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Nana l'éblouit, il accourut, se tint sur le marchepied de la voiture; et, comme elle le plaisantait au sujet de Gaga, il murmura: -- Ah! non, fini, la vieille garde! Faut plus me la faire! Et puis, vous savez, c'est vous, maintenant, ma Juliette... Il avait mis la main sur son coeur. Nana riait beaucoup de cette déclaration si brusque, en plein air. Mais elle reprit: -- Dites donc, ce n'est pas tout ça. Vous me faites oublier que je veux parier... Georges, tu vois ce bookmaker, là-bas, le gros rouge, avec des cheveux crépus. Il a une tête de sale canaille qui me plaît... Tu vas aller lui prendre... Hein? que peut-on bien lui prendre? -- Moi, pas patriote, oh! non! bégayait la Faloise, moi, tout sur l'Anglais... Très chic, si l'Anglais gagne! à Chaillot, les Français! Nana fut scandalisée. Alors, on discuta les mérites des chevaux. La Faloise, pour affecter d'être très au courant, les traitait tous de rosses. Frangipane, au baron Verdier, était par The Truth et Lenore; un grand bai, qui aurait eu des chances, si on ne l'avait pas fourbu à l'entraînement. Quant à Valerio II, de l'écurie Corbreuse, il n'était pas prêt, il avait eu des tranchées en avril; oh! on cachait ça, mais lui en était sûr, parole d'honneur! Et il finit par conseiller Hasard, un cheval de l'écurie Méchain, le plus défectueux de tous, dont personne ne voulait. Fichtre! Hasard, une forme superbe, et une action! Voilà une bête qui allait surprendre son monde! -- Non, dit Nana. Je vais mettre dix louis sur Lusignan et cinq sur Boum. Du coup, la Faloise éclata. -- Mais, ma chère, infect, Boum! Prenez pas ça! Gasc lui-même lâche son cheval... Et votre Lusignan, jamais! Des blagues! Par Lamb et Princess, songez donc! Jamais, par Lamb et Princess! tous trop courts de jambes! Il s'étranglait. Philippe fit remarquer que pourtant Lusignan avait gagné le prix Des Cars et la Grande Poule des Produits. Mais l'autre repartit. Qu'est-ce que ça prouvait? Rien du tout. Au contraire, il fallait se défier. Et, d'ailleurs, c'était Gresham qui montait Lusignan; alors, qu'on lui fichât la paix! Gresham avait la guigne, jamais il n'arrivait. Et, d'un bout à l'autre de la pelouse, la discussion qui s'élevait dans le landau de Nana semblait s'élargir. Des voix glapissantes montaient, la passion du jeu soufflait, allumant les visages, détraquant les gestes; tandis que les bookmakers, perchés sur leurs voitures, criaient des cotes, inscrivaient des chiffres, furieusement. Il n'y avait là que le fretin des parieurs, les forts paris se faisaient dans l'enceinte du pesage; et c'était une âpreté des petites bourses risquant cent sous, toutes les convoitises étalées pour un gain possible de quelques louis. En somme, la grande bataille se livrait entre Spirit et Lusignan. Des Anglais, reconnaissables, se promenaient parmi les groupes, comme chez eux, la face enflammée, triomphant déjà. Bramah, un cheval de lord Reading, avait gagné le Grand Prix, l'année précédente: défaite dont les coeurs saignaient encore. Cette année, ce serait un désastre, si la France était battue de nouveau. Aussi toutes ces dames se passionnaient-elles, par orgueil national. L'écurie Vandeuvres devenait le rempart de notre honneur, on poussait Lusignan, on le défendait, on l'acclamait. Gaga, Blanche, Caroline et les autres pariaient pour Lusignan. Lucy Stewart s'abstenait, à cause de son fils; mais le bruit courait que Rose Mignon avait donné commission à Labordette pour deux cents louis. Seule, la Tricon, assise près de son cocher, attendait la dernière minute; très froide au milieu des querelles, dominant le tapage croissant où les noms des chevaux revenaient, dans des phrases vives de Parisiens, mêlées aux exclamations gutturales des Anglais, elle écoutait, elle prenait des notes, d'un air de majesté. -- Et Nana? dit Georges. Personne n'en demande? Personne n'en demandait, en effet; on n'en parlait même pas. L'outsider de l'écurie Vandeuvres disparaissait dans la popularité de Lusignan. Mais la Faloise leva les bras en l'air, disant: -- J'ai une inspiration... Je mets un louis sur Nana. -- Bravo! je mets deux louis, dit Georges. -- Moi, trois louis, ajouta Philippe. Et ils montèrent, ils firent leur cour, plaisamment, lançant des chiffres, comme s'ils s'étaient disputé Nana aux enchères. La Faloise parlait de la couvrir d'or. D'ailleurs, tout le monde devait mettre, on allait racoler des parieurs. Mais, comme les trois jeunes gens s'échappaient, pour faire de la propagande, Nana leur cria: -- Vous savez, je n'en veux pas, moi! Pour rien au monde!... Georges, dix louis sur Lusignan et cinq sur Valerio II. Cependant, ils s'étaient lancés. Égayée, elle les regardait se couler entre les roues, se baisser sous les têtes des chevaux, battre la pelouse entière. Dès qu'ils reconnaissaient quelqu'un dans une voiture, ils accouraient, ils poussaient Nana. Et c'étaient de grands éclats de rire qui passaient sur la foule, lorsque parfois ils se retournaient, triomphants, indiquant des nombres avec le doigt, tandis que la jeune femme, debout, agitait son ombrelle. Pourtant, ils faisaient d'assez pauvre besogne. Quelques hommes se laissaient convaincre; par exemple, Steiner, que la vue de Nana remuait, risqua trois louis. Mais les femmes refusaient, absolument. Merci, pour perdre à coup sûr! Puis, ce n'était pas pressé de travailler au succès d'une sale fille qui les écrasait toutes, avec ses quatre chevaux blancs, ses postillons, son air d'avaler le monde. Gaga et Clarisse, très pincées, demandèrent à la Faloise s'il se fichait d'elles. Quand Georges, hardiment, se présenta devant le landau des Mignon, Rose, outrée, tourna la tête, sans répondre. Il fallait être une jolie ordure, pour laisser donner son nom à un cheval! Au contraire, Mignon suivit le jeune homme, l'air amusé, disant que les femmes portaient toujours bonheur. -- Eh bien? demanda Nana, quand les jeunes gens revinrent, après une longue visite aux bookmakers. -- Vous êtes à quarante, dit la Faloise. -- Comment? à quarante! cria-t-elle, stupéfaite. J'étais à cinquante... Que se passe-t-il? Labordette, justement, avait reparu. On fermait la piste, une volée de cloche annonçait la première course. Et, dans le brouhaha d'attention, elle le questionna sur cette hausse brusque de la cote. Mais il répondit évasivement; sans doute des demandes s'étaient produites. Elle dut se contenter de cette explication. D'ailleurs, Labordette, l'air préoccupé, lui annonça que Vandeuvres allait venir, s'il pouvait s'échapper. La course s'achevait, comme inaperçue dans l'attente du Grand Prix, lorsqu'un nuage creva sur l'Hippodrome. Depuis un instant, le soleil avait disparu, un jour livide assombrissait la foule. Le vent se leva, ce fut un brusque déluge, des gouttes énormes, des paquets d'eau qui tombaient. il y eut une minute de confusion, des cris, des plaisanteries, des jurements, au milieu du sauve-qui-peut des piétons galopant et se réfugiant sous les tentes des buvettes. Dans les voitures, les femmes tâchaient de s'abriter, tenaient à deux mains leurs ombrelles, pendant que les laquais effarés couraient aux capotes. Mais l'averse cessait déjà, le soleil resplendissait dans la poussière de pluie qui volait encore. Une déchirure bleue s'ouvrait derrière la nuée, emportée au-dessus du Bois. Et c'était comme une gaieté du ciel, soulevant les rires des femmes rassurées; tandis que la nappe d'or, dans l'ébrouement des chevaux, dans la débandade et l'agitation de cette foule trempée qui se secouait, allumait la pelouse toute ruisselante de gouttes de cristal. -- Ah! ce pauvre Louiset! dit Nana. Es-tu beaucoup mouillé, mon chéri? Le petit, sans parler, se laissa essuyer les mains. La jeune femme avait pris son mouchoir. Elle tamponna ensuite Bijou, qui tremblait plus fort. Ce ne serait rien, quelques taches sur le satin blanc de sa toilette; mais elle s'en fichait. Les bouquets, rafraîchis, avaient un éclat de neige; et elle en respirait un, heureuse, mouillant ses lèvres comme dans de la rosée. Cependant, ce coup de pluie avait brusquement empli les tribunes. Nana regardait avec sa jumelle. A cette distance, on distinguait seulement une masse compacte et brouillée, entassée sur les gradins, un fond sombre que les taches pâles des figures éclairaient. Le soleil glissait par des coins de toiture, écornait la foule assise d'un angle de lumière, où les toilettes semblaient déteindre. Mais Nana s'amusait surtout des dames que l'averse avait chassées des rangées de chaises, alignées sur le sable, au pied des tribunes. Comme l'entrée de l'enceinte du pesage était absolument interdite aux filles, Nana faisait des remarques pleines d'aigreur sur toutes ces femmes comme il faut, qu'elle trouvait fagotées, avec de drôles de têtes. Une rumeur courut, l'impératrice entrait dans la petite tribune centrale, un pavillon en forme de chalet, dont le large balcon était garni de fauteuils rouges. -- Mais c'est lui! dit Georges. Je ne le croyais pas de service, cette semaine. La figure raide et solennelle du comte Muffat avait paru derrière l'impératrice. Alors, les jeunes gens plaisantèrent, regrettant que Satin ne fût pas là, pour aller lui taper sur le ventre. Mais Nana rencontra au bout de sa jumelle la tête du prince d'Écosse, dans la tribune impériale. -- Tiens! Charles! cria-t-elle. Elle le trouvait engraissé. En dix-huit mois, il s'était élargi. Et elle donna des détails: oh! un gaillard bâti solidement. Autour d'elle, dans les voitures de ces dames, on chuchotait que le comte l'avait lâchée. C'était toute une histoire. Les Tuileries se scandalisaient de la conduite du chambellan, depuis qu'il s'affichait. Alors, pour garder sa situation, il venait de rompre. La Faloise, carrément, rapporta cette histoire à la jeune femme, s'offrant de nouveau, en l'appelant «sa Juliette». Mais elle eut un beau rire, elle dit: -- Cet imbécile... Vous ne le connaissez pas; je n'ai qu'à faire pst! pour qu'il lâche tout. Depuis un instant, elle examinait la comtesse Sabine et Estelle. Daguenet était encore près de ces dames. 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