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de Bacourt.] Lorsque la famille royale se préparait à fuir, la reine avait écrit à l'empereur Léopold, son frère: «Nous devons aller à Montmédy. M. de Bouille s'est chargé des munitions et des troupes à faire arriver en ce lieu, mais il désire vivement que vous ordonniez un corps de troupes de huit à dix mille hommes à Luxembourg, disponible à notre réclamation (bien entendu que ce ne sera que quand nous serons en sûreté) pour entrer ici, tant pour servir d'exemple à nos troupes, que pour les contenir[454].» [Note 454: Marie Antoinette an Leopold II, 22 mai 1791. D'Arneth, _recueil cité_.] L'entrée de troupes étrangères en France pendant que la famille royale y était, exposait celle-ci aux terribles représailles de la Révolution. C'est pourquoi la reine ne voulait pas que cette éventualité se produisît avant que son mari et ses enfants fussent à l'abri. C'est pourquoi aussi elle blâmait énergiquement le parti de l'émigration. C'est pourquoi encore, après son retour de Varennes, elle ne demandait plus, comme Barnave, que ce congres armé qui permît «aux hommes modérés, aux partisans de l'ordre, aux propriétaires, de relever la tête et de se rallier contre l'anarchie autour du trône et des lois,» dit M. Taine en démontrant que ce ne fut pas la royauté, mais l'Assemblée législative qui appela sur la France la coalition des rois. Une fois la guerre déclarée par l'Assemblée, la reine, il est vrai, seconda activement l'intervention étrangère, et je voudrais pouvoir effacer de sa vie ce billet chiffré par lequel elle fit connaître à l'ambassadeur d'Autriche la marche des armées françaises[455]. Mais comment oserait-on lui faire un crime de ce qui ne fut qu'un aveuglement trop légitime, hélas! [Note 455: Marie Antoinette an den Grafen Mercy, 26 mars 1792. Ganz in Chiffern; die Auflôsung von Mercy's Hand liegt bei. D'Arneth, _recueil cité_.] Marie-Antoinette est femme, elle est épouse et mère, elle est chrétienne, elle est fille des empereurs d'Allemagne et femme du roi de France, et, dans toutes ces situations, elle est cruellement atteinte. Femme, elle subit d'indignes outrages. Elle ne peut paraître à sa fenêtre sans risquer de recevoir d'immondes injures. Depuis la fuite de Varennes, elle est surveillée même pendant la nuit, et il faut que sa chambre à coucher reste ouverte pour que, de la pièce précédente, l'officier de garde puisse observer ce qui se passe chez elle. Odieuse inquisition qui révolte toutes les délicatesses de sa pudeur! Épouse, elle voit abaisser son mari, elle voit couler les larmes que lui arrache cette humiliation; mère, elle tremble pour la vie du roi, pour la vie de ses enfants. Pour la sienne, peu lui importerait! Chrétienne, elle voit persécuter l'Eglise. Fille des Césars, elle sent ruisseler dans ses veines un sang que l'outrage fait bouillonner et qui la rend impatiente du frein. Reine, elle sait que la vraie France n'est pas avec la Révolution sanglante; elle a entendu, en pleurant, ces voix qui sont montées jusqu'à ses fenêtres: «Ayez du courage, Madame, les bons Français souffrent pour vous et avec vous[456],» et elle a voulu sauver la partie saine de la nation. [Note 456: Mme Campan, _Mémoires_.] N'oublions pas non plus que c'était de son frère que Marie-Antoinette attendait le secours qui, suivant elle, devait sauver sa famille et la France, et, redisons avec M. Cuvillier-Fleury: «Le patriotisme l'accusait; la démagogie l'a condamnée; l'humanité l'absout[457].» [Note 457: Cuvillier-Fleury, _Études et portraits_. Première série. _Marie-Antoinette.] Et d'ailleurs, même dans cette guerre où ses voeux semblaient être avec l'étranger, comme son coeur restait français! «Oui, dit Mme Campan, non seulement Marie-Antoinette aimait la France, mais peu de femmes eurent plus qu'elle ce sentiment de fierté que doit inspirer la valeur des Français. J'aurais pu en recueillir un grand nombre de preuves; je puis du moins citer, deux traits qui peignent le plus noble enthousiasme national. La reine me racontait qu'à l'époque du couronnement de l'empereur François II ce prince, en faisant admirer la belle tenue de ses troupes à un officier général français, alors émigré, lui dit: _Voilà de quoi bien battre vos sans-culottes!--C'est ce qu'il faudra voir, Sire_, lui répondit à l'instant l'officier. La reine ajouta: «Je ne sais pas le nom de ce brave Français, mais je m'en informerai; le roi ne doit pas l'ignorer.» En lisant les papiers publics, peu de jours avant le 10 août, elle y vit citer le courage d'un jeune homme qui était mort en défendant le drapeau qu'il portait, et en criant: _Vive la nation!_ «Ah! le brave enfant! dit la reine; quel bonheur pour nous si de pareils hommes eussent toujours crié _vive le roi!_» Aussi que de déchirements dans ce noble coeur quand on l'accusait de ne pas aimer la France! «Deux fois, dit Mme Campan, je l'ai vue prête à sortir de son appartement des Tuileries pour se rendre dans les jardins et parler à cette foule immense qui ne cessait de s'y rassembler pour l'outrager: «Oui, s'écriait-elle en marchant à pas précipités dans sa chambre, je leur dirai: Français, on a eu la cruauté de vous persuader que je n'aimais pas la France! moi! mère d'un dauphin qui doit régner sur ce beau pays! moi! que la Providence a placée sur le trône le plus puissant de l'Europe! Ne suis je pas de toutes les filles de Marie-Thérèse celle que le sort a le plus favorisée? Et ne devais-je pas sentir tous ces avantages? Que trouverais-je à Vienne? Des tombeaux! Que perdrais-je en France? Tout ce qui peut flatter la gloire et la sensibilité[458].» [Note 458: Mme Campan, _Mémoires_.] La crainte de soulever une émeute arrêtait de tels élans, qui témoignent que si la reine se trompait dans ses vues politiques, c'était du moins de bonne foi qu'elle errait. Le malheur de Marie-Antoinette, comme celui de bien des femmes qui ont exercé le pouvoir, est de s'être trop laissé gouverner par ses impressions et de n'avoir pas suffisamment distingué de l'intérêt de l'État l'intérèt de sa famille. L'instinct du coeur trompe souvent dans les matières politiques qui exigent une profonde connaissance des hommes et des choses; mais, du moins, cet instinct ne déçut jamais la reine quand il la porta à ces actes de courage moral dont la femme est peut-être plus capable que l'homme aux heures de suprême péril. Par sa fière attitude devant l'émeute sanglante et menaçante, la reine arrache des cris d'admiration à ses insulteurs même. Voyons-la à Versailles dans les journées d'octobre 1789. Dès le 5, une horde de femmes a été le sinistre avant-coureur de l'armée parisienne. Ce qu'elles sont venues demander, ces femmes, ce sont les «boyaux» de la reine pour en faire des «cocardes.» Comme de hideuses sorcières, elles veulent «les foies» de la reine pour les «fricasser.» Marie-Antoinette n'a pas peur: «J'ai appris de ma mère à ne pas craindre la mort, et je l'attendrai avec fermeté,» dit-elle. L'émeute est venue chercher la reine jusque dans son palais. Marie-Antoinette a dû se jeter hors de son lit pour échapper au couteau des assassins. La reine, la reine, c'est elle que, dans la journée du 6, le peuple mande au balcon du palais. Elle s'y montre, protégée par ses deux enfants. «Point d'enfants!» crie la foule. Alors, repoussant ses enfants, la fille des Césars, la reine s'avance. Elle croise ses mains sur sa poitrine et attend le martyre. Et les voix délirantes qui demandaient sa mort, s'unissent dans ce cri enthousiaste: «Vive la reine!» Elle aurait voulu faire passer dans l'âme de tous ceux qui l'entouraient la fière énergie qui la soutenait. Devant les défaillances des uns, le mauvais vouloir des autres, elle écrivait en 1791: «Je vous assure qu'il faut bien plus de courage à supporter mon état que si on se trouvait au milieu d'un combat... Mon Dieu, est-il possible que, née avec du caractère, et sentant si bien le sang qui coule dans mes veines, je sois destinée à passer mes jours dans un tel siècle et avec de tels hommes? Mais ne croyez pas pour cela que mon courage m'abandonne; non pour moi, pour mon enfant je me soutiendrai, et je remplirai jusqu'au bout ma longue et pénible carrière. Je ne vois plus ce que j'écris. Adieu[459].» [Note 459: Marie-Antoinette an den Grafen Mercy, 12 septembre 1791. D'Arneth, _ouvrage cité_.] Ce superbe courage n'aura jamais de défaillance. Marie-Antoinette ne quittera jamais auprès de son mari, auprès de ses enfants, le poste du danger. Mourir avec eux ou pour eux, c'est là désormais son voeu. Le 20 juin la verra impassible sous les infâmes outrages et les épouvantables menaces de ces hordes qui, défilant devant elle, lui présentent des verges, une guillotine, une potence. Elle arrache des larmes à la mégère qui lui a jeté à la face d'horribles imprécations et qu'elle subjugue par l'incomparable majesté de sa douce et maternelle parole[460]. Par la généreuse confiance qu'elle témoigne aux gardes nationaux, elle les émeut, et l'un d'eux lui saisit la main et y appuie ses lèvres avec respect. «Peu s'en fallut que la multitude n'applaudît[461].» [Note 460: Mme Campan, _Mémoires_.] [Note 461: Comte de Falloux, _Louis XVI_.] Au 10 août, même intrépidité. C'est la reine qui, foudroyant Pétion sous son regard, le contraint de signer l'ordre de combattre par la force l'émeute qu'il a contribué à préparer. C'est elle qui fait passer au roi la revue des troupes, et s'il avait eu le secret de ces paroles qui changent le coeur d'une multitude, peut-être la royauté et la France étaient-elles sauvées. Maintenant tout est fini. La reine qui, plutôt que de quitter les Tuileries, voulait se faire clouer aux murs du palais, la reine a été contrainte de suivre son mari aux Feuillants. Louis XVI est suspendu de ses fonctions royales, sa famille est prisonnière. «Nous sommes perdus, dit-elle; nous voilà arrivés où l'on nous a menés depuis trois ans par tous les outrages possibles; nous succomberons dans cette horrible révolution; bien d'autres périront avec nous. Tout le monde a contribué à notre perte; les novateurs comme des fous, d'autres comme des ambitieux pour servir leur fortune; car le plus forcené des jacobins voulait de l'or et des places, et la foule attend le pillage. Il n'y a pas un patriote dans toute cette infâme horde; le parti des émigrés avait ses brigues et ses projets; les étrangers voulaient profiter des dissensions de la France: tout le monde a sa part dans nos malheurs.» Et comme le dauphin entrait avec sa soeur: «Pauvres enfants! dit la reine, qu'il est cruel de ne pas leur transmettre un si bel héritage, et de dire: Il finit avec nous[462].» [Note 462: Mme Campan, Mémoires.] La vie de la reine est terminée. 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