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Des femmes comptent
parmi les poètes sacrés dont l'Esprit-Saint a inspiré le génie et dont
la Bible nous a conservé les accents. Chez les peuples païens, les
Indiens, les Grecs, les Romains, les Germains adorent dans des
personnifications féminines les divinités de l'intelligence. Les Indiens
comptent des femmes parmi les auteurs de leurs plus anciens livres
sacrés, les Védas. Les Grecs ont leurs neuf muses terrestres; ils ont
aussi, dans leurs Pythagoriciennes, les apôtres d'une doctrine élevée,
spiritualiste encore au milieu des erreurs de la métempsycose.

Chez les Romains, la femme fait vibrer la voix du poète et chante
elle-même. Chez les Gallo-Romains, d'humbles religieuses copient, dans
le silence du cloître, les antiques manuscrits, et, à travers les
ténèbres produites par les invasions, elles contribuent ainsi à garder
le flambeau civilisateur auquel l'Evangile a donné une plus pure
lumière.

Les femmes des envahisseurs apportent à la Gaule une autre tradition
intellectuelle: la farouche tradition des chants du Nord. Lorsque la
langue léguée par Rome à la Gaule est devenue l'interprète du rude
génie des Germains, la femme du moyen âge inspire les mâles accents du
trouvère, mais malheureusement aussi la sensuelle poésie du troubadour.
Poète elle-même et prosatrice aussi, elle dote de fleurs et de fruits
une terre inculte, mais féconde. En éclairant à la lumière de sa
conscience la chronique historique, Christine de Pisan fait apparaître,
pour la première fois, dans une oeuvre française encore bien informe, la
philosophie de l'histoire. Le premier livre français que l'on peut lire
sans dictionnaire est dû à une femme, Marguerite d'Angoulême[486]. Les
femmes, qui ont largement participé au mouvement intellectuel de la
Renaissance, contribuent puissamment, par leurs oeuvres ou par leurs
conversations, à enrichir la langue du XVIe siècle, à épurer celle
du XVIIe. Elles exercent leur influence sur le génie de nos grands
écrivains, les Corneille, les Racine, les La Fontaine. Avec Mme
de Sévigné enfin, la femme prend rang parmi nos meilleurs auteurs
classiques. Et ce n'est pas seulement la langue française qui est
redevable à Marguerite d'Angoulême, à Mme de Sévigné, à tant d'autres
femmes qui n'écrivirent pas, mais qui surent bien parler: c'est l'esprit
français lui-même qui se mire dans les oeuvres des unes, dans la
causerie des autres.

[Note 486: D. Nisard, _Histoire de la littérature française_.]

A la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe, une autre femme
personnifie l'esprit français, l'esprit français fidèle à ces traditions
spiritualistes dont les femmes de notre pays savent être les gardiennes;
l'esprit français qui, dans son vol élevé, rapide, ne se borne plus à
planer sur notre patrie, mais qui, étendant ses ailes sur le domaine
de l'étranger, saisit entre ses serres puissantes tout ce qu'il peut
s'assimiler.

J'ai tenu à indiquer le sillon lumineux que la femme a laissé dans les
lettres et particulièrement dans les lettres françaises. Mais qu'il me
soit permis de reprendre cette esquisse à un autre point de vue: la
destinée même de la femme.

Ces femmes, qui ont exercé dans la littérature une action civilisatrice,
ces femmes ont-elles su être les femmes du foyer? Oui, beaucoup d'entre
elles, et ce sont celles qui m'intéressent le plus. Que Sappho ait dû
sa gloire aux strophes qui ont gardé à travers les siècles la brûlante
empreinte d'une passion criminelle, je le déplore, mais ce n'est pas
elle que je cherche dans le groupe des neuf muses terrestres de la
Grèce: c'est Erinne, la vierge modeste qui célèbre sa _quenouille_. Ce
que je cherche encore dans les lettres helléniques, ce sont les
pages dont on a reporté l'honneur aux Pythagoriciennes, et qui, tout
apocryphes qu'elles puissent être, contiennent des réflexions si justes
et si profondes sur les attributions respectives de l'homme et de la
femme, sur les devoirs domestiques de celle-ci, sur les lumières que
l'instruction lui donne pour mieux remplir sa mission.

Chez les Romains, ce qui me charme, ce n'est ni la Lesbie de Catulle, ni
la Cynthie de Properce, ni la Corinne d'Ovide, ni la Délie de Tibulle,
ces trop séduisantes inspiratrices de l'amour païen. Mais je m'arrête
avec émotion devant le groupe sévère et charmant des femmes que j'ai
nommées les _Muses du foyer_[487].

[Note 487: Voir _la Femme romaine_.]

Rentrons dans notre pays. J'ai, tout à l'heure, rappelé le nom de
Christine de Pisan. Quel que soit le service qu'elle ait rendu aux
sciences historiques, ce qui m'attire surtout à elle ce sont les
conseils domestiques qu'elle donne aux femmes pour toutes les situations
de la vie et dont sa propre existence leur offrait l'application.

Quelles sont les ouvres de Marguerite d'Angoulême qui nous attachent le
plus à elle? Je l'ai dit: ce n'est pas la plus parfaite de ses oeuvres
littéraires, les _Contes de la reine de Navarre_. Non, mais ce sont les
poésies et les lettres qui nous montrent dans le charmant et spirituel
écrivain la tendre soeur de François Ier. Et, dans ce même siècle,
qu'est-ce qui a résonné le plus doucement à notre oreille? Est-ce la
lyre passionnée d'une Louise Labé, ou les accents si purs et si voilés
de ces femmes qui, elles aussi, pourraient être nommées _les Muscs du
foyer_?

Qu'est-ce qui a fait de Mme de Sévigné un grand écrivain sans qu'elle
s'en doutât? l'amour maternel. Si une union mal assortie fit vibrer dans
le génie de Mme de Staël les regrets du bonheur domestique, c'est, du
moins, aux premières tendresses du foyer, à l'amour filial, que nous
devons quelques-unes de ses pages les plus éloquentes.

De nos jours, une femme s'est élevée, merveilleux écrivain qui demeurera
parmi les maîtres de la langue. Malheureusement elle s'était mise en
dehors des lois sociales et elle voulut, comme son maître, Rousseau,
ériger en système les erreurs de sa vie. Pour rassurer sa conscience,
elle ne vit, dans les lois, dans les moeurs, dans la religion, que des
préjugés. Tout ce qu'il y avait en elle de forces, génie, passion,
magie du style, elle employa tout pour saper les bases éternelles sur
lesquelles repose la famille. J'aurai à signaler bientôt l'influence
délétère qu'elle exerça sur ses contemporaines.

C'est par le roman que cette femme célèbre a exprimé ses doctrines
sociales ou antisociales. C'est par le roman qu'elle les a propagées.
Lorsqu'elle a voulu les transporter sur la scène, elle y a heureusement
moins réussi: les personnages, qui ne sont que des théories ambulantes,
ne peuvent intéresser au théâtre.

Dans ces dangereux romans, il y a une tonalité fausse qui décèle que
la femme qui les a écrits se sent elle-même hors du vrai. Mais
écoute-t-elle son coeur et sa conscience, parle-t-elle en honnête femme,
alors son génie s'élève à la plus grande hauteur. C'est par ses romans
champêtres qu'elle a vraiment conquis l'immortalité; c'est dans ces
délicieuses églogues où, peintre admirable de la nature, elle nous fait
respirer, avec les senteurs balsamiques des bois et des champs, le
parfum de la vie domestique et rurale.

Aucun nom contemporain ne devant figurer dans ce chapitre, je me suis
bornée à désigner par le caractère de ses oeuvres la femme qui a tenu
une si grande place dans notre siècle. Elle y a fait école parmi les
femmes, et, malheureusement, l'auteur des romans à thèses sociales a eu
particulièrement cette influence.

Mais à côté des femmes qui ont cherché le succès littéraire en ébranlant
les bases de la famille, d'autres défendent les traditions domestiques
et, abritant leur vie à l'ombre du foyer, elles ne livrent que leurs
oeuvres à la publicité. Soit dans la poésie, soit dans les études
morales, soit dans les ouvrages destinés à la jeunesse, plus d'une
s'est fait un nom. C'est ainsi qu'à travers les âges s'est perpétuée la
tradition romaine des _muses du foyer_.

Mais, alors même que la femme demeure fidèle à ce dernier type, faut-il
encourager chez elle le travail littéraire? Oui, si n'écrivant que pour
remplir une mission moralisatrice, elle sait toujours placer au-dessus
de ses labeurs intellectuels ses sollicitudes domestiques. Il ne suffit
pas qu'elle reste à son foyer; il faut qu'elle y remplisse tous ses
devoirs. Pour la femme, même non mariée, mais qui a à remplir une
mission filiale ou fraternelle, c'est déjà bien difficile; mais pour
l'épouse, surtout pour la mère de famille, c'est, le plus souvent,
presque impossible!

Que la femme y réfléchisse et qu'elle ait toujours présent à la pensée
ce douloureux aveu échappé à la plus illustre des femmes auteurs: «Pour
une femme, la gloire ne saurait être que le deuil éclatant du bonheur.»

Pour son repos il vaudrait mieux que la femme pût ne remplir dans les
lettres et dans les arts que le doux rôle d'inspiratrice. De grands
poètes français de noire siècle ont senti cette influence qui a plané
sur leurs berceaux sous les traits d'une mère chérie. Deux des poètes
particulièrement fidèles aux traditions spiritualistes ont été, suivant
la remarque d'une jeune et célèbre Hindoue, «profondément redevables de
la direction de leurs esprits à leurs mères, femmes de prière, d'une
haute intelligence et faisant abnégation d'elles-mêmes[488].». Heureuse la
mère qui a pu dire en se mirant dans les oeuvres de son fils: «Il y dit
précisément ce que je pense; il est ma voix, car je sens bien les belles
choses, mais je suis muette quand je veux les dire, même à Dieu. J'ai,
quand je médite, comme un grand foyer bien ardent dans le coeur, dont
la flamme ne sort pas; mais Dieu, qui m'écoute, n'a pas besoin de mes
paroles: je le remercie de les avoir données à mon fils[489].»

[Note 488: «Women of prayer, large-minded and self-denying», dit celle
dont j'aime à honorer ici encore la touchante mémoire, et que j'ai
appelée ailleurs la jeune Française des bords du Gange. Toru Dutt, _A
sheaf gleaned in french fields_.]

[Note 489: M. de Lamartine, _le Manuscrit de ma mère_.]

Nous avons rappelé qu'autrefois c'était encore par les salons que la
femme exerçait une influence délicate sur les lettres et les arts. Mais
les salons se perdent de plus en plus, et ce n'est que dans un très
petit nombre de ces foyers intellectuels que se gardent les anciennes
traditions de l'esprit français.



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