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Mais elle ne prétendait pas agir sur la marche générale de la politique. Elle avait au coeur une bien autre ambition. Pouvait-elle oublier ce beau titre de nos souveraines: _reine de France et de charité?_ Certes, elle le méritait, ce titre, la généreuse femme. Ils en témoignent, ce paysan blessé qu'elle secourt, ce vieux serviteur qu'elle panse de ses mains, ces humbles ménages qu'elle recueille au Petit-Trianon, ces filles pauvres qu'elle dote, ces femmes âgées pour lesquelles elle fonde un hospice; cette société de charité maternelle qui se crée sous son patronage! La reine étend plus loin sa puissance. Les vieilles gloires françaises reçoivent son hommage; elle les honore dans les hommes dont le nom les rappelle. Par son intervention, le petit-neveu de Corneille, père de famille plongé dans la misère, obtient du roi une gratification de 1,200 livres. En entendant louer l'action du chevalier d'Assas, elle s'étonne du long oubli où est demeuré ce fait sublime et veut savoir si le héros a laissé une famille. Cette famille existe, et elle obtient une pension héréditaire. Les gloires du passé ne font pas oublier à Marie-Antoinette les besoins du présent, s'il faut en croire la tradition suivant laquelle, dès les premiers temps du règne de Louis XVI, la jeune reine aurait voulu que la cour et le gouvernement fussent transférés à Paris. De grands travaux d'utilité publique, l'achèvement du Louvre, la transformation de ce palais en un musée, tous ces projets que d'autres temps devaient voir se réaliser, se seraient rattachés au plan de cette jeune reine qui ne semblait occupée que de ses plaisirs. M. de Maurepas aurait fait échouer ce plan[438]. Hélas! c'est comme prisonnière que la famille royale devait un jour habiter les Tuileries. [Note 438: Edmond et Jules de Goncourt, _Histoire de Marie-Antoinette_.] Rappelons encore un autre fait qui, celui-là, est complètement historique: l'acte de généreux patriotisme par lequel la reine, pour doter la France d'un vaisseau, renonça au superbe collier de diamants que le roi lui offrait et qui devint l'origine du procès célèbre dont les péripéties furent si douloureuses à Marie-Antoinette. Faire le bien, c'était la préoccupation de la reine. Malheureusement la prudence ne modérait pas toujours les élans de son coeur, et, comme nous l'avons déjà dit, ce fut le besoin d'obliger ceux qu'elle aimait qui lui fit toucher d'une main souvent imprudente aux affaires de l'État. En devenant reine de France, elle n'a pas oublié que c'est au duc de Choiseul qu'elle doit sa couronne, et que c'est le duc d'Aiguillon qui a fait exiler ce ministre. Elle s'efforce de ramener au pouvoir M. de Choiseul. Elle y échoue, mais, du moins, elle obtient son rappel de l'exil et le renvoi du duc d'Aiguillon. Plus tard, elle fera exiler celui-ci non seulement parce qu'il l'espionne et tient contre elle de mauvais propos, mais parce qu'il est hostile à M. de Guines que protège M. de Choiseul; M. de Guines, cet ambassadeur de France à Londres, qui a un procès déshonorant que la reine fait reviser[439]. La reine, il faut l'ajouter, aime à se dire qu'en obligeant M. de Choiseul, elle fait remplir un grand acte de justice. Elle pense de même pour la revision d'un autre procès, celui de MM. de Bellegarde, condamnés à un long emprisonnement par une condamnation que M. de Choiseul juge inique. C'est avec des larmes de joie que la reine a obtenu de Louis XVI la revision de ces deux procès. Lorsque MM. de Bellegarde, qui lui doivent plus que la liberté, l'honneur, viennent avec leurs familles se jeter aux pieds de leur libératrice, la reine, modérant les transports de cette reconnaissance, dit «que la justice seule leur avait été rendue; qu'elle devait en ce moment même être félicitée sur le bonheur le plus réel qui fût attaché à sa position, celui de faire parvenir jusqu'au roi de justes réclamations[440].» [Note 439: Le comte de Mercy à Marie-Thérèse, 15 juillet 1774; Marie-Antoinette au comte de Rosemberg, 13 juillet 1775. D'Arneth et Geffroy, _recueil cité_.] [Note 440: Mme Campan, _Mémoires_.] Mais le chaleureux appui que la reine accorde à M. de Guines a de déplorables conséquences: Turgot et Malesherbes sont, eux aussi, contraires à ce diplomate. La reine qui leur garde déjà rancune de n'avoir pas appuyé ceux de ses protégés qu'elle voulait faire entrer dans le cabinet, la reine, faisant violence à la conscience du roi, se joint à la cabale qui renverse ces deux honnêtes ministres. Peut-être Marie-Antoinette s'imaginait-elle que la France désirait ce changement. Mais pour venger M. de Guines, elle montra une âpreté bien étrangère à sa générosité habituelle. Elle aurait voulu que Turgot fût envoyé à la Bastille le jour même où, par elle, M. de Guines était nommé duc! Voilà ce qu'écrit avec douleur à l'impératrice Marie-Thérèse, l'ambassadeur d'Autriche, le comte de Mercy-Argenteau. Lui-même le constate: la jeune reine n'aime pas M. de Guines; mais elle soutient en lui l'ami de M. de Choiseul[441]. [Note 441: Le comte de Mercy à Marie-Thérèse, 16 mai 1776, etc. D'Arneth et Geffroy, _recueil cité_. Voir aussi l'introduction.] Le 11 mai 1776, Marie-Antoinette écrivait à sa mère: «M. de Malesherbes a quitté le ministère avant-hier... M. Turgot a été renvoyé ce même jour... J'avoue à ma chère maman que je ne suis pas fâchée de ces départs, mais je ne m'en suis pas mêlée[442].» La reine ignorait que Marie-Thérèse savait à quoi s'en tenir sur la sincérité de cet aveu; mais la jeune femme mentait comme une écolière qui a peur d'être grondée. Elle se souvenait des reproches que sa mère lui avait faits au sujet de ses premières imprudences politiques. L'empereur Joseph II, tendrement attaché à sa soeur Marie-Antoinette, lui avait écrit alors une lettre si dure que Marie-Thérèse crut devoir en empêcher l'envoi. [Note 442: Marie-Antoinette à Marie-Thérèse, 15 mai 1776. D'Arneth et Geffroy, _recueil cité_.] Dans son français germanique, Joseph II avait adressé à la reine des avertissements tels que ceux-ci: «De quoi vous mêlez-vous, ma chère soeur, de déplacer les ministres, d'en faire envoyer un autre sur ses terres, de faire donner tel département à celui-ci ou à celui-là, de faire gagner un procès à l'un, de créer une nouvelle charge dispendieuse à votre cour, enfin de parler d'affaires, de vous servir même de termes très peu convenables à votre situation? Vous êtes-vous demandé une fois, par quel droit vous vous mêlez des affaires du gouvernement et de la monarchie française? Quelles études avez-vous faites? Quelles connaissances avez-vous acquises, pour oser imaginer que votre avis ou opinion doit être bonne à quelque chose, surtout dans des affaires qui exigent des connaissances aussi étendues? Vous, aimable jeune personne, qui ne pensez qu'à la frivolité, qu'à votre toilette, qu'à vos amusements toute la journée, et qui ne lisez pas, ni entendez parler raison un quart d'heure par mois, et ne réfléchissez, ni ne méditez, j'en suis sûr, jamais, ni combinez les conséquences des choses que vous faites ou que vous dites? L'impression du moment seule vous fait agir, et l'impulsion, les paroles mêmes et arguments, que des gens que vous protégez, vous communiquent, et auxquels vous croyez, sont vos seuls guides[443].» [Note 443: Joseph II an Marie-Antoinette, juillet 1775. _Marie Antoinette, Joseph II und Leopold II. Ihr Briefwechsel_ herausgegeben von Alfred Ritter von Arneth. Leipzig, 1866.] Mais Marie-Thérèse et Joseph II étaient loin de vouloir que la reine n'eût aucune action politique. Ils voulaient seulement qu'elle prît au sérieux cette influence et la fît servir non à ces «petites passions» comme les appelait le comte de Mercy, mais à des choses utiles. Ils n'oubliaient pas ici leurs intérêts, et l'alliance autrichienne est surtout ce qu'ils recommandent aux soins de Marie-Antoinette. C'est pour que cette alliance ne soit pas compromise après le partage de la Pologne, que Marie-Thérèse, abaissant sa dignité maternelle, avait naguère reproché à la dauphine de France d'afficher pour Mme du Barry le mépris que «la créature» lui inspirait. Froissée dans les plus fières délicatesses de son âme, la jeune archiduchesse résistait à sa mère: «Vous pouvez être assurée, lui écrivait-elle, que je n'ai pas besoin d'être conduite par personne pour ce qui est de l'honnêteté[444].» Pour obtenir de la pure jeune femme une parole banale que celle-ci adresse enfin à Mme du Barry, il faut que sa mère l'adjure de sauver l'alliance entre son pays natal et son futur royaume. [Note 444: Marie-Antoinette à Marie-Thérèse, 13 octobre 1774. D'Arneth et Geffroy, _recueil cité_.] En 1778 éclate l'affaire de la succession de Bavière. Après que Joseph II a illégalement envahi ce pays, la famille de Marie-Antoinette la supplie d'obtenir que la France intervienne en faveur de l'Autriche. La reine est alors, on le sait, toute-puissante sur Louis XVI. A l'empire qu'elle exerce sur lui et qui a succédé à la froideur avec laquelle il la traitait naguère, se joint le tendre intérêt qu'inspire l'espoir de sa première maternité. En lisant les appels émouvants que lui adressent cette mère qui, dit-elle, mourra de chagrin si l'alliance est rompue; ce frère tant aimé qui, en lui reprochant de ne pas l'aider, lui déclare que du moins elle n'aura pas à rougir de lui dans les prochains combats, la jeune femme se trouble. Sa pâleur, ses larmes, trahissent son angoisse. La vue de sa douleur déchire le coeur de Louis XVI; il pleure avec elle, mais c'est avec ses ministres qu'il agit, et le devoir du roi l'emporte sur la tendresse de l'époux[445]. Ce devoir et cette tendresse se concilient du jour où la France, investie du beau rôle de médiatrice, termine le conflit. [Note 445: Voir dans le recueil de MM. d'Arneth et Geffroy, les lettres de l'année 1778.] Plus tard, lorsque Joseph II voulait que la Hollande lui livrât la libre navigation de l'Escaut, la reine intervint avec une persévérante énergie pour que la France soutînt son frère[446]. Par son traité avec l'Autriche, la France s'était engagée à fournir à son alliée, en cas de juste guerre, une somme de quinze millions, ou bien une armée de vingt-quatre mille hommes. 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