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Pourtant, près de la porte, le comte et la comtesse causaient encore, retenus par des dames qui entraient. Enfin, il les rejoignit, pendant que ces messieurs, restés sur le perron du jardin, se haussaient, pour voir la scène. Nana devait avoir bavardé. -- Le comte ne l'a pas aperçu, murmura Georges. Attention! il se retourne... Là, ça y est. L'orchestre venait de reprendre la valse de la _Blonde Vénus_. D'abord, Fauchery avait salué la comtesse, qui souriait toujours, dans une sérénité ravie. Puis, il était resté un instant immobile, derrière le dos du comte, à attendre, très calme. Le comte, cette nuit-là, gardait sa hautaine gravité, le port de tête officiel du grand dignitaire. Lorsqu'il abaissa enfin les yeux sur le journaliste, il exagéra encore son attitude majestueuse. Pendant quelques secondes, les deux hommes se regardèrent. Et ce fut Fauchery qui, le premier, tendit la main. Muffat donna la sienne. Leurs mains étaient l'une dans l'autre, La comtesse Sabine souriait devant eux, les cils baissés, tandis que la valse, continuellement, déroulait son rythme de polissonnerie railleuse. -- Mais ça va tout seul! dit Steiner. -- Est-ce que leurs mains sont collées? demanda Foucarmont, surpris de la longueur de l'étreinte. Un invincible souvenir amenait une lueur rose aux joues pâles de Fauchery. Il revoyait le magasin des accessoires, avec son jour verdâtre, son bric-à-brac couvert de poussière; et Muffat s'y trouvait, tenant le coquetier, abusant de ses doutes. A cette heure, Muffat ne doutait plus, c'était un dernier coin de dignité qui croulait. Fauchery, soulagé dans sa peur, voyant la gaieté claire de la comtesse, fut pris d'une envie de rire. Ça lui semblait comique. -- Ah! cette fois, c'est elle! cria la Faloise, qui ne lâchait pas une plaisanterie, lorsqu'il la croyait bonne. Nana, là-bas, vous la voyez qui entre? -- Tais-toi donc, idiot! murmura Philippe. -- Quand je vous dis!... On lui joue sa valse, parbleu! elle arrive. Et puis, elle est de la réconciliation, que diable!... Comment! vous ne voyez pas! Elle les serre sur son coeur tous les trois, mon cousin, ma cousine et son époux, en les appelant ses petits chats. Moi ça me retourne, ces scènes de famille. Estelle s'était approchée. Fauchery la complimentait, pendant que, raide dans sa robe rose, elle le regardait de son air étonné d'enfant silencieuse, en jetant des coups d'oeil sur son père et sa mère. Daguenet, lui aussi, échangeait une chaude poignée de main avec le journaliste. Ils faisaient un groupe souriant; et, derrière eux, M. Venot se glissait, les couvant d'un oeil béat, les enveloppant de sa douceur dévote, heureux de ces derniers abandons qui préparaient les voies de la Providence. Mais la valse déroulait toujours son balancement de rieuse volupté. C'était une reprise plus haute du plaisir battant le vieil hôtel comme une marée montante. L'orchestre enflait les trilles de ses petites flûtes, les soupirs pâmés de ses violons; sous les velours de Gênes, les ors et les peintures, les lustres dégageaient une chaleur vivante, une poussière de soleil; tandis que la foule des invités, multipliée dans les glaces, semblait s'élargir, avec le murmure grandi de ses voix. Autour du salon, les couples qui passaient, les mains à la taille, parmi les sourires des femmes assises, accentuaient davantage le branle des planchers. Dans le jardin, une lueur de braise, tombée des lanternes vénitiennes, éclairait d'un lointain reflet d'incendie les ombres noires des promeneurs, cherchant un peu d'air au fond des allées. Et ce tressaillement des murs, cette nuée rouge, étaient comme la flambée dernière, où craquait l'antique honneur brûlant aux quatre coins du logis. Les gaietés timides, alors à peine commençantes, que Fauchery, un soir d'avril, avait entendu sonner avec le son d'un cristal qui se brise, s'étaient peu à peu enhardies, affolées, jusqu'à cet éclat de fête. Maintenant, la fêlure augmentait; elle lézardait la maison, elle annonçait l'effondrement prochain. Chez les ivrognes des faubourgs, c'est par la misère noire, le buffet sans pain, la folie de l'alcool vidant les matelas, que finissent les familles gâtées. Ici, sur l'écroulement de ces richesses, entassées et allumées d'un coup, la valse sonnait le glas d'une vieille race; pendant que Nana, invisible, épandue au-dessus du bal avec ses membres souples, décomposait ce monde, le pénétrait du ferment de son odeur flottant dans l'air chaud, sur le rythme canaille de la musique. Ce fut le soir du mariage à l'église que le comte Muffat se présenta dans la chambre de sa femme, où il n'était pas entré depuis deux ans. La comtesse, très surprise, recula d'abord. Mais elle avait son sourire, ce sourire d'ivresse qui ne la quittait plus. Lui, très gêné, balbutiait. Alors, elle lui fit un peu de morale. D'ailleurs, ni l'un ni l'autre ne risquèrent une explication nette. C'était la religion qui voulait ce pardon mutuel; et il fut convenu entre eux, par un accord tacite, qu'ils garderaient leur liberté. Avant de se mettre au lit, comme la comtesse paraissait hésiter encore, ils causèrent affaires. Le premier, il parla de vendre les Bordes. Elle, tout de suite, consentit. Ils avaient de grands besoins, ils partageraient. Cela acheva la réconciliation. Muffat en ressentit un véritable soulagement dans ses remords. Justement, ce jour-là, comme Nana sommeillait vers deux heures, Zoé se permit de frapper à la porte de la chambre. Les rideaux étaient tirés, un souffle chaud entrait par une fenêtre, dans la fraîcheur silencieuse du demi-jour. D'ailleurs, la jeune femme se levait maintenant, un peu faible encore. Elle ouvrit les yeux, elle demanda: -- Qui est-ce? Zoé allait répondre. Mais Daguenet, forçant l'entrée, s'annonça lui-même. Du coup, elle s'accouda sur l'oreiller, et, renvoyant la femme de chambre: -- Comment, c'est toi! le jour qu'on te marie!... Qu'y a-t-il donc? Lui, surpris par l'obscurité, restait au milieu de la pièce. Cependant, il s'habituait, il avançait, en habit, cravaté et ganté de blanc. Et il répétait: -- Eh bien! oui, c'est moi... Tu ne te souviens pas? Non, elle ne se souvenait de rien. Il dut s'offrir carrément, de son air de blague. -- Voyons, ton courtage... Je t'apporte l'étrenne de mon innocence. Alors, comme il était au bord du lit, elle l'empoigna de ses bras nus, secouée d'un beau rire, et pleurant presque, tant elle trouvait ça gentil de sa part. -- Ah! ce Mimi, est-il drôle!... Il y a pensé pourtant! Et moi qui ne savais plus! Alors, tu t'es échappé, tu sors de l'église. C'est vrai, tu as une odeur d'encens... Mais baise-moi donc! oh! plus fort que ça, mon Mimi! Va, c'est peut-être la dernière fois. Dans la chambre obscure, où traînait encore une vague odeur d'éther, leur rire tendre expira. La grosse chaleur gonflait les rideaux des fenêtres, on entendait des voix d'enfant sur l'avenue. Puis, ils plaisantèrent, bousculés par l'heure. Daguenet partait tout de suite avec sa femme, après le lunch. XIII Vers la fin de septembre, le comte Muffat, qui devait dîner chez Nana le soir, vint au crépuscule l'avertir d'un ordre brusque qu'il avait reçu pour les Tuileries. L'hôtel n'était pas encore allumé, les domestiques riaient très fort à l'office; il monta doucement l'escalier, où les vitraux luisaient dans une ombre chaude. En haut, la porte du salon ne fit pas de bruit. Un jour rose se mourait au plafond de la pièce; les tentures rouges, les divans profonds, les meubles de laque, ce fouillis d'étoffes brodées, de bronzes et de faïences, dormaient déjà sous une pluie lente de ténèbres, qui noyait les coins, sans un miroitement d'ivoire, ni un reflet d'or. Et là, dans cette obscurité, sur la blancheur seule distincte d'un grand jupon élargi, il aperçut Nana renversée, aux bras de Georges. Toute dénégation était impossible. Il eut un cri étouffé, il resta béant. Nana s'était relevée d'un bond, et elle le poussait dans la chambre, pour donner au petit le temps de filer. -- Entre, murmura-t-elle, la tête perdue, je vais te dire... Elle était exaspérée de cette surprise. Jamais elle ne cédait ainsi chez elle, dans ce salon, les portes ouvertes. Il avait fallu toute une histoire, une querelle de Georges, enragé de jalousie contre Philippe; il sanglotait si fort à son cou, qu'elle s'était laissé faire, ne sachant comment le calmer, très apitoyée au fond. Et, pour une fois qu'elle commettait la bêtise de s'oublier ainsi, avec un galopin qui ne pouvait même plus lui apporter des bouquets de violettes, tant sa mère le tenait serré, juste le comte arrivait et tombait droit sur eux. Vrai! pas de chance! Voilà ce qu'on gagnait à être bonne fille! Cependant, l'obscurité était complète dans la chambre, où elle avait poussé Muffat. Alors, à tâtons, elle sonna furieusement pour demander une lampe. Aussi, c'était la faute de Julien! S'il y avait eu une lampe dans le salon, rien de tout cela ne serait arrivé. Cette bête de nuit qui tombait lui avait retourné le coeur. -- Je t'en prie, mon chat, sois raisonnable, dit-elle, lorsque Zoé eut apporté de la lumière. Le comte, assis, les mains sur les genoux, regardait par terre, dans l'hébétement de ce qu'il venait de voir. Il ne trouvait pas un cri de colère. Il tremblait, comme pris d'une horreur qui le glaçait. Cette douleur muette toucha la jeune femme. Elle essayait de le consoler. -- Eh bien! oui, j'ai eu tort... C'est très mal, ce que j'ai fait... Tu vois, je regrette ma faute. J'en ai beaucoup de chagrin, puisque ça te contrarie... Allons, sois gentil de ton côté, pardonne-moi. Elle s'était accroupie à ses pieds, cherchant son regard d'un air de tendresse soumise, pour savoir s'il lui en voulait beaucoup; puis, comme il se remettait, en soupirant longuement, elle se fit plus câline, elle donna une dernière raison, avec une bonté grave: -- Vois-tu, chéri, il faut comprendre... Je ne puis refuser ça à mes amis pauvres. Le comte se laissa fléchir. 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