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La reine demandait que ce dernier mode de secours fût
adopté. «Je ne pus l'obtenir, dit-elle à Mme Campan, et M. de Vergennes,
dans un entretien qu'il eut avec moi à ce sujet, mit fin à mes instances
en me disant qu'il répondait à la mère du dauphin et non à la soeur de
l'empereur[447].»

[Note 446: Voir dans le recueil de M. d'Arneth, _Marie Antoinette,
Joseph II und Leopold II_, les lettres échangées en 1784 et 1785.]

[Note 447: Mme Campan, _Mémoires_.]

Les quinze millions dont l'Autriche n'avait pas besoin, furent expédiés
à Vienne d'une manière qui fit croire au peuple que la reine vidait pour
sa famille les coffres de l'État! C'est par de tels faits que la reine
voyait se propager dans les classes populaires l'injurieux surnom qu'à
son arrivée en France on lui avait donné en haut lieu: _l'Autrichienne_.
Et cependant la critique impartiale l'a constaté: les sentiments
domestiques de la reine ne furent pas ici nuisibles à la France. Devant
la puissance grandissante et menaçante de la Prusse, le moment était
venu d'abandonner la vieille politique antiautrichienne. Qui donc
aujourd'hui oserait dire le contraire?

En agissant comme fille, comme soeur, et sagement contenue d'ailleurs en
cette circonstance par le gouvernement de Louis XVI, la reine n'avait
donc pas exercé une influence répréhensible. Il n'en fut pas de même
lorsque d'autres sentiments la jetèrent dans les luttes politiques.

Pendant les années où son mari ne lui avait témoigné que de
l'indifférence, la jeune femme avait reporté sur l'amitié le besoin de
tendresse qui était refoulé dans son coeur. Elle s'était créé, en dehors
de son cercle officiel, un cercle intime qu'elle se plaisait à retrouver
au Petit-Trianon. Dans cette délicieuse résidence, elle échappait aux
rigoureux détails d'une étiquette que lui rendait si odieuse l'éducation
patriarcale qu'elle avait reçue à Vienne. Rousseau avait mis à la mode
le goût des bergeries. Au milieu des élégantes rusticités d'une nature
artificielle, la reine de France est ravie d'échanger le sceptre contre
la houlette.

Marie-Antoinette a fui le tracas des affaires; elle a cherché dans une
paisible retraite les joies si pures de l'amitié. Elle a cru trouver
là non des courtisans, mais des amis. Et c'est par ce volontaire
dépouillement de sa grandeur, c'est par ce besoin d'une douce intimité
et d'une affection désintéressée, qu'elle se voit entraînée dans
le conflit des ambitions de cour. L'amitié si tendre qui unit
Marie-Antoinette à Mme de Polignac, devient un instrument de domination
pour la coterie qui entoure la favorite et que la reine rencontre
journellement chez son amie. Sous cette influence, Marie-Antoinette
nomme les ministres. Si certains choix sont bons, tels que ceux de M. de
Ségur et de M. de Castries, que dire des motifs qui décident la reine à
faire désigner M. d'Adhémar pour l'ambassade de Londres: il ennuie la
reine, c'est là son titre à ce brillant éloignement de Versailles[448].
On arrache à Marie-Antoinette, malgré ses répugnances, la nomination
de Calonne; et bien qu'elle n'encourage pas les dilapidations de ce
ministre, bien qu'elle le fasse même renvoyer, on la rend responsable de
l'état où il a mis les finances. _Madame Déficit_, tel est le nom cruel
dont la baptisent les Halles. Un jour viendra où Marie-Antoinette
dira «que si les reines s'ennuient dans leur intérieur, elles se
compromettent chez les autres[449].»

[Note 448: Mme Campan, _Mémoires_.]

[Note 449: Id., _id_.]

C'est encore à une amitié qu'elle cède quand, à la prière de son
précepteur, l'abbé de Vermond, elle fait donner pour successeur à
Calonne l'inepte Brienne. C'est en 1787. Date funeste pour le repos de
Marie-Antoinette! Par la faiblesse du roi, par le peu de confiance
que le nouveau ministre inspire à Louis XVI, la reine est obligée
d'intervenir directement dans la conduite des affaires. Jusque-là son
influence réelle s'est bornée au choix plus ou moins heureux de quelques
personnages officiels. Maintenant c'est à la direction même de la
politique que la condamnent son dévouement d'épouse et aussi sa
prévoyance de mère.

«Elle s'affligeait souvent de sa position nouvelle, et la regardait
comme un malheur qu'elle n'avait pu éviter, dit Mme Campan. Un jour que
je l'aidais à serrer des mémoires et des rapports que des ministres
l'avaient chargée de remettre au roi: «_Ah!_ dit-elle en soupirant, _il
n'y a plus de bonheur pour moi depuis qu'ils m'ont faite intrigante._»
Je me récriai sur ce mot. «Oui, reprit la reine, c'est bien le
mot propre; toute femme qui se mêle d'affaires au-dessus de ses
connaissances, et hors des bornes de son devoir, n'est qu'une
_intrigante_; vous vous souviendrez au moins que je ne me gâte pas, et
que c'est avec regret que je me donne moi-même un pareil titre; les
reines de France ne sont heureuses qu'en ne se mêlant de rien, et en
conservant un crédit suffisant pour faire la fortune de leurs amis et le
sort de quelques serviteurs zélés.» Hélas! la reine ne se rendait pas
compte que c'était justement son désir de «faire la fortune» de ses
amis, qui l'avait fatalement entraînée aux affaires, et que les faveurs
inouïes dont elle les avait comblés, avait contribué à son impopularité!
Mais poursuivons le récit de Mme Campan.

«Savez-vous,» ajouta cette excellente princesse, que sa conduite
plaçait, malgré elle, en contradiction avec ses principes, «savez-vous
ce qui m'est arrivé dernièrement? Depuis que je vais à des comités
particuliers chez le roi, j'ai entendu, pendant que je traversais
l'Oeil-de-boeuf, un des musiciens de la chapelle dire assez haut pour
que je n'en aie pas perdu une seule parole: _Une reine qui fait son
devoir reste dans ses appartements à faire du filet_.

«J'ai dit en moi-même: _Malheureux, tu as raison; mais tu ne connais pas
ma position: je cède à la nécessité et à ma mauvaise destinée_.»

La voici donc, cette pauvre reine, en proie à là fatalité qui pèse sur
elle. Avec son inexpérience, comment pourrait-elle guider la royauté
dans la crise la plus effroyable que la France ait traversée? Est-ce une
main novice qui peut saisir le gouvernail à l'heure où la tempête va
faire sombrer le navire?

Marie-Antoinette a les vertus morales, le courage héroïque, la
générosité, le dévouement, la grandeur enfin. Près d'un roi qui aurait
eu un caractère plus ferme que Louis XVI, elle n'aurait eu à déployer
que ces qualités, qui se résument en celle-ci: la magnanimité. Mais
obligée de vouloir pour le roi, de décider pour lui, la reine n'a pas
été préparée à ce nouveau rôle, et ceux qui prétendent la guider ne le
font que d'après leurs intérêts personnels. En prenant ouvertement le
pouvoir, Marie-Antoinette en assume les terribles responsabilités, et
augmente la somme de haines qui s'amasse contre elle.

Quand il faut «accorder au désespoir de la nation entière[450]» la
disgrâce de Brienne, Marie-Antoinette montre, cette fois encore,
l'imprudente générosité de son coeur. Elle donne de hautes marques
de son estime au ministre qu'a justement fait tomber l'indignation
publique.

[Note 450: Mme Campan, _Mémoires_.]

Autrefois elle a été tour à tour favorable et hostile à Necker.
Maintenant c'est elle qui le prie d'accepter le pouvoir. A ce moment
elle semble disposée aux réformes que le roi peut accorder sans abaisser
la dignité royale. Nous la voyons accueillir le projet d'une
double représentation du Tiers-État. Plus tard, lorsque la crise
révolutionnaire aura éclaté, la reine semblera accepter le concours de
Mirabeau; elle écoutera avec sympathie les conseils de Barnave, et elle
paraîtra croire que l'essai loyal de la Constitution est la suprême
ressource de la monarchie; mais ne nous y méprenons pas! La reine alors
n'est plus libre, elle est obligée de cacher sa véritable pensée. Ce
n'est qu'en frémissant qu'elle supporte le joug et avec le secret espoir
de le voir briser. Combien sa fière et loyale nature souffre de cette
dissimulation que lui impose la nécessité: toujours l'implacable
nécessité! Avec quelle confusion elle est obligée de démentir par un
billet chiffré la lettre que Barnave lui a fait écrire à Léopold II pour
lui proposer de reconnaître la Constitution[451]!

[Note 451: Marie Antoinette an den Grafen Mercy, 29 et 31 juillet
1791; an Leopold II, 30 juillet 1791, etc. D'Arneth, _Marie Antoinette
Joseph II und Leopold II. Ihr Briefwechsel_.]

La liberté, elle la veut, mais dans une sage mesure; elle la veut, mais
telle que le roi a toujours désiré la donner, non telle que l'a imposée
sous de hideuses conditions une populace qui se dit le peuple. La reine
dit qu'il faut «bien épier le moment» ou la France semblera disposée à
recevoir de son roi cette liberté. Même après de sanglantes journées
révolutionnaires, elle croit que le peuple n'est qu'égaré, et qu'en lui
témoignant de la confiance, on le ramènera[452]. Vaine illusion!

[Note 452: Marie Antoinette an Leopold II, 29 mai et 7 novembre 1790.
_Id_.]

Deux solutions étaient désormais en présence.

Devant l'intrépide courage de Marie-Antoinette, Mirabeau, frappé
d'admiration, avait dit: «Le roi n'a qu'un homme, c'est sa femme. Il n'y
a de sûreté pour elle que dans le rétablissement de l'autorité royale.
J'aime à croire qu'elle ne voudrait pas de la vie sans sa couronne; mais
ce dont je suis bien sûr, c'est qu'elle ne conservera pas sa vie si elle
ne conserve pas sa couronne.

«Le moment viendra, et bientôt, où il lui faudra essayer ce que peuvent
une femme et un enfant à cheval; c'est pour elle une méthode de
famille[453].» Cette fière attitude était bien celle qui convenait à la
digne fille de Marie-Thérèse; mais, ce que Mirabeau proposait, c'était
l'appel à une guerre civile devenue d'ailleurs inévitable. La reine
de France recula devant l'horreur d'une lutte fratricide. C'est
alors qu'elle tenta ce qu'on lui a si amèrement reproché: l'appel à
l'intervention étrangère.

[Note 453: Seconde note du comte de Mirabeau pour la cour, 20 juin
1790. _Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la
Marck_, publiée par M. de Bacourt.]

Lorsque la famille royale se préparait à fuir, la reine avait écrit à
l'empereur Léopold, son frère: «Nous devons aller à Montmédy.



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