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Nana le regardait, stupéfaite. Lui, continuait avec complaisance: -- Tu comprends, je ne suis pas assez bête pour entretenir des tantes et des enfants qui ne sont pas à moi... Ça t'a plu de dépenser ton argent, ça te regarde; mais le mien, c'est sacré!... Quand tu feras cuire un gigot, j'en paierai la moitié. Le soir, nous réglerons, voilà! Du coup, Nana fut révoltée. Elle ne put retenir ce cri: -- Dis donc, tu as bien mangé mes dix mille francs... C'est cochon, ça! Mais il ne s'attarda pas à discuter davantage. Par-dessus la table, à toute volée, il lui allongea un soufflet, en disant: -- Répète un peu! Elle répéta, malgré la claque, et il tomba sur elle, à coups de pied et à coups de poing. Bientôt, il l'eut mise dans un tel état, qu'elle finit, comme d'habitude, par se déshabiller et se coucher en pleurant. Lui, soufflait. Il se couchait à son tour, lorsqu'il aperçut, sur la table, la lettre qu'il avait écrite à Georges. Alors, il la plia avec soin, tourné vers le lit, en disant d'un air menaçant: -- Elle est très bien, je la mettrai à la poste moi-même, parce que je n'aime pas les caprices... Et ne geins plus, tu m'agaces. Nana, qui pleurait à petits soupirs, retint son souffle. Quand il fut couché, elle étouffa, elle se jeta sur sa poitrine en sanglotant. Leurs batteries se terminaient toujours par là; elle tremblait de le perdre, elle avait un lâche besoin de le savoir à elle, malgré tout. A deux reprises, il la repoussa d'un geste superbe. Mais l'embrassement tiède de cette femme qui le suppliait, avec ses grands yeux mouillés de bête fidèle, le chauffa d'un désir. Et il se fit bon prince, sans pourtant s'abaisser à aucune avance; il se laissa caresser et prendre de force, en homme dont le pardon vaut la peine d'être gagné. Puis il fut saisi d'une inquiétude, il craignit que Nana ne jouât une comédie pour ravoir la clef de la caisse. La bougie était éteinte, lorsqu'il éprouva le besoin de maintenir sa volonté. -- Tu sais, ma fille, c'est très sérieux, je garde l'argent. Nana, qui s'endormait à son cou, trouva un mot sublime. -- Oui, n'aie pas peur... Je travaillerai. Mais, à partir de cette soirée, la vie entre eux devint de plus en plus difficile. D'un bout de la semaine à l'autre, il y avait un bruit de gifles, un vrai tic-tac d'horloge, qui semblait régler leur existence. Nana, à force d'être battue, prenait une souplesse de linge fin; et ça la rendait délicate de peau, rose et blanche de teint, si douce au toucher, si claire à l'oeil, qu'elle avait encore embelli. Aussi Prullière s'enrageait-il après ses jupes, venant lorsque Fontan n'était pas là, la poussant dans les coins pour l'embrasser. Mais elle se débattait, indignée tout de suite, avec des rougeurs de honte; elle trouvait dégoûtant qu'il voulût tromper un ami. Alors, Prullière ricanait d'un air vexé. Vrai, elle devenait joliment bête! Comment pouvait-elle s'attacher à un pareil singe? car, enfin, Fontan était un vrai singe, avec son grand nez toujours en branle. Une sale tête! Et un homme qui l'assommait encore! -- Possible, je l'aime comme ça, répondit-elle, un jour, de l'air tranquille d'une femme avouant un goût abominable. Bosc se contentait de dîner le plus souvent possible. Il haussait les épaules derrière Prullière; un joli garçon, mais un garçon pas sérieux. Lui, plusieurs fois, avait assisté à des scènes dans le ménage; au dessert, lorsque Fontan giflait Nana, il continuait à mâcher gravement, trouvant ça naturel. Pour payer son dîner, il s'extasiait toujours sur leur bonheur. Il se proclamait philosophe, il avait renoncé à tout, même à la gloire. Prullière et Fontan, parfois, renversés sur leur chaise, s'oubliaient devant la table desservie, se racontaient leurs succès jusqu'à deux heures du matin, avec leurs gestes et leur voix de théâtre; tandis que lui, absorbé, ne lâchant de loin en loin qu'un petit souffle de dédain, achevait silencieusement la bouteille de cognac. Qu'est-ce qu'il restait de Talma? Rien, alors qu'on lui fichât la paix, c'était trop bête! Un soir, il trouva Nana en larmes. Elle ôta sa camisole pour montrer son dos et ses bras noirs de coups. Il lui regarda la peau, sans être tenté d'abuser de la situation, comme l'aurait fait cet imbécile de Prullière. Puis, sentencieusement: -- Ma fille, où il y a des femmes, il y a des claques. C'est Napoléon qui a dit ça, je crois... Lave-toi avec de l'eau salée. Excellent, l'eau salée, pour ces bobos. Va, tu en recevras d'autres, et ne te plains pas, tant que tu n'auras rien de cassé... Tu sais, je m'invite, j'ai vu un gigot. Mais madame Lerat n'avait pas cette philosophie. Chaque fois que Nana lui montrait un nouveau bleu sur sa peau blanche, elle poussait les hauts cris. On lui tuait sa nièce, ça ne pouvait pas durer. A la vérité, Fontan avait mis à la porte madame Lerat, en disant qu'il ne voulait plus la rencontrer chez lui; et, depuis ce jour, quand elle était là et qu'il rentrait, elle devait s'en aller par la cuisine, ce qui l'humiliait horriblement. Aussi ne tarissait-elle pas contre ce grossier personnage. Elle lui reprochait surtout d'être mal élevé, avec des mines de femme comme il faut, à qui personne ne pouvait en remontrer sur la bonne éducation. -- Oh! ça se voit tout de suite, disait-elle à Nana, il n'a pas le sentiment des moindres convenances. Sa mère devait être commune; ne dis pas non, ça se sent!... Je ne parle pas pour moi, bien qu'une personne de mon âge ait droit aux égards... Mais toi, vraiment, comment fais-tu pour endurer ses mauvaises manières; car, sans me flatter, je t'ai toujours appris à te tenir, et tu as reçu chez toi les meilleurs conseils. Hein? nous étions tous très bien dans la famille. Nana ne protestait pas, écoutait la tête basse. -- Puis, continuait la tante, tu n'as connu que des personnes distinguées... Justement, nous causions de ça, hier soir, avec Zoé, chez moi. Elle non plus ne comprend pas. «Comment, disait-elle, madame qui menait monsieur le comte, un homme si parfait, au doigt et à l'oeil,--car, entre nous, il paraît que tu le faisais tourner en bourrique,--comment madame peut-elle se laisser massacrer par ce polichinelle?» Moi, j'ai ajouté que les coups, ça se supportait encore, mais que jamais je n'aurais souffert le manque d'égards... Enfin, il n'a rien pour lui. Je ne le voudrais pas dans ma chambre en peinture. Et tu te ruines pour un oiseau pareil; oui, tu te ruines, ma chérie, tu tires la langue, lorsqu'il y en a tant, et des plus riches, et des personnages du gouvernement... Suffit! ce n'est pas moi qui dois dire ces choses. Mais, à la première saleté, je te le planterais là, avec un: «Monsieur, pour qui me prenez-vous?» tu sais, de ton grand air, qui lui couperait bras et jambes. Alors, Nana éclatait en sanglots, balbutiant: -- Oh! ma tante, je l'aime. La vérité était que madame Lerat se sentait inquiète, en voyant sa nièce lui donner à grand-peine des pièces de vingt sous de loin en loin, pour payer la pension du petit Louis. Sans doute, elle se dévouerait, elle garderait quand même l'enfant et attendrait des temps meilleurs. Mais l'idée que Fontan les empêchait, elle, le gamin et sa mère, de nager dans l'or, l'enrageait au point de lui faire nier l'amour. Aussi concluait-elle par ces paroles sévères: -- Écoute, un jour qu'il t'aura enlevé la peau du ventre, tu viendras frapper à ma porte, et je t'ouvrirai. Bientôt l'argent devint le gros souci de Nana. Fontan avait fait disparaître les sept mille francs; sans doute, ils étaient en lieu sûr, et jamais elle n'aurait osé le questionner, car elle montrait des pudeurs avec cet oiseau, comme l'appelait madame Lerat. Elle tremblait qu'il pût la croire capable de tenir à lui pour ses quatre sous. Il avait bien promis de fournir aux besoins du ménage. Les premiers jours, chaque matin, il donnait trois francs. Mais c'étaient des exigences d'homme qui paie; avec ses trois francs, il voulait de tout, du beurre, de la viande, des primeurs; et, si elle risquait des observations, si elle insinuait qu'on ne pouvait pas avoir les Halles pour trois francs, il s'emportait, il la traitait de bonne à rien, de gâcheuse, de fichue bête que les marchands volaient, toujours prêt d'ailleurs à la menacer de prendre pension autre part. Puis, au bout d'un mois, certains matins, il avait oublié de mettre les trois francs sur la commode. Elle s'était permis de les demander, timidement, d'une façon détournée. Alors, il y avait eu de telles querelles, il lui rendait la vie si dure sous le premier prétexte venu, qu'elle préférait ne plus compter sur lui. Au contraire, quand il n'avait pas laissé les trois pièces de vingt sous, et qu'il trouvait tout de même à manger, il était gai comme un pinson, galant, baisant Nana, valsant avec les chaises. Et elle, tout heureuse, en arrivait à souhaiter de ne rien trouver sur la commode, malgré le mal qu'elle avait à joindre les deux bouts. Un jour même, elle lui rendit ses trois francs, contant une histoire, disant avoir encore l'argent de la veille. Comme il n'avait pas donné la veille, il demeura un instant hésitant, par crainte d'une leçon. Mais elle le regardait de ses yeux d'amour, elle le baisait dans un don absolu de toute sa personne; et il rempocha les pièces, avec le petit tremblement convulsif d'un avare qui rattrape une somme compromise. A partir de ce jour, il ne s'inquiéta plus, ne demandant jamais d'où venait la monnaie, la mine grise quand il y avait des pommes de terre, riant à se décrocher les mâchoires devant les dindes et les gigots, sans préjudice pourtant de quelques claques qu'il allongeait à Nana, même dans son bonheur, pour s'entretenir la main. Nana avait donc trouvé le moyen de suffire à tout. La maison, certains jours, regorgeait de nourriture. Deux fois par semaine, Bosc prenait des indigestions. Un soir que madame Lerat se retirait, enragée de voir au feu un dîner copieux dont elle ne mangerait pas, elle ne put s'empêcher de demander brutalement qui est-ce qui payait. Pages: | Prev | | 1 | | 2 | | 3 | | 4 | | 5 | | 6 | | 7 | | 8 | | 9 | | 10 | | 11 | | 12 | | 13 | | 14 | | 15 | | 16 | | 17 | | 18 | | 19 | | 20 | | 21 | | 22 | | 23 | | 24 | | 25 | | 26 | | 27 | | 28 | | 29 | | 30 | | 31 | | 32 | | 33 | | 34 | | 35 | | 36 | | 37 | | 38 | | 39 | | 40 | | 41 | | 42 | | 43 | | 44 | | 45 | | 46 | | 47 | | 48 | | 49 | | 50 | | 51 | | 52 | | 53 | | 54 | | 55 | | 56 | | 57 | | 58 | | 59 | | 60 | | 61 | | 62 | | 63 | | 64 | | 65 | | 66 | | 67 | | 68 | | 69 | | 70 | | 71 | | 72 | | 73 | | 74 | | 75 | | 76 | | 77 | | 78 | | 79 | | 80 | | 81 | | 82 | | 83 | | 84 | | 85 | | 86 | | 87 | | 88 | | Next | |
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