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Mais, cette fois, le bobo était sérieux. Muffat se retirait, très ému. Il n'éprouvait plus qu'un attendrissement, à voir sa pauvre Nana si faible. Comme il sortait, elle le rappela d'un signe, elle lui tendit le front; et, à voix basse, d'un air de menace plaisante: -- Tu sais ce que je t'ai permis... Retourne avec ta femme, ou plus rien, je me fâche! La comtesse Sabine avait voulu que le contrat de sa fille fût signé un mardi, pour inaugurer par une fête l'hôtel restauré, où les peintures séchaient à peine. Cinq cents invitations étaient lancées, un peu dans tous les mondes. Le matin encore, les tapissiers clouaient des tentures; et, au moment d'allumer les lustres, vers neuf heures, l'architecte, accompagné de la comtesse qui se passionnait, donnait les derniers ordres. C'était une de ces fêtes de printemps, d'un charme si tendre. Les chaudes soirées de juin avaient permis d'ouvrir les deux portes du grand salon et de prolonger le bal jusque sur le sable du jardin. Quand les premiers invités arrivèrent, accueillis à la porte par le comte et la comtesse, ils eurent un éblouissement. Il fallait se rappeler le salon d'autrefois, où passait le souvenir glacial de la comtesse Muffat, cette pièce antique, toute pleine d'une sévérité dévote, avec son meuble Empire d'acajou massif, ses tentures de velours jaune, son plafond verdâtre, trempé d'humidité. Maintenant, dès l'entrée, dans le vestibule, des mosaïques rehaussées d'or se moiraient sous de hauts candélabres, tandis que l'escalier de marbre déroulait sa rampe aux fines ciselures. Puis, le salon resplendissait, drapé de velours de Gênes, tendu au plafond d'une vaste décoration de Boucher, que l'architecte avait payée cent mille francs, à la vente du château de Dampierre. Les lustres, les appliques de cristal allumaient là un luxe de glaces et de meubles précieux. On eût dit que la chaise longue de Sabine, ce siège unique de soie rouge, dont la mollesse autrefois étonnait, s'était multipliée, élargie, jusqu'à emplir l'hôtel entier d'une voluptueuse paresse, d'une jouissance aiguë, qui brûlait avec la violence des feux tardifs. Déjà l'on dansait. L'orchestre, placé dans le jardin, devant une des fenêtres ouvertes, jouait une valse, dont le rythme souple arrivait adouci, envolé au plein air. Et le jardin s'élargissait, dans une ombre transparente, éclairé de lanternes vénitiennes, avec une tente de pourpre plantée sur le bord d'une pelouse, où était installé un buffet. Cette valse, justement la valse canaille de la _Blonde Vénus_, qui avait le rire d'une polissonnerie, pénétrait le vieil hôtel d'une onde sonore, d'un frisson chauffant les murs. Il semblait que ce fût quelque vent de la chair, venu de la rue, balayant tout un âge mort dans la hautaine demeure, emportant le passé des Muffat, un siècle d'honneur et de foi endormi sous les plafonds. Cependant, près de la cheminée, à leur place habituelle, les vieux amis de la mère du comte se réfugiaient, dépaysés, éblouis. Ils formaient un petit groupe, au milieu de la cohue peu à peu envahissante. Madame Du Joncquoy, ne reconnaissant plus les pièces, avait traversé la salle à manger. Madame Chantereau regardait d'un air stupéfait le jardin, qui lui paraissait immense. Bientôt, à voix basse, ce fut dans ce coin toutes sortes de réflexions amères. -- Dites donc, murmurait madame Chantereau, si la comtesse revenait... Hein? vous imaginez-vous son entrée, au milieu de ce monde. Et tout cet or, et ce vacarme... C'est scandaleux! -- Sabine est folle, répondait madame Du Joncquoy. L'avez-vous vue à la porte? Tenez, on l'aperçoit d'ici... Elle a tous ses diamants. Un instant, elles se levèrent pour examiner de loin la comtesse et le comte. Sabine, en toilette blanche, garnie d'un point d'Angleterre merveilleux, était triomphante de beauté, jeune, gaie, avec une pointe d'ivresse dans son continuel sourire. Près d'elle, Muffat, vieilli, un peu pâle, souriait aussi, de son air calme et digne. -- Et penser qu'il était le maître, reprit madame Chantereau, que pas un petit banc ne serait entré sans qu'il l'eût permis!... Ah bien! elle a changé ça, il est chez elle, à cette heure... Vous souvenez-vous, lorsqu'elle ne voulait pas refaire son salon? C'est l'hôtel qu'elle a refait. Mais elles se turent, madame de Chezelles entrait, suivie d'une bande de jeunes messieurs, s'extasiant, approuvant avec de légères exclamations. -- Oh! délicieux!... exquis!... c'est d'un goût! Et elle leur jeta de loin: -- Que disais-je! Il n'y a rien comme ces vieilles masures, lorsqu'on les arrange... Ça vous prend un chic! N'est-ce pas? tout à fait grand siècle... Enfin, elle peut recevoir. Les deux vieilles dames s'étaient assises de nouveau, baissant la voix, causant du mariage, qui étonnait bien des gens. Estelle venait de passer, en robe de soie rose, toujours maigre et plate, avec sa face muette de vierge. Elle avait accepté Daguenet, paisiblement; elle ne témoignait ni joie ni tristesse, aussi froide, aussi blanche que les soirs d'hiver où elle mettait des bûches au feu. Toute cette fête donnée pour elle, ces lumières, ces fleurs, cette musique, la laissaient sans une émotion. -- Un aventurier, disait madame Du Joncquoy. Moi, je ne l'ai jamais vu. -- Prenez garde, le voici, murmura madame Chantereau. Daguenet, qui avait aperçu madame Hugon avec ses fils, s'était empressé de lui offrir le bras; et il riait, il lui témoignait une effusion de tendresse, comme si elle eût travaillé pour une part à son coup de fortune. -- Je vous remercie, dit-elle en s'asseyant près de la cheminée. Voyez-vous, c'est mon ancien coin. -- Vous le connaissez? demanda madame Du Joncquoy, lorsque Daguenet fut parti. -- Certainement, un charmant jeune homme. Georges l'aime beaucoup... Oh! une famille des plus honorables. Et la bonne dame le défendit contre une sourde hostilité qu'elle sentait. Son père, très estimé de Louis-Philippe, avait occupé jusqu'à sa mort une préfecture. Lui, s'était un peu dissipé, peut-être. On le prétendait ruiné. En tout cas, un de ses oncles, un grand propriétaire, devait lui laisser sa fortune. Mais ces dames hochaient la tête, pendant que madame Hugon, gênée elle-même, revenait toujours à l'honorabilité de la famille. Elle était très lasse, elle se plaignit de ses jambes. Depuis un mois, elle habitait sa maison de la rue Richelieu, pour un tas d'affaires, disait-elle. Une ombre de tristesse voilait son maternel sourire. -- N'importe, conclut madame Chantereau, Estelle aurait pu prétendre à beaucoup mieux. Il y eut une fanfare. C'était un quadrille, le monde refluait aux deux côtés du salon, pour laisser la place libre. Des robes claires passaient, se mêlaient, au milieu des taches sombres des habits; tandis que la grande lumière mettait, sur la houle des têtes, des éclairs de bijoux, un frémissement de plumes blanches, une floraison de lilas et de roses. Il faisait déjà chaud, un parfum pénétrant montait de ces tulles légers, de ces chiffonnages de satin et de soie, où les épaules nues pâlissaient, sous les notes vives de l'orchestre. Par les portes ouvertes, au fond des pièces voisines, on voyait des rangées de femmes assises, avec l'éclat discret de leur sourire, une lueur des yeux, une moue de la bouche, que battait le souffle des éventails. Et des invités arrivaient toujours, un valet lançait des noms, tandis que, lentement, au milieu des groupes, des messieurs tâchaient de caser des dames, embarrassées à leurs bras, se haussant, cherchant de loin un fauteuil libre. Mais l'hôtel s'emplissait, les jupes se tassaient avec un petit bruit, il y avait des coins où une nappe de dentelles, de noeuds, de poufs, bouchait le passage, dans la résignation polie de toutes, faites à ces cohues éblouissantes, gardant leur grâce. Cependant, au fond du jardin, sous la lueur rosée des lanternes vénitiennes, des couples s'enfonçaient, échappés à l'étouffement du grand salon, des ombres de robes filaient au bord de la pelouse, comme rythmées par la musique du quadrille, qui prenait, derrière les arbres, une douceur lointaine. Steiner venait de rencontrer là Foucarmont et la Faloise, buvant un verre de champagne, devant le buffet. -- C'est pourri de chic, disait la Faloise, en examinant la tente de pourpre, tenue sur des lances dorées. On se croirait à la foire aux pains d'épices... Hein? c'est ça! la foire aux pains d'épices! Maintenant, il affectait une blague continuelle, posant pour le jeune homme ayant abusé de tout et ne trouvant plus rien digne d'être pris au sérieux. -- C'est ce pauvre Vandeuvres qui serait surpris, s'il revenait, murmura Foucarmont. Vous vous souvenez, quand il crevait d'ennui là-bas, devant la cheminée. Fichtre! il ne fallait pas rire. -- Vandeuvres, laissez donc, un raté! reprit dédaigneusement la Faloise. En voilà un qui s'est mis le doigt dans l'oeil, s'il a cru nous épater avec son rôtissage! Personne n'en parle seulement plus. Rasé, fini, enterré, Vandeuvres! A un autre! Puis, comme Steiner leur serrait la main: -- Vous savez, Nana vient d'arriver... Oh! une entrée, mes enfants! quelque chose de pharamineux!... D'abord, elle a embrassé la comtesse. Ensuite, quand les enfants se sont approchés, elle les a bénis en disant à Daguenet: «Écoute, Paul, si tu lui fais des queues, c'est à moi que tu auras à faire...» Comment! vous n'avez pas vu ça! Oh! un chic! un succès! Les deux autres l'écoutaient, bouche béante. Enfin, ils se mirent à rire. Lui, enchanté, se trouvait très fort. -- Hein? vous avez cru que c'était arrivé... Dame! puisque c'est Nana qui a fait le mariage. D'ailleurs, elle est de la famille. Les fils Hugon passaient, Philippe le fit taire. Alors, entre hommes, on causa du mariage. Georges se fâcha contre la Faloise, qui racontait l'histoire. Nana avait bien collé à Muffat un de ses anciens pour gendre; seulement, il était faux que, la veille encore, elle eût couché avec Daguenet. Foucarmont se permit de hausser les épaules. Savait-on jamais quand Nana couchait avec quelqu'un? 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