gournay avait une précieuse ressource pour défendre ses vues grammaticales: l'Académie française, dit-on, l'Académie, alors naissante, se réunissait quelquefois chez elle; et il semble que, dans les séances de la docte compagnie, l'opinion de Mlle de Gournay n'était pas dédaignée[324]. [Note 324: Duc de Noailles, _Histoire de Mme de Maintenon_.] On croit que cette femme distinguée parut dans le salon célèbre qui eut, lui aussi, une action sur la langue française: la _chambre bleue_ de la marquise de Rambouillet. Dans les conversations que nous offrent les _Contes de la Reine de Navarre_, nous avons pu voir, avec la charmante vivacité de l'esprit français, une galanterie qui manquait souvent de délicatesse. Les libres propos n'effrayent pas trop les gaies causeuses, et elles ne se bornent pas toujours à les écouter. Les guerres civiles qui marquent tristement la seconde moitié du XVIe siècle, et qui firent de la France un vaste camp, ajoutèrent encore à la vieille licence gauloise la grossièreté des allures soldatesques. D'ailleurs, le dérèglement du langage ne répondait que trop à celui des moeurs. Aux heures de crise nationale, ceux qui ont vécu longtemps en face de la mort suivent deux tendances bien opposées: les uns se détachent plus aisément des choses d'ici-bas pour reporter vers le ciel leurs pensées attristées, et ne s'occupent de la terre que pour soulager les malheurs que la guerre a amenés. Nous verrons dans le chapitre suivant que ces âmes furent nombreuses au XVIIe siècle. Mais pour beaucoup d'autres, il semble qu'une fois le péril passé, elles cèdent à une réaction qui les précipite dans les terrestres plaisirs: l'amour sensuel, qui déjà dominait sous les Valois, régnait sous Henri IV. Ce n'était pas seulement le ton d'une galanterie soldatesque qui prévalait alors, c'était aussi la rudesse du langage ordinaire. Pour nous qui avons vécu dans les temps où la guerre civile ou la guerre étrangère menaçait jusqu'à nos foyers, nous savons combien l'héroïsme des sentiments se développe alors, mais combien aussi le langage devient aisément dur et même trivial pour traduire les impressions violentes que causent l'âpreté de la lutte, l'imminence du péril, la lâcheté des uns, la barbarie des autres. Toutes nos énergies sont alors décuplées, mais nous perdons la grâce, la délicatesse, la mesure du savoir-vivre. «La grandeur était en quelque sorte dans l'air dès le commencement du XVIIe siècle,» dit M. Pages: | Prev | | 1 | | 2 | | 3 | | 4 | | 5 | | 6 | | 7 | | 8 | | 9 | | 10 | | 11 | | 12 | | 13 | | 14 | | 15 | | 16 | | 17 | | 18 | | 19 | | 20 | | 21 | | 22 | | 23 | | 24 | | 25 | | 26 | | 27 | | 28 | | 29 | | 30 | | 31 | | 32 | | 33 | | 34 | | 35 | | 36 | | 37 | | 38 | | 39 | | 40 | | 41 | | 42 | | 43 | | 44 | | 45 | | 46 | | 47 | | 48 | | 49 | | 50 | | 51 | | 52 | | 53 | | 54 | | 55 | | 56 | | 57 | | 58 | | 59 | | 60 | | 61 | | 62 | | 63 | | 64 | | 65 | | 66 | | 67 | | 68 | | 69 | | 70 | | 71 | | 72 | | 73 | | 74 | | 75 | | 76 | | 77 | | Next | |
Your last read book: You dont read books at this site. |