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Text on one page: Few Medium Many
Deux
assassins,--c'étaient ses fils,--et la Saint-Barthélemi,--c'était son
oeuvre. Que de crimes lui eussent été épargnés, que de deuils et de
hontes eussent été épargnés à la France si elle n'avait jamais eu entre
les mains l'arme du pouvoir!

Au XVIe siècle, la violence est le caractère dominant de l'influence
qu'exercent les femmes. Cette violence ne fût-elle pas dans leur
caractère, elle y est mise par les luttes auxquelles elles sont mêlées.
En voici une, douce et généreuse entre toutes: Anne d'Este, femme du
duc François de Guise. Après la conspiration d'Amboise, elle n'a pu
supporter l'horrible spectacle auquel la cour se délecte: le supplice
des conspirés. Elle s'éloigne en sanglotant, et comme la reine mère
lui demande pourquoi elle se livre à une telle douleur: «J'en ay,
respondict-elle, toutes les occasions du monde. Car je viens de voir la
plus piteuse tragédie et estrange cruauté à l'effusion du sang innocent,
et des bons subjects du roy que je ne doubte point qu'en bref un grand
malheur ne tombe sur nostre maison, et que Dieu ne nous extermine de
tout pour les cruautés et inhumanités qui s'exercent[400].» C'est une
fervente catholique qui pleure sur les huguenots persécutés; c'est une
épouse, une mère qui redoute le châtiment que la Providence fait tomber
sur les persécuteurs; et c'est peut-être aussi une fille qui se souvient
de sa mère: la duchesse de Guise était née d'une protestante: Renée de
France, duchesse de Ferrare.

[Note 400: Regnier de la Planche, _Histoire de l'Estat de France_.]

Lorsque le duc François prépare des mesures rigoureuses contre Orléans,
la généreuse duchesse va vers lui pour le fléchir. Mais en allant la
voir dans un château situé près du camp, le duc est frappé par un
assassin. Il est transporté auprès de sa femme. A cet aspect, l'épouse a
un cri de vindicative douleur. François de Guise lui rappelle qu'à Dieu
seul appartient la vengeance, et, dans son admirable mort de héros
chrétien, il n'a que des paroles de miséricorde et de paix. Mais la
duchesse, elle, ne pardonne pas. Ce n'est plus la femme magnanime qui
détourne ses regards d'une sanglante exécution et qui intercède pour des
vaincus. Non, c'est une épouse tout entière à la vengeance de son mari.
Le supplice de l'assassin ne lui suffit pas: derrière Poltrot de Méré,
elle voit Coligny, qui n'a pas fait commettre le crime cependant, mais
qui en connaissait le projet et n'en a pas empêché l'exécution. Même
remariée au duc de Nemours, la duchesse de Guise poursuit la vengeance
de son premier mari. Elle est la complice de la reine mère pour la
tentative d'assassinat qui précède la Saint-Barthélemi. Un de ses fils
juge que de sa propre main elle tuerait l'amiral!

Elle apporte dans sa tendresse maternelle toute la passion de son âme.
Elle anime Henri de Guise, son fils, dans l'oeuvre qu'il poursuit:
la formation de la Ligue. Quand les Guises sont assassinés, elle est
prisonnière, et cependant elle jette à Henri III toutes les malédictions
qu'une mère peut fulminer contre les meurtriers de ses fils. Rendue à la
liberté pour être une messagère de paix auprès des chefs de la Ligue,
elle leur transmet les propositions dont elle est chargée, mais lorsque
son fils, le duc de Mayenne, lui demande si elle lui conseille de les
accepter, elle l'exhorte à ne prendre conseil que de son coeur et de sa
conscience. Il la comprend[401]!

[Note 401: Brantôme, _Second livre des Dames_.]

Et sa fille, la duchesse de Montpensier, l'âme de la Ligue! Elle s'est
vantée de porter à la ceinture les ciseaux qui devaient donner à Henri
III, successivement roi de Pologne et roi de France, une troisième
couronne! Quand ses frères ont été assassinés, elle fait plus. C'est
elle qui arme le bras de Jacques Clément. Et sa mère et elle, parcourant
dans leur carrosse les rues de Paris, annoncent elles-mêmes au peuple la
bonne nouvelle: l'assassinat du roi. La duchesse de Montpensier a donné
auparavant un chef à cette Ligue qu'avait exaltée le spectacle de sa
douleur fraternelle. C'est elle qui a cherché à Dijon Mayenne, son
frère, et elle l'a conduit à Paris en triomphe. S'il l'avait écoutée, il
aurait saisi la couronne de France.

Même farouche énergie chez les femmes des huguenots. Elles ne savent
pas seulement mourir avec héroïsme, elles animent à la lutte les
combattants. Qui décide Coligny à vaincre l'horreur que lui inspire la
guerre civile? Une femme, une femme d'un grand coeur cependant, mais
qu'anime l'ardent esprit des sectaires. Une nuit l'amiral est réveillé
par les sanglots de sa compagne, Charlotte de Laval: «Je tremble de peur
que telle prudence soit des enfans du siècle, et qu'estre tant sage pour
les hommes ne soit pas estre sage à Dieu qui vous a donné la science de
capitaine: pouvez-vous en conscience en refuser l'usage à ses enfans?...
L'espee de chevalier que vous portez est-elle pour opprimer les affligez
ou pour les arracher des ongles des tyrans?... Monsieur, j'ai sur le
coeur tant de sang versé des nostres; ce sang et vostre femme crient au
ciel vers Dieu... contre vous, que vous serez meurtrier de ceux que vous
n'empeschez point d'estre meurtris.»--«Mettez la main sur vostre sein,
répondit l'amiral, sondez à bon escient vostre constance, si elle pourra
digerer les desroutes generalles, les opprobres de vos ennemis et ceux
de vos partisans, les reproches que font ordinairement les peuples
quands ils jugent les causes par les mauvais succez, les trahisons des
vostres, la fuitte, l'exil en païs estrange...; vostre honte, vostre
nudité, vostre faim, et, ce qui est plus dur, celle de vos enfans:
tastez encores si vous pouvez supporter vostre mort par un bourreau,
après avoir veu vostre mari trainé et exposé à l'ignominie du vulgaire:
Et pour fin vos enfans infames vallets de vos ennemis... Je vous donne
trois semaines pour vous esprouver; et quand vous serez à bon escient
fortifiée contre tels accidens, je m'en irai périr avec vous et avec nos
amis.»--L'Admiralle repliqua, Ces trois semaines sont achevées, vous ne
serez jamais vaincu par la vertu de vos ennemis, usez de la vostre; et
ne mettez point sur vostre teste les morts de trois semaines: Je vous
somme au nom de Dieu de ne nous frauder plus, ou je serai tesmoin contre
vous en son jugement[402].»

[Note 402: D'Aubigné, _Histoires_, t. I, livre III, ch. II.]

Certes, Charlotte de Laval soutenait une funeste cause; mais comment ne
pas admirer la scène superbe que nous a fait connaître d'Aubigné!

Dans le parti huguenot encore, la reine de Navarre, Jeanne d'Albret,
fille de Marguerite d'Angoulême et femme d'Antoine de Bourbon; Élisabeth
de Roye, mariée au prince de Condé, encouragent leurs époux à embrasser
ouvertement et activement le protestantisme[403]. Lorsque Antoine de
Bourbon revient au catholicisme et qu'il veut contraindre sa femme à
suivre son exemple, elle résiste. Il l'éloigne de lui et lui prend son
fils pour le faire élever dans la religion catholique; mais, avant de
partir, Jeanne adjure l'enfant de ne point aller à la messe, le menaçant
de le renoncer pour son fils s'il lui désobéit. Dans les seigneuries des
Pyrénées qui lui restent soumises, elle prête son appui aux protestants
de la Guyenne. Bientôt elle devient veuve. Sa foi intolérante éclate
avec violence, elle interdit l'exercice du culte catholique dans son
royaume de Navarre, elle chasse les prêtres.

[Note 403: Duc d'Aumale, _Histoire des princes de Condé_, tome I.]

Son fils, Henri de Navarre, n'a pas quinze ans et déjà elle l'arme de sa
main, elle le conduit à La Rochelle auprès du prince de Condé. Elle-même
soutient énergiquement la lutte.

Après l'assassinat du prince de Condé, Jeanne se montre dans une
plus touchante attitude. Elle amène devant les huguenots réunis à
Tonnai-Charente, son fils et son neveu, le fils de la victime; et les
présente à cette armée comme les vengeurs de Condé. La harangue qu'elle
leur adresse joint à une énergie virile la séduction qu'exercent les
larmes d'une femme. Son fils jure d'être fidèle à la cause proscrite,
et le serment du jeune prince est répété par les voix enthousiastes
des soldats. Henri est proclamé chef de l'armée, et Jeanne consacre ce
souvenir par une médaille d'or portant la double effigie de la mère et
du fils. «_Pax certa, victoria integra, mors honesta_.» Paix assurée,
victoire entière, mort honorable, disait la légende: noble devise que,
plus tard, devait rappeler à son fils une autre mère, l'une des héroïnes
que la maison de Rohan donna au siège de La Rochelle. Cette devise était
digne de cette fière Jeanne d'Albret qui, alors que le mariage de son
fils avec la soeur du roi de France était négocié, déclarait éloquemment
qu'elle sacrifierait sa vie à l'État, mais non pas l'âme de son fils à
la grandeur de sa maison. Elle se trompait dans la croyance à laquelle
elle se dévouait, mais dans ce siècle où tant de passions égoïstes
étaient en jeu, elle obéissait du moins à ce principe qui met au-dessus
de toutes les ambitions humaines les intérêts de l'âme immortelle. En
déplorant les erreurs de Jeanne d'Albret, n'oublions pas que nous devons
Henri IV à une mère qui lui apprit à devenir un grand homme en le
nourrissant de la lecture de Plutarque; redisons, avec d'Aubigné,
qu'elle n'avait «de femme que le sexe, l'ame entière aux choses
viriles, l'esprit puissant aux grands affaires, le coeur invincible aux
adversitez[404],» et ajoutons cependant qu'avec Charlotte de Laval et
Élisabeth de Roye, elle n'apparut dans la vie politique de la France que
pour attiser le feu de la guerre civile.

[Note 404: D'Aubigné, _Histoires_, tome II, livre I, ch. II.]

Ce n'était pas seulement dans les luttes religieuses que la violence se
rencontrait chez les femmes. Cette violence se respirait dans l'air.
A une époque où les combats singuliers devenaient une plaie pour la
France, on vit la veuve d'un gentilhomme tué en duel, poursuivre avec
une implacable persévérance la mort du meurtrier. Celui-ci est traîné au
supplice, et, à ce moment même, la grâce royale le sauve. Alors la veuve
va se jeter aux pieds du roi, et, lui présentant son petit enfant:
«Sire, dit-elle, au moins puis que vous avez donné la grâce au meurtrier
du père de cet enfant, je vous supplie de la luy donner dès cette heure,
pour quand il sera grand, il aura eu sa revenche et tué ce malheureux.»
«Du depuis, à ce que j'ay ouy dire, la mere tous les matins venoit
esveiller son enfant; et, en lui monstrant la chemise sanglante qu'avoit
son père lorsqu'il fut tué, et luy disoit par trois fois: «Advise-la
bien: et souviens-toi bien, quand tu seras grand, de venger cecy:
autrement je te deshérite.»--«Quelle animosité!» s'écrie Brantôme.



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