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C'est une dame en miniature; elle le sait, elle est toute à son
rôle, sans effort ni gêne, à force d'habitude; l'enseignement unique et
perpétuel est celui du maintien[74].»

[Note 74: Taine, _ouvrage cité_.]

Un écrivain du XVIIIe siècle, Mercier, nous dira: «Le maître de danse,
dans l'éducation d'une jeune demoiselle, a le pas sur le maître à lire,
et sur celui même qui doit lui inspirer la crainte de Dieu et l'amour de
ses devoirs futurs[75].»

[Note 75: Mercier, _Tableau de Paris_, 1783. T. VIII, ch. CDX.
Petites filles, Marmots.]

Les quelques notions de catéchisme que la jeune fille perdait bientôt
d'ailleurs dans le courant philosophique du siècle, n'occupaient, en
effet, qu'un rôle bien secondaire, je ne dirai pas dans l'éducation, ce
serait profaner ce mot, mais dans le dressage de la jeune fille. Tout
y était sacrifié à l'enseignement du maintien. Lorsque, par une mesure
d'économie, le cardinal de Fleury décide Louis XV à faire élever ses
filles à l'abbaye de Fontevrault où, trop souvent, gâtées en filles de
roi, elles n'ont guère d'autre règle que celle de leurs fantaisies,
l'une des princesses, Mme Louise de France, ne connaît pas encore, à
douze ans, toutes les lettres de son alphabet. Un seul professeur d'art
d'agrément a suivi ses royales élèves à Fontevrault; c'est encore le
maître à danser[76]!

[Note 76: Mme Campan, _Mémoires sur la vie de Marie-Antoinette_.]

Huit jours avant son mariage, la future duchesse de Doudeauville, Mlle
de Montmirail, âgée de quinze ans, est mise dans un coin de la salle à
manger, avec une robe de pénitence, pour avoir mal fait sa révérence à
son entrée dans le salon d'une mère aussi sévère que fantasque[77]!

[Note 77: Vie de Mme de la Rochefoucauld, duchesse de Doudeauville]

Mais empruntons encore à Mercier quelques traits relatifs à cette
éducation qui, «dès la plus tendre enfance...imprègne, pour ainsi dire,
l'âme des femmes de vanité et de légèreté.» Pour la petite fille, «la
marchande de modes et la couturière sont des êtres dont elle évalue
l'importance, avant d'entendre parler de l'existence du laboureur qui la
nourrit, et du tisserand qui l'habille. Avant d'apprendre qu'il y aura
des objets qu'elle devra respecter, elle sait qu'il ne s'agit que d'être
jolie, et que tout le monde l'encensera. On lui parle de beauté avant
de l'entretenir de sagesse. L'art de plaire et la première leçon de
coquetterie sont inspirés avant l'idée de pudeur et de décence, dont un
jour elle aura bien de la peine à appliquer le vernis factice sur cette
première couche d'illusion.

«Qu'on daigne regarder avec réflexion ces marionnettes que l'on voit
dans nos promenades, préluder aux sottises et aux erreurs du reste
de leur vie. Le _petit monsieur_, en habit de tissu, et la _petite
demoiselle_, coiffée sur le modèle des grandes dames, copiant, sous les
auspices d'une _bonne_ imbécile, les originaux de ce qu'ils seront un
jour. Toutes les grimaces et toutes les affectations du petit maître
sont rassemblées chez le _petit monsieur_. Il est applaudi, caressé,
admiré en proportion des contorsions qu'il saisit. La _petite
demoiselle_ reçoit un compliment à chaque minauderie dont son petit
individu s'avise; et si son adresse prématurée lui donne quelque
ascendant sur le petit _mari_, on en augure, avec un étonnement stupide,
le rôle intéressant qu'elle jouera dans la société[78].»

[Note 78: Mercier, _l. c._]

La petite fille grandit dans l'ennui et l'oisiveté sous ce toit paternel
qui souvent n'abrite pour elle ni caresses ni sourire. Le matin, quand
la mère est à sa toilette, la petite fille vient cérémonieusement lui
baiser la main; elle voit encore ses parents aux heures des repas[79].

[Note 79: _Vie de Mme de la Rochefoucauld, duchesse de Doudeauville_;
Taine, _les Origines de la France contemporaine. L'ancien régime_.]

La mère aime-t-elle sa fille ou du moins croit-elle l'aimer, la
garde-t-elle dans sa chambre, cette chambre est, comme au XVIIe siècle,
une prison où l'enfant, privée de tout mouvement, est tour à tour
encensée ou grondée; «toujours ou relâchement dangereux ou sévérité mal
entendue; jamais rien selon la raison. Voilà comment on ruine le corps
et le coeur de la jeunesse[80].»

[Note 80: Rousseau, _Émile_, V.]

Devant cette jeune fille condamnée au rôle d'automate, Rousseau,
l'ennemi, des couvents, se prend à regretter ces maisons où l'enfant
peut se livrer à ses joyeux ébats, sauter et courir.

Rousseau parlait ainsi dans le livre par lequel il crut pouvoir réformer
l'éducation, aussi bien celle des femmes que celle des hommes.

Au milieu de ses folles utopies, Rousseau établit néanmoins dans
l'_Émile_ un principe que feraient bien de méditer les émancipateurs
actuels de la femme: c'est qu'il faut élever chaque sexe selon sa
nature, et ne pas faire de la femme un homme, pas même un honnête homme!
Il faut simplement en faire une honnête femme; «Elles n'ont point de
collèges! s'écrie-t-il. Grand malheur! Eh! plût à Dieu qu'il n'y en eût
point pour les garçons[81]!» Je n'achève la phrase de Rousseau que pour
compléter la citation, mais non pour l'approuver jusqu'au bout. Il est
certain que la vie de collège est aussi nécessaire à l'homme, pour le
préparer à la vie publique, qu'elle serait funeste à la femme qui est
destinée à l'existence du foyer.

[Note 81: Rousseau, _l. c._]

Rousseau dit que l'éducation doit préparer une femme qui comprenne
son mari, une mère qui sache élever ses enfants. Ce sont là de sages
préceptes que nous trouvions dans les siècles précédents, mais que le
faux jugement de Rousseau applique fort mal, comme d'habitude. C'est
que, au lieu de reconnaître l'existence du péché originel, le philosophe
admet la bonté absolue de la nature humaine. Tous les instincts de cette
nature sont bons; il n'y a qu'à les développer. La ruse est l'instinct
naturel de la femme: c'est cette ruse qu'il faut laisser croître. La
grande science de la femme sera d'étudier le coeur de l'homme pour
chercher adroitement à plaire. Cette étude est la seule que Rousseau
encourage chez la jeune fille. Il lui permet d'ailleurs d'apprendre sans
maître tout ce qu'elle voudra, pourvu que ses connaissances se bornent à
des arts d'agrément qui la rendront plus capable de plaire à son mari.
C'est en vain que Rousseau a prêché la réforme de l'éducation; ses
belles théories n'aboutissent qu'à l'éducation du XVIIIe siècle: l'art
de plaire[82].

[Note 82: Taine, _ouvrage cité_.]

Aucune réforme sérieuse n'était possible avec le système d'un philosophe
qui enlevait à l'éducation de la femme comme à celle de l'homme la seule
base solide: l'éducation religieuse. Rousseau, qui trouvait qu'il n'est
peut-être pas temps encore qu'à dix-huit ans, l'homme apprenne qu'il a
une âme, Rousseau permet cependant que l'on instruise plus tôt la femme
des vérités religieuses. Il est vrai que c'est par un motif assez
irrespectueux pour l'intelligence féminine: Jean-Jacques trouve que si,
pour apprendre les vérités religieuses à la femme, on attend qu'elle
puisse les comprendre, elle ne les saura jamais. Peu importe donc que ce
soit plus tôt ou plus tard.

La religion de Rousseau, cette religion dont le Vicaire savoyard est
l'éloquent apôtre, est fort élastique: c'est la religion naturelle. Il
est vrai qu'au temps où nous vivons, il faut savoir gré à Jean-Jacques
de n'avoir biffé ni l'existence de Dieu ni l'immortalité de l'âme.

Impuissantes--heureusement--à passer dans la vie réelle, les rêveries
éducatrices de Rousseau rappellent cependant aux mères qu'elles ont des
filles. Elles ont maintenant le goût de la sensiblerie maternelle. Mais,
incapable de comprendre que cette enfant représente pour elle un devoir,
la mère ne voit en elle qu'un plaisir. On initie la petite fille aux
grâces du parler élégant. On fait de cette enfant, qui y est déjà si
bien préparée, une petite comédienne de salon. Elle reçoit pour maîtres
des acteurs célèbres; elle joue dans les proverbes, dans les comédies,
dans les tragédies. Rousseau n'avait sans doute pas prévu tous ces
résultats, mais n'en avait-il pas préconisé le principe: l'art de
plaire?

Une disciple de Rousseau, Mlle Phlipon, la future Mme Roland, parut
donner un fondement plus solide à l'éducation des femmes quand elle
écrivit un discours sur cette question proposée par l'Académie de
Besançon: Comment l'éducation des femmes pourrait contribuer à rendre
les hommes meilleurs. Suivant la méthode de Rousseau, la jeune
philosophe juge que pour répondre à cette question il faut suivre les
indications de la nature. Cette méthode lui fait découvrir que c'est par
la sensibilité que les femmes améliorent les hommes et leur donnent le
bonheur: c'est donc la sensibilité qu'il faut développer et diriger
en elles par une instruction qui éclaire leur jugement. Développer la
sensibilité, c'est-à-dire le foyer le plus ardent et le plus dangereux
qui soit dans le coeur de la femme! En vain, Mlle Phlipon prétend-elle
régler la marche du feu. Oui, avant l'incendie, on peut et l'on doit
diriger la flamme; mais quand tout brûle, est-ce possible? Allumer
l'incendie et se croire la faculté de se rendre maître du feu, quelle
utopie!

Telle est l'éducation par laquelle l'élève de Rousseau prépare l'épouse
et la mère éducatrice. Tout ici, même l'exercice de la réflexion, doit
concourir à rendre la femme plus aimante et plus aimable. N'est-ce pas
encore; avec une plus généreuse inspiration, le système de Rousseau:
l'art de plaire? Aussi, bien que Mlle Phlipon accorde à l'instruction
des femmes une place que l'_Emile_ ne lui avait pas attribuée, ses
conclusions ne s'écartent guère de celles de son maître. Non plus que
Rousseau d'ailleurs, elle ne sait leur donner une valeur pratique. Elle
avoue elle-même à la fin de son discours qu'elle est «plus prompte à
saisir les principes» qu'elle n'est «habile à détailler les préceptes
[83].»

[Note 83. M. Faugère a fait rechercher le manuscrit du discours de
Mme Roland, dans les archives de l'Académie de Besançon. Il a publié ce
travail inédit dans son édition des _Mémoires_ de Mme Roland. 1864.]

Ce n'est pas dans la prédominance absolue de la sensibilité, c'est dans
l'harmonie du coeur et de la raison qu'est le secret de la véritable
éducation, mais il n'appartient pas à la philosophie naturelle, de
livrer ce secret.

Tandis que les philosophes dissertaient sur l'éducation, tandis que
des mères mondaines s'essayaient à appliquer les théories de Rousseau,
quelques familles, bien rares il est vrai, continuaient de chercher les
traditions éducatrices à leur véritable source: le christianisme.



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