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Il
est vrai que pour dédommager plusieurs d'entre eux des emplois qu'elle
leur refusait, elle leur prodigua des largesses dont le Trésor faisait
malheureusement les frais. On pourrait encore dire pour atténuer
l'ingratitude de la régente, que la haine persévérante que ses anciens
amis gardaient à Mazarin, ne pouvait qu'irriter sa royale amie. Mais le
manque de reconnaissance n'était pas pour Anne d'Autriche un défaut
de fraîche date. A moins qu'une grande passion n'occupât son coeur,
l'égoïsme y dominait facilement. A l'époque où elle était persécutée,
elle ne recula pas plus pour se sauver elle-même, devant l'abandon de
ceux qui exposaient leur vie pour la défendre, qu'elle ne recula devant
le sacrilège en faisant un faux serment sur l'Eucharistie. Il y avait
dans son caractère un bizarre mélange de grandeur et de bassesse,
d'ingratitude et de dévouement.

Mazarin ne connut que ce dévouement qui ne cessa de s'élever à la
hauteur de l'épreuve. La reine lui en donna un premier témoignage quand
il vit son existence menacée par le complot de Beaufort: ce fut à ce
moment que la régente se déclara pour son ministre en danger.

En s'associant à la sage politique de Mazarin, Anne d'Autriche contribua
puissamment à la grandeur de notre pays. «La France, dit M. Cousin, ne
compte pas dans son histoire d'années plus glorieuses que les premières
années de la régence d'Anne d'Autriche et du gouvernement de Mazarin,
tranquille au dedans par la défaite du parti des Importants, triomphante
sur tous les champs de bataille, de 1643 à 1648, depuis la victoire
de Rocroy jusqu'à celle de Lens, liées entre elles par tant d'autres
victoires et couronnées par le traité de Westphalie[407]». Comment
rappeler aujourd'hui sans une profonde tristesse que c'est à la régence
d'Anne d'Autriche que nous devons le traité qui donna l'Alsace à la
France!

[Note 407: Cousin, _la Jeunesse de Mme de Longueville_.]

A ces belles et radieuses années de la Régence succèdent des temps de
trouble. Après les généreuses émotions de la guerre extérieure, voici
les intrigues et les luttes civiles de la Fronde.

Au début de la guerre civile, la figure d'Anne d'Autriche prend un
relief extraordinaire. Dans ses qualités comme dans ses défauts apparaît
une énergique personnalité. La vivacité du sentiment, toujours quelque
peu compromettante pour l'administration politique des femmes, peut,
aux heures de crise où les mesures ordinaires ne suffisent pas, leur
inspirer les fières attitudes, les résolutions héroïques qui les font
triompher dans la lutte. Ce n'est pas à l'art de la politique qu'est
due cette gloire, c'est à l'inspiration du coeur, et c'est pourquoi les
femmes apparaissent généralement si grandes dans les périls publics ou
privés. Anne d'Autriche eut dans la Fronde une âme vraiment royale.
Cette princesse, naguère si humble et si humiliée devant Richelieu, est
maintenant une vraie fille des rois d'Espagne «bien digne de ses grands
aïeux», c'est une reine à qui «le sang de Charles-Quint» donne «de la
hauteur[408]», et qui, suivant l'expression de Mazarin, est «vaillante
comme un soldat qui ne connaît pas le danger».

[Note 408: Mme de Motteville, _Mémoires_.]

Toutefois, dans cette généreuse attitude même, elle se laisse emporter
par la passion au delà de la mesure; et si l'on a pu dire qu'elle seule
montra alors de la noblesse et du courage, on doit ajouter que ses
emportements irritèrent la révolte.

Profondément imbue du principe du pouvoir absolu, Anne d'Autriche ne
souffre pas que, dans des questions de finance qui, à vrai dire, ne
regardent pas le Parlement, l'autorité royale soit limitée et contrôlée
par des gens de robe, «cette canaille», a-t-elle dit avec cette violence
de langage que nous retrouverons plus d'une fois sur ses lèvres.
L'orgueil de la reine paraît l'emporter jusque sur l'amitié qu'elle a
vouée à Mazarin: elle semble rebelle aux conseils du prudent ministre,
et va même jusqu'à flétrir du nom de lâcheté cet esprit de conciliation.
Mais ne nous y méprenons pas. N'est-ce pas la discrète Mme de Motteville
qui nous dit que le cardinal encourageait secrètement l'ardeur de la
reine pour mieux faire ressortir sa propre modération[409]? Ici encore
Anne d'Autriche était d'intelligence avec lui. C'était pour lui qu'elle
s'exposait. Si l'allégation de Mme de Motteville est vraie, il faut
convenir que les sentiments de Mazarin ne répondaient guère, en cette
circonstance, à la générosité de la reine, et que la fable de _Bertrand
et Raton_ eut ici une application anticipée qui faisait plus d'honneur à
la princesse qu'à son ministre.

[Note 409: Mme de Motteville, _Mémoires_, 1648.]

La nouvelle de la victoire de Lens a encore exalté l'orgueil d'Anne
d'Autriche. Elle mène son fils à Notre-Dame pour le _Te Deum_ célébré
devant soixante-treize drapeaux ennemis déposés devant l'autel. Le
régiment des gardes forme la haie sur le passage du cortège royal et a
reçu l'ordre de demeurer sous les armes. Après avoir demandé à Dieu de
bénir les projets qu'elle médite, la reine sort de la cathédrale et
dit tout bas au lieutenant de ses gardes: «Allez, et Dieu veuille vous
assister[410]».

[Note 410: Id., _Id_.]

L'entreprise commandée par la régente, est l'exil de trois magistrats,
l'arrestation du conseiller Broussel et de deux présidents du Parlement.

Anne d'Autriche est de retour au Palais-Royal. Elle y apprend que Paris
se soulève pour réclamer la délivrance du populaire Broussel.

A pied, à travers la foule mugissante, un évêque, avec son rochet et son
camail, se fraye un passage jusqu'à la résidence royale: c'est Paul de
Gondi, le coadjuteur de Paris, le futur cardinal de Retz. Anne comprend
qu'il désire la voir céder au mouvement insurrectionnel qu'elle le
soupçonne d'avoir encouragé, et la colère de la souveraine lui fait
oublier sa dignité: «Vous voudriez que je rendisse la liberté à
Broussel! Je l'étranglerais plutôt avec ces deux mains, et ceux qui...»
Et ces mains royales menaçaient le coadjuteur. Il était temps que le
cardinal ministre intervînt!

Chargé par Mazarin de négocier la paix moyennant la délivrance de
Broussel, le coadjuteur a réussi à calmer l'émeute. Mais quand il
revient au palais pour annoncer à la régente le succès de sa mission, et
la prie de souscrire aux promesses de Mazarin; quand le maréchal de
la Meilleraye, qui l'a accompagné, atteste le grand service que le
coadjuteur a rendu à la reine, Anne d'Autriche n'a d'autre parole de
reconnaissance que cette moqueuse recommandation: «Allez vous reposer,
monsieur, vous avez bien travaillé!» Ce fut une faute, une grande faute.
Jusque-là, bien que Gondi n'eût guère d'autre vocation que celle du
conspirateur, il était demeuré fidèle à la reine. Mais déjà blessé par
la mordante ironie de la princesse, il apprend qu'un coup d'État se
trame pour le lendemain et le menace des premiers. Anne d'Autriche a
fait d'un de ses amis un puissant conspirateur.

Elle peut le comprendre, le lendemain, devant les douze cents barricades
qui obstruent les rues de Paris. Au bruit de la mousqueterie, le
Parlement en corps, précédé de ses huissiers, se dirige vers le
Palais-Royal pour réclamer ceux de ses membres qui lui ont été enlevés.
«Vive le Parlement! vive Broussel!» crie le peuple qui ouvre les
barricades aux magistrats.

Tout tremble à la cour, excepté la reine qui, superbe de courroux,
tient tête à l'orage et répond avec hauteur à la harangue du premier
président.

Elle cède enfin à la pression qu'exercent sur elle Mazarin, le
chancelier Séguier et l'admirable président Molé. Elle veut bien
remettre Broussel en liberté si le Parlement consent à reprendre ses
séances.

Le Parlement quitte la reine pour se rendre au Palais-de-Justice. Mais
il est arrêté dans sa marche par les insurgés qui ne se contentent pas
des promesses de la régente. Ce qu'ils veulent, c'est Broussel lui-même.
Devant les furieuses menaces qui ont succédé à une ovation enthousiaste,
des magistrats s'enfuient. Molé ramène au Palais-Royal ceux qui ne l'ont
pas abandonné et qui forment le plus grand nombre. Il expose à la reine
les dangers qui la menacent et qui planent jusque sur la tête de son
fils. Le courage d'Anne d'Autriche croît avec le péril. Elle se refuse à
abaisser devant l'insolence du peuple la majesté royale.

Alors, dans le cercle de la reine, une parole s'éleva pour l'avertir des
dangers que son opiniâtreté faisait courir au trône: cette voix était
celle d'une grande victime des révolutions, Henriette-Marie, cette
fille de Henri IV qui allait être bientôt la veuve du roi d'Angleterre,
Charles Ier! Elle dit à la reine de France que la révolution
d'Angleterre avait ainsi commencé. Anne d'Autriche était mère: elle
comprit la leçon. «Que messieurs du Parlement voient donc ce qu'il y a à
faire pour la sûreté de l'État», dit-elle avec une morne résignation. Et
elle ordonna la délivrance des magistrats prisonniers, le rappel de ceux
qu'elle avait exilés.

Malgré ces concessions, l'énergie de la princesse ne fléchissait
pas. Pendant l'orageuse soirée du lendemain, alors que tous ceux qui
l'entourent sont en proie à la terreur, elle reste calme, héroïque; et
à sa fierté de race se joint un sentiment plus touchant. Mère et
chrétienne, elle espère dans le Dieu qui bénit les petits enfants: «Ne
craignez point, dit-elle, Dieu n'abandonnera pas l'innocence du roi; il
faut se confier à lui[411]».

[Note 411: Mme de Motteville, _Mémoires_, 1648.]

Bientôt, à Saint-Germain, une humiliation suprême lui est imposée. Elle
a cru, mais en vain, pouvoir s'appuyer sur l'épée de Condé. Alors, avec
des larmes d'indignation, elle signe un acte qui consacre les décisions
du Parlement et qu'elle appelle «l'assassinat de la royauté».

L'agitation, un moment calmée, se produit encore. Cette fois la régente
a obtenu l'appui de Condé. Elle s'est de nouveau rendue à Saint-Germain,
et de là, elle envoie au Parlement l'ordre de se retirer à Montargis.
Condé assiège Paris.

Maintenant, le cardinal s'associe ouvertement à l'inflexible résistance
de la reine. Anne d'Autriche sort victorieuse de l'épreuve, et quand,
après la paix de Rueil, nous la voyons rentrer dans Paris, Mazarin, si
impopulaire jusque-là, Mazarin est auprès d'elle et partage l'accueil
sympathique qu'elle reçoit.



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