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Par-derrière, son pantalon laissait passer encore un bout de sa chemise. Et les bras nus, les épaules nues, la pointe des seins à l'air, dans son adorable jeunesse de blonde grasse, elle tenait toujours le rideau d'une main, comme pour le tirer de nouveau, au moindre effarouchement. -- Oui, j'ai été surprise, jamais je n'oserai..., balbutiait-elle, en jouant la confusion, avec des tons roses sur le cou et des sourires embarrassés. -- Allez donc, puisqu'on vous trouve très bien! cria Bordenave. Elle risqua encore des mines hésitantes d'ingénue, se remuant comme chatouillée, répétant: -- Son Altesse me fait trop d'honneur... Je prie Son Altesse de m'excuser, si je la reçois ainsi... -- C'est moi qui suis importun, dit le prince; mais je n'ai pu, madame, résister au désir de vous complimenter... Alors, tranquillement, pour aller à la toilette, elle passa en pantalon au milieu de ces messieurs, qui s'écartèrent. Elle avait les hanches très fortes, le pantalon ballonnait, pendant que, la poitrine en avant, elle saluait encore avec son fin sourire. Tout d'un coup, elle parut reconnaître le comte Muffat, et elle lui tendit la main, en amie. Puis, elle le gronda de n'être pas venu à son souper. Son Altesse daignait plaisanter Muffat, qui bégayait, frissonnant d'avoir tenu une seconde, dans sa main brûlante, cette petite main, fraîche des eaux de toilette. Le comte avait fortement dîné chez le prince, grand mangeur et beau buveur. Tous deux étaient même un peu gris. Mais ils se tenaient très bien. Muffat, pour cacher son trouble, ne trouva qu'une phrase sur la chaleur. -- Mon Dieu! qu'il fait chaud ici, dit-il. Comment faites-vous, madame, pour vivre dans une pareille température? Et la conversation allait partir de là, lorsque des voix bruyantes s'élevèrent à la porte de la loge. Bordenave tira la planchette d'un judas grillé de couvent. C'était Fontan, suivi de Prullière et de Bosc, ayant tous trois des bouteilles sous les bras, et les mains chargées de verres. Il frappait, il criait que c'était sa fête, qu'il payait du champagne. Nana, d'un regard, avait consulté le prince. Comment donc! Son Altesse ne voulait gêner personne, elle serait trop heureuse! Mais, sans attendre la permission, Fontan entrait, zézayant, répétant: -- Moi pas pignouf, moi payer du champagne... Brusquement, il aperçut le prince, qu'il ne savait pas là. Il s'arrêta court, il prit un air de bouffonne solennité, en disant: -- Le roi Dagobert est dans le corridor, qui demande à trinquer avec Son Altesse Royale. Le prince ayant souri, on trouva ça charmant. Cependant, la loge était trop petite pour tout ce monde. Il fallut s'entasser, Satin et madame Jules au fond, contre le rideau, les hommes serrés autour de Nana demi-nue. Les trois acteurs avaient encore leurs costumes du second acte. Tandis que Prullière ôtait son chapeau d'Amiral suisse, dont l'immense plumet n'aurait pas tenu sous le plafond, Bosc, avec sa casaque de pourpre et sa couronne de fer-blanc, se raffermissait sur ses jambes d'ivrogne et saluait le prince, en monarque qui reçoit le fils d'un puissant voisin. Les verres étaient pleins, on trinqua. -- Je bois à Votre Altesse! dit royalement le vieux Bosc. -- A l'armée! ajouta Prullière. -- A Vénus! cria Fontan. Complaisamment, le prince balançait son verre. Il attendit, il salua trois fois, en murmurant: -- Madame... amiral... sire... Et il but d'un trait. Le comte Muffat et le marquis de Chouard l'avaient imité. On ne plaisantait plus, on était à la cour. Ce monde du théâtre prolongeait le monde réel, dans une farce grave, sous la buée ardente du gaz. Nana, oubliant qu'elle était en pantalon, avec son bout de chemise, jouait la grande dame, la reine Vénus, ouvrant ses petits appartements aux personnages de l'État. A chaque phrase, elle lâchait les mots d'Altesse Royale, elle faisait des révérences convaincues, traitait ces chienlits de Bosc et de Prullière en souverain que son ministre accompagne. Et personne ne souriait de cet étrange mélange, de ce vrai prince, héritier d'un trône, qui buvait le champagne d'un cabotin, très à l'aise dans ce carnaval des dieux, dans cette mascarade de la royauté, au milieu d'un peuple d'habilleuses et de filles, de rouleurs de planches et de montreurs de femmes. Bordenave, enlevé par cette mise en scène, songeait aux recettes qu'il ferait, si Son Altesse avait consenti à paraître comme ça, au second acte de la _Blonde Vénus_. -- Dites donc, cria-t-il, devenant familier, nous allons faire descendre mes petites femmes. Nana ne voulut pas. Elle-même pourtant se lâchait. Fontan l'attirait, avec son masque de grotesque. Se frottant contre lui, le couvant d'un regard de femme enceinte qui a envie de manger quelque chose de malpropre, elle le tutoya tout à coup. -- Voyons, verse, grande bête! Fontan remplit de nouveau les verres, et l'on but, en répétant les mêmes toasts. -- A Son Altesse! -- A l'armée! -- A Vénus! Mais Nana réclamait le silence du geste. Elle leva son verre très haut, elle dit: -- Non, non, à Fontan!... C'est la fête de Fontan, à Fontan! à Fontan! Alors, on trinqua une troisième fois, on acclama Fontan. Le prince, qui avait regardé la jeune femme manger le comique des yeux, salua celui-ci. -- Monsieur Fontan, dit-il avec sa haute politesse, je bois à vos succès. Cependant, la redingote de Son Altesse essuyait, derrière elle, le marbre de la toilette. C'était comme un fond d'alcôve, comme une étroite chambre de bain, avec la vapeur de la cuvette et des éponges, le violent parfum des essences, mêlé à la pointe d'ivresse aigrelette du vin de champagne. Le prince et le comte Muffat, entre lesquels Nana se trouvait prise, devaient lever les mains, pour ne pas lui frôler les hanches ou la gorge, au moindre geste. Et, sans une goutte de sueur, madame Jules attendait de son air raide, tandis que Satin, étonnée dans son vice de voir un prince et des messieurs en habit se mettre avec des déguisés après une femme nue, songeait tout bas que les gens chic n'étaient déjà pas si propres. Mais, dans le couloir, le tintement de la sonnette du père Barillot approchait. Quand il parut à la porte de la loge, il resta saisi, en apercevant les trois acteurs encore dans leurs costumes du second acte. -- Oh! messieurs, messieurs, bégaya-t-il, dépêchez-vous... On vient de sonner au foyer du public. -- Bah! dit tranquillement Bordenave, le public attendra. Toutefois, après de nouveaux saluts, comme les bouteilles étaient vides, les comédiens montèrent s'habiller. Bosc, ayant trempé sa barbe de champagne, venait de l'ôter, et sous cette barbe vénérable l'ivrogne avait brusquement reparu, avec sa face ravagée et bleuie de vieil acteur tombé dans le vin. On l'entendit, au pied de l'escalier, qui disait à Fontan, de sa voix de rogomme, en parlant du prince: -- Hein, je l'ai épaté! Il ne restait dans la loge de Nana que Son Altesse, le comte et le marquis. Bordenave s'était éloigné avec Barillot, auquel il recommandait de ne pas frapper sans avertir madame. -- Messieurs, vous permettez, demanda Nana, qui se mit à refaire ses bras et sa figure, qu'elle soignait surtout pour le nu du troisième acte. Le prince prit place sur le divan, avec le marquis de Chouard. Seul le comte Muffat demeurait debout. Les deux verres de champagne, dans cette chaleur suffocante, avaient augmenté leur ivresse. Satin, en voyant les messieurs s'enfermer avec son amie, avait cru discret de disparaître derrière le rideau; et elle attendait là, sur une malle, embêtée de poser, pendant que madame Jules allait et venait tranquillement, sans un mot, sans un regard. -- Vous avez merveilleusement chanté votre ronde, dit le prince. Alors, la conversation s'établit, mais par courtes phrases, coupées de silences. Nana ne pouvait toujours répondre. Après s'être passé du cold-cream avec la main sur les bras et sur la figure, elle étalait le blanc gras, à l'aide d'un coin de serviette. Un instant, elle cessa de se regarder dans la glace, elle sourit en glissant un regard vers le prince, sans lâcher le blanc gras. -- Son Altesse me gâte, murmura-t-elle. C'était toute une besogne compliquée, que le marquis de Chouard suivait d'un air de jouissance béate. Il parla à son tour. -- L'orchestre, dit-il, ne pourrait-il pas vous accompagner plus en sourdine? Il couvre votre voix, c'est un crime impardonnable. Cette fois, Nana ne se retourna point. Elle avait pris la patte de lièvre, elle la promenait légèrement, très attentive, si cambrée au-dessus de la toilette, que la rondeur blanche de son pantalon saillait et se tendait, avec le petit bout de chemise. Mais elle voulut se montrer sensible au compliment du vieillard, elle s'agita en balançant les hanches. Un silence régna. Madame Jules avait remarqué une déchirure à la jambe droite du pantalon. Elle prit une épingle sur son coeur, elle resta un moment par terre, à genoux, occupée autour de la cuisse de Nana, pendant que la jeune femme, sans paraître la savoir là, se couvrait de poudre de riz, en évitant soigneusement d'en mettre sur les pommettes. Mais, comme le prince disait que, si elle venait chanter à Londres, toute l'Angleterre voudrait l'applaudir, elle eut un rire aimable, elle se tourna une seconde, la joue gauche très blanche, au milieu d'un nuage de poudre. Puis, elle devint subitement sérieuse; il s'agissait de mettre le rouge. De nouveau, le visage près de la glace, elle trempait son doigt dans un pot, elle appliquait le rouge sous les yeux, l'étalait doucement, jusqu'à la tempe. Ces messieurs se taisaient, respectueux. Le comte Muffat n'avait pas encore ouvert les lèvres. Il songeait invinciblement à sa jeunesse. Sa chambre d'enfant était toute froide. Plus tard, à seize ans, lorsqu'il embrassait sa mère, chaque soir, il emportait jusque dans son sommeil la glace de ce baiser. Un jour, en passant, il avait aperçu, par une porte entrebâillée, une servante qui se débarbouillait; et c'était l'unique souvenir qui l'eût troublé, de la puberté à son mariage. 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