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Elle était ramenée aux sensations neuves d'une gamine; et le soir, lorsque, étourdie par sa journée vécue au grand air, grisée de l'odeur des feuilles, elle montait rejoindre son Zizi, caché derrière le rideau, ça lui semblait une escapade de pensionnaire en vacances, un amour avec un petit cousin qu'elle devait épouser, tremblante au moindre bruit, redoutant que ses parents ne l'entendissent, goûtant les tâtonnements délicieux et les voluptueuses épouvantes d'une première faute. Nana eut, à ce moment, des fantaisies de fille sentimentale. Elle regardait la lune pendant des heures. Une nuit, elle voulut descendre au jardin avec Georges, quand toute la maison fut endormie; et ils se promenèrent sous les arbres, les bras à la taille, et ils allèrent se coucher dans l'herbe, où la rosée les trempa. Une autre fois, dans la chambre, après un silence, elle sanglota au cou du petit, en balbutiant qu'elle avait peur de mourir. Elle chantait souvent à demi-voix une romance de madame Lerat, pleine de fleurs et d'oiseaux, s'attendrissant aux larmes, s'interrompant pour prendre Georges dans une étreinte de passion, en exigeant de lui des serments d'amour éternel. Enfin, elle était bête, comme elle le reconnaissait elle-même, lorsque tous les deux, redevenus camarades, fumaient des cigarettes au bord du lit, les jambes nues, tapant le bois des talons. Mais ce qui acheva de fondre le coeur de la jeune femme, ce fut l'arrivée de Louiset. Sa crise de maternité eut la violence d'un coup de folie. Elle emportait son fils au soleil pour le regarder gigoter; elle se roulait avec lui sur l'herbe, après l'avoir habillé comme un jeune prince. Tout de suite elle voulut qu'il dormît près d'elle, dans la chambre voisine, où madame Lerat, très impressionnée par la campagne, ronflait, dès qu'elle était sur le dos. Et Louiset ne faisait pas le moindre tort à Zizi, au contraire. Elle disait qu'elle avait deux enfants, elle les confondait dans le même caprice de tendresse. La nuit, à plus de dix reprises, elle lâchait Zizi pour voir si Louiset avait une bonne respiration; mais, quand elle revenait, elle reprenait son Zizi avec un restant de ses caresses maternelles, elle faisait la maman; tandis que lui, vicieux, aimant bien être petit aux bras de cette grande fille, se laissait bercer comme un bébé qu'on endort. C'était si bon, que, charmée de cette existence, elle lui proposa sérieusement de ne plus jamais quitter la campagne. Ils renverraient tout le monde, ils vivraient seuls, lui, elle et l'enfant. Et ils firent mille projets, jusqu'à l'aube, sans entendre madame Lerat, qui ronflait à poings fermés, lasse d'avoir cueilli des fleurs champêtres. Cette belle vie dura près d'une semaine. Le comte Muffat venait tous les soirs, et s'en retournait, la face gonflée, les mains brûlantes. Un soir, il ne fut même pas reçu, Steiner ayant dû faire un voyage à Paris; on lui dit que madame était souffrante. Nana se révoltait davantage chaque jour, à l'idée de tromper Georges. Un petit si innocent, et qui croyait en elle! Elle se serait regardée comme la dernière des dernières. Puis, ça l'aurait dégoûtée. Zoé, qui assistait, muette et dédaigneuse, à cette aventure, pensait que madame devenait bête. Le sixième jour, tout d'un coup, une bande de visiteurs tomba dans cette idylle. Nana avait invité un tas de monde, croyant qu'on ne viendrait pas. Aussi, une après-midi, demeura-t-elle stupéfaite et très contrariée, en voyant un omnibus complet s'arrêter devant la grille de la Mignotte. -- C'est nous! cria Mignon qui, le premier, descendit de la voiture, d'où il tira ses fils, Henri et Charles. Labordette parut ensuite, donnant la main à un défilé interminable de dames: Lucy Stewart, Caroline Héquet, Tatan Néné, Maria Blond. Nana espérait que c'était fini, lorsque la Faloise sauta du marchepied, pour recevoir dans ses bras tremblants Gaga et sa fille Amélie. Ça faisait onze personnes. L'installation fut laborieuse. Il y avait, à la Mignotte, cinq chambres d'amis, dont une était déjà occupée par madame Lerat et Louiset. On donna la plus grande au ménage Gaga et la Faloise, en décidant qu'Amélie coucherait sur un lit de sangle, à côté, dans le cabinet de toilette. Mignon et ses deux fils eurent la troisième chambre; Labordette, la quatrième. Restait une pièce qu'on transforma en dortoir, avec quatre lits pour Lucy, Caroline, Tatan et Maria. Quant à Steiner, il dormirait sur le divan du salon. Au bout d'une heure, lorsque tout son monde fut casé, Nana, d'abord furieuse, était enchantée de jouer à la châtelaine. Ces dames la complimentaient sur la Mignotte, une propriété renversante, ma chère! Puis, elles lui apportaient une bouffée de l'air de Paris, les potins de cette dernière semaine, parlant toutes à la fois, avec des rires, des exclamations, des tapes. A propos, et Bordenave! qu'avait-il dit de sa fugue? Mais pas grand-chose. Après avoir gueulé qu'il la ferait ramener par les gendarmes, il l'avait simplement doublée, le soir; même que la doublure, la petite Violaine, obtenait, dans la _Blonde Vénus_, un très joli succès. Cette nouvelle rendit Nana sérieuse. Il n'était que quatre heures. On parla de faire un tour. -- Vous ne savez pas, dit Nana, je partais ramasser des pommes de terre, quand vous êtes arrivés. Alors, tous voulurent aller ramasser des pommes de terre, sans même changer de vêtements. Ce fut une partie. Le jardinier et deux aides se trouvaient déjà dans le champ, au fond de la propriété. Ces dames se mirent à genoux, fouillant la terre avec leurs bagues, poussant des cris, lorsqu'elles découvraient une pomme de terre très grosse. Ça leur semblait si amusant! Mais Tatan Néné triomphait; elle en avait tellement ramassé dans sa jeunesse, qu'elle s'oubliait et donnait des conseils aux autres, en les traitant de bêtes. Les messieurs travaillaient plus mollement. Mignon, l'air brave homme, profitait de son séjour à la campagne pour compléter l'éducation de ses fils: il leur parlait de Parmentier. Le soir, le dîner fut d'une gaieté folle. On dévorait. Nana, très lancée, s'empoigna avec son maître d'hôtel, un garçon qui avait servi à l'évêché d'Orléans. Au café, les dames fumèrent. Un bruit de noce à tout casser sortait par les fenêtres, se mourait au loin dans la sérénité du soir; tandis que les paysans, attardés entre les haies, tournant la tête, regardaient la maison flambante. -- Ah! c'est embêtant que vous repartiez après-demain, dit Nana. Enfin, nous allons toujours organiser quelque chose. Et l'on décida qu'on irait le lendemain, un dimanche, visiter les ruines de l'ancienne abbaye de Chamont, qui se trouvaient à sept kilomètres. Cinq voitures viendraient d'Orléans prendre la société après le déjeuner, et la ramèneraient dîner à la Mignotte, vers sept heures. Ce serait charmant. Ce soir-là, comme d'habitude, le comte Muffat monta le coteau pour sonner à la grille. Mais le flamboiement des fenêtres, les grands rires, l'étonnèrent. Il comprit, en reconnaissant la voix de Mignon, et s'éloigna, enragé par ce nouvel obstacle, poussé à bout, résolu à quelque violence. Georges, qui passait par une petite porte dont il avait une clef, monta tranquillement dans la chambre de Nana, en filant le long des murs. Seulement, il dut l'attendre jusqu'à minuit passé. Elle parut enfin, très grise, plus maternelle encore que les autres nuits; quand elle buvait, ça la rendait si amoureuse, qu'elle en devenait collante. Ainsi, elle voulait absolument qu'il l'accompagnât à l'abbaye de Chamont. Lui résistait, ayant peur d'être vu; si on l'apercevait en voiture avec elle, ça ferait un scandale abominable. Mais elle fondit en larmes, prise d'un désespoir bruyant de femme sacrifiée, et il la consola, il lui promit formellement d'être de la partie. -- Alors, tu m'aimes bien, bégayait-elle. Répète que tu m'aimes bien... Dis? mon loup chéri, si je mourais, est-ce que ça te ferait beaucoup de peine? Aux Fondettes, le voisinage de Nana bouleversait la maison. Chaque matin, pendant le déjeuner, la bonne madame Hugon revenait malgré elle sur cette femme, racontant ce que son jardinier lui rapportait, éprouvant cette sorte d'obsession qu'exercent les filles sur les bourgeoises les plus dignes. Elle, si tolérante, était révoltée, exaspérée, avec le vague pressentiment d'un malheur, qui l'effrayait, le soir, comme si elle eût connu la présence dans la contrée d'une bête échappée de quelque ménagerie. Aussi cherchait-elle querelle à ses invités, en les accusant tous de rôder autour de la Mignotte. On avait vu le comte de Vandeuvres rire sur une grande route avec une dame en cheveux; mais il se défendait, il reniait Nana, car c'était en effet Lucy qui l'accompagnait, pour lui conter comment elle venait de flanquer son troisième prince à la porte. Le marquis de Chouard sortait aussi tous les jours; seulement, il parlait d'une ordonnance de son docteur. Pour Daguenet et Fauchery, madame Hugon se montrait injuste. Le premier surtout ne quittait pas les Fondettes, renonçant au projet de renouer, montrant auprès d'Estelle un respectueux empressement. Fauchery restait de même avec les dames Muffat. Une seule fois, il avait rencontré dans un sentier Mignon, les bras pleins de fleurs, faisant un cours de botanique à ses fils. Les deux hommes s'étaient serré la main, en se donnant des nouvelles de Rose; elle se portait parfaitement, ils avaient chacun reçu le matin une lettre, où elle les priait de profiter quelque temps encore du bon air. De tous ses hôtes, la vieille dame n'épargnait donc que le comte Muffat et Georges; le comte, qui prétendait avoir de graves affaires à Orléans, ne pouvait courir la gueuse; et quant à Georges, le pauvre enfant finissait par l'inquiéter, car il était pris chaque soir de migraines épouvantables, qui le forçaient de se coucher au jour. Cependant, Fauchery s'était fait le cavalier ordinaire de la comtesse Sabine, tandis que le comte s'absentait toutes les après-midi. Lorsqu'on allait au bout du parc, il portait son pliant et son ombrelle. 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