Total read books on site: You can read its for free! |
Dans la prison du Temple Marie-Antoinette n'a plus que la majesté du malheur. Mais l'épouse a toujours son tendre dévouement, la mère exerce toujours cette mission dont elle a constamment pratiqué les grands devoirs. Ici elle n'appartient plus à l'histoire. Elle ne paraîtra plus dans la vie publique que pour monter aux dernières stations de son chemin de croix. Alors elle aura enduré tout ce qu'une créature humaine peut supporter de douleur. Du jour où la tête de son amie, la princesse de Lamballe, lui a été présentée au bout d'une pique, jusqu'à cette déchirante soirée où le roi s'est arraché de ses bras, à la veille de monter sur l'échafaud, il semblait que la coupe d'amertume eût été vidée par elle jusqu'au fond. Non, il y avait encore une lie que pouvait seule y déposer la main criminelle d'un démon: il fallait que la reine, cette «grande mère[463],» s'entendît publiquement accuser d'avoir corrompu l'innocence de son fils; il fallait que l'on eût arraché à ce pauvre enfant, après l'avoir abruti, l'accusation qui faisait jaillir du coeur de la reine ce mot sublime: «Si je n'ai pas répondu, c'est que la nature se refuse à répondre à une pareille question faite à une mère. J'en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici.» Remuées jusqu'au fond des entrailles, les mégères elles-mêmes frémissaient. [Note 463: C'est ainsi que la nomme M. de Lescure.] Sous la poignante étreinte de toutes les tortures physiques et de tous les supplices du coeur, Marie-Antoinette garde l'amour de ce pays où elle les souffre. Elle fait des voeux pour le bonheur de la France, fût-ce au détriment du bonheur de son fils. Elle n'a pour ses bourreaux que des paroles de miséricorde, et dans l'admirable lettre qu'elle écrit à Madame Élisabeth avant de monter sur l'échafaud, elle exhorte son fils à ne pas venger sa mort. C'est bien la femme magnanime qui avait dit au lendemain du 6 octobre: «J'ai tout vu, tout su, tout oublié.» Lorsque, au milieu d'une foule vociférante qui ne sait même pas respecter la majesté de la mort, la reine gravit les degrés de L'échafaud avec la même dignité souveraine qu'elle montait naguère les marches du trône, elle a depuis longtemps secoué la poussière des luttes politiques. Il n'y a plus en elle qu'une martyre qui atteint enfin le sommet du Calvaire. «Il était nécessaire qu'un homme mourût pour le salut de tous,» avait écrit Marie-Antoinette sur l'immortel plaidoyer que M. de Sèze avait fait pour le roi. A elle aussi pouvait s'appliquer cette parole, à elle et à toutes les grandes victimes qui surent, avec elle, faire à Dieu le sacrifice de leur vie. Si, aux yeux de la miséricorde divine, la France de 1793 put être rachetée, c'est par tout le sang innocent qui, répandu alors, criait non pas vengeance contre les bourreaux, mais miséricorde pour eux. Les femmes eurent leur large part dans cette rédemption nationale. Et, en même temps qu'elles expiaient par leur martyre le crime des uns, la lâcheté des autres, que de sublimes exemples de dévouement et de courage elles donnaient à leur époque! C'est Madame Elisabeth demeurant volontairement au poste du péril pour mourir avec sa famille, Madame Elisabeth ne voulant pas qu'on détrompe les assassins qui la prennent pour la reine, et, à l'heure du supplice, ne connaissant d'autre crainte que celle que lui dicte une céleste chasteté; ce sont ces filles, ces épouses, bravant le trépas pour sauver un père, une mère; un mari; prenant la place d'un être aimé ou mourant avec lui; c'est Mlle de Sombreuil acceptant, pour sauver la vie de son père, le verre de sang qu'on lui présente[464]; c'est Mlle Cazotte fléchissant les septembriseurs en faveur de son père, mais ne réussissant qu'une fois à l'arracher à la mort; c'est la princesse de Lamballe accourant de l'étranger pour partager le péril de la reine et lâchement assassinée; c'est cette humble femme de chambre répondant à l'appel du nom de sa maîtresse pour être jetée dans la Loire; c'est Mme Bouquet recueillant cinq proscrits, partageant avec eux sa ration pendant un mois de famine, et montant avec eux sur l'échafaud; ce sont ces chrétiennes qui, au prix de leur vie, abritent Notre-Seigneur dans le prêtre proscrit; ce sont ces Carmélites de Compiègne allant au supplice en chantant le _Veni Creator_ et le _Te Deum_, se disputant la première place sous le couperet de la guillotine, tandis que leur supérieure veut mourir la dernière pour soutenir le courage de ses filles. Rendons hommage encore à Mme de Staël dont la plume éloquente défend Marie-Antoinette; à Mme Tallien qui soustrait des victimes à la hache du bourreau; enfin, à ces quinze à seize cents femmes qui présentent à la Convention une pétition pour demander la grâce des prisonniers. Admirons encore dans leur patriotisme ces femmes et ces filles d'artistes qui, devant la pénurie du Trésor, offrent à l'Assemblée constituante leurs bijoux pour contribuer à payer la dette publique; ces femmes de Lille qui aident à repousser l'envahisseur; cette mère Spartiate qui, à Saint-Mithier, entourée de ses enfants, s'assoit dans sa boutique sur un baril de poudre, et, un pistolet à chaque main, menace de faire sauter sa demeure si l'ennemi y pénètre; ces émules de Jeanne Hachette, ces engagées volontaires qui se battent auprès d'un père, d'un frère, d'un mari; ces héroïques enfants de l'Alsace, Mlles Fernig, âgées l'une de treize ans, l'autre de seize, et qui, voyant leur père courir sus aux Autrichiens, se jettent dans la mêlée, combattent à Valmy, à Nerwinde, à Jemmapes, sous Dumouriez qui, pour se servir de l'ascendant magnétique qu'elles exercent sur leurs compatriotes, leur a donné des commissions d'officiers d'état-major, et qui les voit attacher leurs noms à des faits de guerre dignes d'illustrer _de vieux guerriers_[465]. [Note 464: M. de Pontmartin, qui a connu l'héroïne, croit qu'au moment où Mlle de Sombreuil allait boire le verre de sang, les bourreaux, «saisis d'un mouvement d'horreur ou de pitié.... le répandirent à ses pieds.» _Mes Mémoires._ Enfance et jeunesse, 1882.] [Note 465: Lairtullier, _les Femmes célèbres de_ 1789 à 1795.] C'est dans ces généreux élans de courage, de dévouement et de patriotisme, que nous aimons à suivre les femmes; mais faut-il étudier leur rôle politique dans les annales révolutionnaires, nous y trouverons une nouvelle preuve des illusions et de l'impressionnabilité qu'elles apportent dans les affaires publiques. Mme Roland nous dira bien que Plutarque l'a disposée à devenir républicaine. Mais eût-il suffi à ce résultat si d'autres influences n'y avaient aidé? Cette noble dame qui appelle _mademoiselle_ la vénérée grand'mère de Mme Roland, cette financière qui invite la famille de la jeune philosophe pour la faire manger à l'office, n'ont-elles pas soulevé cette fière nature contre un ordre social qui permettait de telles distinctions de rang? Lorsque la jeune fille va à Versailles, et qu'elle y endure d'autres humiliations, que répond-elle à sa mère qui lui demande si elle est contente de son voyage: «Oui, pourvu qu'il finisse bientôt; encore quelques jours, et je détesterai si fort les gens que je vois, que je ne saurai que faire de ma haine.--Quel mal te font-ils donc?--Sentir l'injustice et contempler à tout moment l'absurdité[466].» [Note 466: Mme Roland, _Mémoires_, édition de M. P. Faugère. _Mémoires particuliers_.] Si Mme Roland était née dans les classes privilégiées qui lui inspiraient de telles rancunes, il est probable qu'elle s'en serait tenue au libéralisme des grandes dames du XVIIIe siècle, ou qu'elle aurait apporté dans ses opinions politiques la mobilité qui distingua ses croyances religieuses ou philosophiques. N'avait-elle point, disait-elle, passé par le jansénisme, le cartésianisme, le stoïcisme, pour arriver au patriotisme? N'y avait-il pas eu dans son ardente jeunesse un moment où elle avait rêvé le martyre religieux avec le même enthousiasme qu'elle souffrit plus tard le martyre politique? Mais dans la vie de Mme Roland, tout se réunissait pour rendre cette femme plus fidèle à ses opinions politiques qu'à ses croyances religieuses. Dans le rôle que joue son mari, elle voit le moyen d'établir cette république idéale dont l'illusion a caressé sa jeunesse. Disons ici à son honneur que, malgré la prétention théâtrale avec laquelle elle se montre dans ses _Mémoires_, elle a grand soin de nous avertir qu'elle n'est jamais sortie de ses attributions de femme, qu'elle n'a jamais pris une part active aux discussions politiques qui avaient lieu chez son mari, mais que, dans l'attitude modeste qui convient à son sexe, elle se bornait à écouter. «Ah, mon Dieu! s'écrie-t-elle, qu'ils m'ont rendu un mauvais service ceux qui se sont avisés de lever le voile sous lequel j'aimais à demeurer! Durant douze années de ma vie, j'ai travaillé avec mon mari, comme j'y mangeais, parce que l'un m'était aussi naturel que l'autre[467].» Elle reconnaît donc qu'elle a été pour Roland un secrétaire, mais un secrétaire intelligent dont elle avoue elle-même la collaboration. Nous savons que ce n'est pas sa main seulement qui a écrit la lettre, plus éloquente que généreuse et juste, que Roland adressa à Louis XVI et qui le fit sortir de ce cabinet où le 10 août devait le faire rentrer. Dans diverses dépêches officielles de Roland se retrouvent la plume et l'esprit de sa femme. Et, en effet, pour le malheur des Girondins, Mme Roland fut bien réellement l'inspiratrice de ce parti qui, avec son esprit d'utopie, crut pouvoir se servir des Jacobins pour faire le 10 août contre la royauté, vota pour la mort de Louis XVI et, entre ces deux actes, désavoua avec indignation les massacres de septembre: étrange illusion que de s'étonner du carnage quand on a lâché la bête féroce! Ceux qui la déchaînent en sont eux-mêmes les victimes: Mme Roland et les Girondins l'éprouvèrent. [Note 467: Mme Roland, _l. c._] Dès le moment de son arrestation, Mme Roland reconnaît les illusions de sa vie politique. Elle dit aux commissaires qui la conduisent à l'Abbaye: «Je gémis pour mon pays, je regrette les erreurs d'après lesquelles je l'ai cru propre à la liberté, au bonheur...» Dans sa captivité, apprend-elle l'arrestation des Girondins: «Mon pays est perdu!...» s'écrie-t-elle. Pages: | Prev | | 1 | | 2 | | 3 | | 4 | | 5 | | 6 | | 7 | | 8 | | 9 | | 10 | | 11 | | 12 | | 13 | | 14 | | 15 | | 16 | | 17 | | 18 | | 19 | | 20 | | 21 | | 22 | | 23 | | 24 | | 25 | | 26 | | 27 | | 28 | | 29 | | 30 | | 31 | | 32 | | 33 | | 34 | | 35 | | 36 | | 37 | | 38 | | 39 | | 40 | | 41 | | 42 | | 43 | | 44 | | 45 | | 46 | | 47 | | 48 | | 49 | | 50 | | 51 | | 52 | | 53 | | 54 | | 55 | | 56 | | 57 | | 58 | | 59 | | 60 | | 61 | | 62 | | 63 | | 64 | | 65 | | 66 | | 67 | | 68 | | 69 | | 70 | | 71 | | 72 | | 73 | | 74 | | 75 | | 76 | | 77 | | Next | |
Your last read book: You dont read books at this site. |