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Ceux qui la déchaînent en sont eux-mêmes les victimes: Mme Roland et les Girondins l'éprouvèrent. [Note 467: Mme Roland, _l. c._] Dès le moment de son arrestation, Mme Roland reconnaît les illusions de sa vie politique. Elle dit aux commissaires qui la conduisent à l'Abbaye: «Je gémis pour mon pays, je regrette les erreurs d'après lesquelles je l'ai cru propre à la liberté, au bonheur...» Dans sa captivité, apprend-elle l'arrestation des Girondins: «Mon pays est perdu!...» s'écrie-t-elle. «Sublimes illusions, sacrifices généreux, espoir, bonheur, patrie, adieu! Dans les premiers élans de mon jeune coeur, je pleurais à douze ans de n'être pas née Spartiate ou Romaine; j'ai cru voir dans la Révolution française l'application inespérée des principes dont je m'étais nourrie: la liberté, me disais-je, a deux sources: les bonnes moeurs qui font les sages lois et les lumières qui nous ramènent aux unes et aux autres par la connaissance de nos droits[468]...» Eh bien, Mme Roland a vu ce qu'a produit une liberté à laquelle elle ne donne, même dans ses déceptions, qu'une base humaine; et dans ses _Dernières pensées_, et plus amplement dans son _Projet de défense_, elle dit avec amertume: «La liberté! Elle est pour les âmes fières qui méprisent la mort, et savent à propos la donner,» ajoute-t-elle avec cette persévérante illusion classique qui, malgré la répulsion que lui inspire le sang versé, lui fait toujours saluer dans le poignard de Brutus la délivrance de son pays[469]. Cette liberté, poursuit Mme Roland, «n'est pas pour ces hommes faibles qui temporisent avec le crime, en couvrant du nom de prudence leur égoïsme et leur lâcheté. Elle n'est pas pour ces hommes corrompus qui sortent» de la fange du vice,«ou de la fange de la misère pour s'abreuver dans le sang qui ruisselle des échafauds. Elle est pour le peuple sage qui chérit l'humanité, pratique la justice, méprise les flatteurs, connaît ses vrais amis et respecte la vérité. Tant que vous ne serez pas un tel peuple, ô mes concitoyens! vous parlerez vainement de la liberté; vous n'aurez qu'une licence dont vous tomberez victimes chacun à votre tour; vous demanderez du pain, on vous donnera des cadavres[470], et vous finirez par être asservis.» [Note 468: Mme Roland, _Mémoires_. _Notices historiques_.] [Note 469: Sur les illusions classiques des révolutionnaires, voir l'ouvrage de M. E. Loudun, _le Mal et le Bien_, tome IV, _la Révolution_] [Note 470: Dans les notes des _Mémoires_ de Mme Roland, édités par lui, M. Faugère fait remarquer qu'il y a ici une réminiscence d'un discours de Vergniaud.] En pleurant sur ses illusions perdues, Mme Roland honore ceux qui les ont partagées avec elle, «républicains déclarés mais humains, persuadés qu'il fallait par de bonnes lois faire chérir la république de ceux même qui doutaient qu'elle put se soutenir; ce qui effectivement est plus difficile que de les tuer,» ajoute-t-elle avec une superbe ironie. «L'histoire de tous les siècles a prouvé qu'il fallait beaucoup de talents pour amener les hommes à la vertu par de bonnes lois, tandis qu'il suffit de la force pour les opprimer par la terreur ou les anéantir par la mort.» Ce sont là de nobles regrets, et l'on aime à entendre ces graves et généreux accents dans ces pages où la déclamation remplace trop souvent l'éloquence, comme il arrive fréquemment d'ailleurs dans les écrits des femmes politiques. Mais dans ces lignes, Mme Roland parle bien moins la langue de la politique que celle de la conscience outragée. Mme Roland sut mourir. «Vous pouvez m'envoyer à l'échafaud, avait-elle dit dans son premier interrogatoire: vous ne sauriez m'ôter la joie que donne une bonne conscience, et la persuasion que la postérité vengera Roland et moi en vouant à l'infamie ses persécuteurs[471].» [Note 471: Mme Roland, _Projet de défense_, _Notes sur son procès_, etc.] Sans doute un appareil théâtral se mêle aux derniers jours de Mme Roland. Le courage stoïcien n'a pas la sublime simplicité du courage chrétien. Comme l'acteur qui se drape dans les plis de son vêtement pour mourir avec noblesse, aux applaudissements du public, le stoïcien meurt en regardant le monde auquel il demande la gloire. Le chrétien ne regarde que le ciel dont il attend sa récompense. Quand arriva cependant l'heure du supplice, Mme Roland paraît avoir eu comme une soudaine perspective de la vie éternelle. Au pied de l'échafaud, dit-on, elle demanda «qu'il lui fût permis d'écrire des pensées extraordinaires qu'elle avait eues dans le trajet de la Conciergerie à la place de la Révolution. Cette faveur lui fut refusée[472].» [Note 472: P. Faugère, introduction aux _Mémoires de Mme Roland_.] J'ai déjà cité quelquefois les _Mémoires_ que Mme Roland eut le courage et le sang-froid d'écrire dans sa prison. La publication entière de ces écrits a été funeste à la mémoire de cette femme célèbre. La vanité de l'auteur, le cynisme de certains détails ont singulièrement fait descendre Mme Roland du piédestal où l'avaient élevée l'héroïsme de sa mort et l'illusion de l'histoire contemporaine. Nous voyons aussi dans ces _Mémoires_ combien peu la femme a été créée pour un rôle public. Mme Roland se met-elle en scène, prend-elle la pose d'une héroïne, elle est guindée, prétentieuse; des réminiscences classiques se mêlent dans son langage à l'enthousiasme obligatoire et par conséquent faux qui distingue l'école de Rousseau. La femme politique gâte jusqu'à la femme du foyer qui elle-même se plaît à l'emphase; mais lorsque Mme Roland veut bien n'être que la femme du foyer, et qu'elle nous épargne d'étranges confidences, nous la jugeons avec plus de sympathie. Sa tendresse pour sa mère, ses promenades dans les bois de Meudon lui dictent des pages simples, touchantes, remplies de fraîches descriptions et qui parlent vraiment à notre coeur. Nous avons rendu hommage à la générosité naturelle de ses sentiments. Voyons-la encore se dévouer avec un intrépide courage à la défense d'un mari pour lequel elle n'a qu'une affectueuse estime. Entendons enfin cette femme qui la sert dans sa prison et qui dit à Riouffe, l'un des compagnons de sa captivité: «Devant vous, elle rassemble toutes ses forces; mais dans la chambre, elle reste quelquefois trois heures appuyée sur sa fenêtre à pleurer.» «Séparez Mme Roland de la Révolution, elle ne paraît plus la même,» dit le comte Beugnot qui, lui aussi, la connut en prison. «Personne ne définissait mieux qu'elle les devoirs d'épouse et de mère, et ne prouvait plus éloquemment qu'une femme rencontrait le bonheur dans l'accomplissement de ces devoirs sacrés. Le tableau des jouissances domestiques prenait dans sa bouche une teinte ravissante et douce; les larmes s'échappaient de ses yeux, lorsqu'elle parlait de sa fille et de son mari: la femme de parti avait disparu[473]...» [Note 473: _Mémoires_ de Mme Roland, édition de M. Faugère. Appendice du second volume.] Dans ces pleurs, tout n'était pas pour son mari, pour son enfant. Elle avait au fond du cour une affection qui ne triompha pas de son honneur, mais qui la fit profondément souffrir. Peut-être le stoïcisme, la seule foi qu'elle connût, ne lui aurait-il pas suffi pour supporter courageusement sa captivité, si elle n'avait vu avec joie dans les murs qui l'enfermaient une barrière qui la protégeait contre sa passion, mais qui, suivant une déduction bien hasardée et bien périlleuse, la rendait ainsi plus libre de garder son âme à l'homme qu'elle aimait. Comme le comte Beugnot, M. Legouvé a fait remarquer combien en Mme Roland l'homme d'État est au-dessous de la femme: «Elle a des sensations politiques au lieu d'idées, et devient la perte de son parti dès qu'elle en devient l'âme[474].» [Note 474: Legouvé, _Histoire morale des femmes_.] Deux autres femmes célèbres ont partagé l'enthousiasme de Mme Roland pour une république idéale: Charlotte Corday, Olympe de Gouges. Charlotte Corday, comme Mme Roland, trouve que la liberté «est pour les âmes fières qui méprisent la mort, et savent à propos la donner.» Charlotte Corday la donne. Mais alors même que la victime s'appelle Marat, l'acte qui frappe cet homme est un crime, et ce n'est point par l'assassinat que triomphent les saintes causes. Charlotte Corday a écouté la voix d'une passion noble dans son principe, mais coupable dans son application. Elle a exécuté l'arrêt de la vengeance humaine, non celui de la justice divine. Olympe de Gouges, elle, n'a pas versé le sang. Nous retrouverons tout à l'heure en elle l'ardente émancipatrice politique de la femme. Mais comment elle-même remplit-elle ce rôle public qu'elle revendique pour la femme? Cette étrange créature qui, sans savoir lire ni écrire, composa des pièces de théâtre et des brochures révolutionnaires, n'était républicaine que dans ses espérances; elle demeurait à son insu royaliste dans ses souvenirs; elle demanda à défendre Louis XVI; et ce sont les invectives qu'elle lança contre Robespierre qui la firent condamner à mort. Ainsi que Mme Roland, Olympe de Gouges eut, avec l'emphase oratoire, quelques éclairs de véritable éloquence. Mme Roland, Charlotte Corday, Olympe de Gouges poursuivaient sinon une idée, du moins une utopie politique. Mais que dire de ces femmes, de ces mégères que fit surgir l'émeute, et qui, dans le déchaînement des passions populaires, dépassèrent encore les hommes en cruauté, d'après cette loi de la nature qui veut que l'être le plus impressionnable soit, suivant ses instincts, capable des plus généreuses actions ou des plus exécrables forfaits! La fièvre de la Révolution avait donné à ces femmes la soif du sang. Elles venaient à la curée comme ces bêtes fauves qui ne savent pas pour quelle cause des hommes sont massacrés, mais qui sont attirées par l'odeur du carnage. Dans leur farouche ardeur, ces femmes sont pour la Révolution un auxiliaire dont elle sent le prix. Mirabeau a dit que les femmes, en se mettant aux premiers rangs de l'émeute, peuvent seules la faire triompher. Elles sont capables d'entendre un appel de ce genre, ces femmes qui trouvent que les hommes ne vont pas assez vite. Les femmes forment, au 5 octobre, l'avant-garde de ce peuple parisien, de cette mer humaine qui roule jusqu'à Versailles ses flots en fureur, son écume immonde, et qui bat de ses vagues le vieux palais des rois. Parmi ces femmes, les unes sont poussées par la famine, les autres par leurs mauvais instincts. 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