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Mais
les salons se perdent de plus en plus, et ce n'est que dans un très
petit nombre de ces foyers intellectuels que se gardent les anciennes
traditions de l'esprit français. La femme a abdiqué dans les relations
mondaines sa véritable royauté. Nos contemporaines songent souvent plus
à briller par les oripeaux de leurs couturières que par les charmes de
leur esprit. Isolées des hommes qui, dans les salons, se groupent entre
eux, elles posent plus qu'elles ne causent, et, à vrai dire, on ne leur
demande pas autre chose. Entament-elles une conversation avec leurs
voisines, rien de plus banal que les propos qui s'échangent généralement
et qui ont pour objet les chiffons et les plaisirs, quand ce ne sont pas
les défauts du prochain.

Déshabitués de la causerie des femmes par la vie du cercle, les hommes
ont contracté dans leur langage, aussi bien que dans leurs allures, un
sans-gêne que plus d'une femme d'ailleurs s'empresse d'imiter. Autrefois
la femme donnait à l'homme sa délicatesse, aujourd'hui elle lui prend la
liberté de son langage et de ses manières.

Mgr Dupanloup regrettait la disparition des salons d'autrefois. Nous
verrons comment il exhortait les femmes à les faire revivre.

Mais pour que la femme pût reprendre l'influence sociale qu'elle
exerçait par les salons, il faudrait qu'elle y fût préparée par une
éducation meilleure.


§IV

_L'éducation des femmes dans ses rapports avec leur mission._
_La méthode de Mgr Dupanloup._

L'évêque d'Orléans le constatait: il y a aujourd'hui une fièvre de
savoir et il y a aussi un immense besoin de faire passer dans le domaine
des faits les théories spéculatives. Mais ce besoin est d'autant plus
périlleux que le bien et le mal se confondent dans l'ardente fournaise
où se refond la société. Ce sont les principes qui manquent. La femme se
sent portée d'instinct vers ces principes, mais elle ne les distingue
pas toujours nettement. Il faudrait, pour cela, l'_exquis bon sens_ que
Fénelon et Mme de Maintenon formaient dans leurs disciples et qui, nous
le rappelions plus haut avec Mgr Dupanloup, pouvait suppléer chez les
femmes à l'étendue des connaissances.

Mais aujourd'hui que le bon sens ne dirige guère le courant des idées,
il faut faire revivre par l'étude cette précieuse faculté. Et par
malheur l'instruction que reçoivent généralement les femmes se prête peu
à cette restauration qui, en leur permettant de remplir leurs véritables
devoirs, les aiderait en même temps à sauver les sociétés modernes[490].

[Note 490: Mgr Dupanloup, _Lettres sur l'éducation des filles_.]

Ainsi que le fait remarquer Mgr Dupanloup, ce n'est réellement pas,
comme au temps de Fénelon, l'insuffisance des études qui est le vice
dominant de l'éducation féminine: c'est plutôt, comme dans l'instruction
des hommes, un entassement de connaissances qui, dépourvues de principes
supérieurs, obscurcissent l'intelligence au lieu de l'éclairer. Ce qui
manque, «c'est moins l'étendue des connaissances que la-solidité de
l'esprit.» On orne la mémoire, on néglige le jugement. «On enseigne la
lettre et non pas l'esprit des choses... Des sons au lieu de musique,
des dates au lieu d'histoire, des mots au lieu d'idées.» C'est cette
éducation-là qui produit des pédantes. Quand leur horizon est borné et
qu'elles ne voient rien au delà, les femmes croient tout savoir, alors
qu'elles ignorent tout et ne s'intéressent à rien.

«Que leur importe, dit M. Legouvé, que Tibère ait succédé à Auguste et
qu'Alexandre soit né trois cents ans avant Jésus-Christ? En quoi cela
touche-t-il au fond de leur vie? La science n'est un attrait ou un
soutien que quand elle se convertit en idées ou se réalise en actions;
car savoir, c'est vivre, ou, en d'autres termes, c'est penser et agir.
Or, pour atteindre ce but, l'éducation des jeunes filles est trop
frivole dans son objet et trop restreinte dans sa durée. Presque jamais
l'étude, pour les jeunes filles, n'a pour fin réelle de perfectionner
leur âme...; tout y est disposé en vue de l'opinion des autres... Rien
pour la pratique solitaire du travail, c'est-à-dire pour le coeur ou
pour la pensée.» M. Legouvé a dépeint ce que le vide de l'esprit donne
à l'imagination de dangereuse puissance, et ce que le dégoût du travail
cause de passion pour le plaisir[491].

[Note 491: Legouvé, _Histoire morale des femmes_.]

Comme le moraliste, l'évêque d'Orléans s'effrayait des désordres que
peut produire chez la femme une instruction insuffisante. Ces désordres,
le ministère des âmes lui permettait de les voir de près; et la
préoccupation qu'il en éprouva fut dominante pendant les dernières
années de sa vie. Ce n'était pas en vain que dans son discours de
réception à l'Académie française, l'illustre prélat, faisant une
allusion rapide aux devoirs de sa charge épiscopale, ajoutait: «Le soin
d'élever cette jeunesse qui aura été mon premier et mon dernier amour!»
En effet, si son premier grand ouvrage avait été consacré à l'éducation
des hommes, c'est l'éducation des femmes qui lui a inspiré les dernières
pages que revoyait encore sa main déjà glacée par l'agonie: _les Lettres
sur l'éducation des filles_.

Ce n'était pas pour la première fois que Mgr d'Orléans traitait ce
sujet. Depuis 1866, il avait souvent abordé cette question. Les
_Conseils aux femmes chrétiennes qui vivent dans le monde_, les _Femmes
savantes_ et _Femmes studieuses_, la _Controverse sur l'éducation des
filles_, toutes ces oeuvres offraient déjà le véritable plan d'une
éducation qui devait éloigner la femme aussi bien des écueils du
pédantisme que des tristes suites de l'ignorance et de l'oisiveté, et
qui avait pour idéal ce type généreux et charmant par lequel l'évêque
résuma sa _Controverse sur l'éducation des filles: la femme chrétienne
et française!_

Dans ses _Lettres sur l'éducation des filles_, Mgr d'Orléans condensa
tout ce que ses précédents travaux, sa longue expérience et le ministère
des âmes lui avaient fourni de lumières sur ce vaste sujet.

Ce que furent les âmes pour l'évêque d'Orléans, on le sait. Il ne se
contentait pas de les disputer au mal, de les guérir, de les sauver; il
ne se contentait même pas de les élever à Dieu sur les ailes de l'amour
et de la piété; mais pour les rendre plus dignes de répondre au _Sursum
corda_, il cherchait à développer en elles tout ce que le Créateur avait
départi à chacune d'elles de facultés natives; il voulait qu'elles
pussent réellement concourir au plan divin. De même qu'à la voix du
Tout-Puissant le soleil nous donne tous ses rayons, la fleur tout son
parfum, le fruit toute sa saveur, il veillait à ce que l'âme produisît,
pour la gloire de Dieu et l'honneur de l'humanité, toutes les richesses
que le Créateur lui a confiées et dont le Souverain Juge lui demandera
compte un jour.

Comment ce zèle des âmes n'aurait-il pas inspiré à notre évêque l'amour
de la jeunesse, et, en particulier, l'amour de l'enfant? L'enfant, c'est
l'âme fraîchement éclose des mains du Créateur; c'est l'âme que n'a pas
encore souillée la poussière d'ici-bas; c'est l'âme qui s'éveille dans
la pureté et dans l'amour; c'est l'âme qui apparaît dans ce doux et naïf
sourire que font naître déjà les baisers d'une mère ou d'un père,
dans ce candide regard qui n'a pas encore vu le mal et ne sait encore
refléter que le ciel. Mais pour notre vénéré prélat, l'enfant, c'est
surtout l'âme qu'il faut à tout prix agrandir et élever, c'est le germe
divin qu'il faut faire éclore aux chauds rayons du soleil de Dieu.

La femme, telle que l'a faite l'éducation moderne, a-t-elle toujours vu
développer en elle ce germe divin? Toutes ces facultés ont-elles été
cultivées selon le plan du Créateur? Vit-elle de la pleine vie de l'âme?
Non, nous répond avec une profonde tristesse l'évêque d'Orléans, et
il nous prouve que, trop souvent, la femme, même bonne et pieuse, n'a
qu'une bonté d'instinct et une piété sensitive. C'est que Dieu avait
donné à la femme non seulement le coeur, mais l'intelligence qui
doit diriger les mouvements de ce coeur, et c'est cette intelligence
négligée, étouffée, ce sont ces riches facultés inassouvies qui
remplissent de vagues et malsaines rêveries tant de jeunes imaginations,
les dépravent et les pervertissent. En sevrant les jeunes filles
d'études sérieuses, on les livre à la frivolité. En leur refusant les
ouvrages qui traitent du vrai dans l'histoire, dans la littérature, dans
les sciences et les arts, on les livre aux romans qui faussent leur
esprit et corrompent leur coeur.

«Et que deviennent, dit l'évêque, que font alors celles de ces âmes plus
généreuses, plus riches, plus fortes, et par là même plus malheureuses,
qui sont condamnées à se replier ainsi tristement sur elles-mêmes, et
à déplorer, quelquefois à jamais, leur existence perdue, ou du moins
appauvrie, affaiblie sans retour? Elles souffrent, elles gémissent en
silence ou parfois poussent des cris saisissants...»

Ce fut par l'un de ces cris qu'une jeune femme apprit un jour à l'évêque
le secret de cette vague souffrance. «C'était une personne pieuse,
élevée très chrétiennement, bien mariée à un homme chrétien comme elle,
ayant d'ailleurs tout ce qu'il faut pour être heureuse. Vous ne l'êtes
pas tout à fait, lui dis-je, mais pourquoi?--Il me manque quelque
chose.--Quoi?--Ah! il y a dans mon âme trop de facultés étouffées et
inutiles, trop de choses qui ne se développent pas et ne servent à rien
ni à personne.

«Ce mot fut pour moi une révélation: je reconnus alors le mal dont
souffrent bien des âmes, surtout les plus belles et les plus élevées: ce
mal, c'est de ne pas atteindre leur développement légitime, tel que
Dieu l'avait préparé et voulu, de ne pas trouver l'équilibre de leurs
facultés, telles que Dieu les avait créées, de ne pas être enfin
elles-mêmes, telles que Dieu les avait faites.»

Dans cette _formation incomplète_ du coeur et de l'esprit, est la cause
du mal qui fait souffrir ou pervertit dans la femme la création de Dieu.

Comment l'évêque, le pasteur des âmes, n'eût-il pas été ému des cris
de détresse que jetaient vers lui ces femmes qui souffraient de leur
inaction? Comment n'eût-il pas gémi de l'apathie, de l'indifférence, de
la chute enfin de celles qui n'avaient plus la force de lutter contre
l'inutilité de leur vie?

Aussi, devant ce douloureux spectacle, combien le froissent les
railleries que décoche aux femmes instruites le comte Joseph de Maistre,
avec tous les hommes qui, croyant s'inspirer ici de Molière, n'ont
pas établi comme celui-ci une distinction nécessaire entre les femmes
savantes et les femmes studieuses, et ne se sont pas aperçus que c'est
précisément l'instruction véritable qui préserve du pédantisme!

M.



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